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Joe Conzo, secouriste, sur l'impact du 11 Septembre

Joe Conzo, secouriste, sur l’impact du 11 Septembre

Pour beaucoup, le 11 Septembre ne s’est pas terminé ce jour-là. Le secouriste Joe Conzo revient sur les événements qui ont bouleversé quantité d’existences.
Courtesy of Joe Conzo

Le photographe Joe Conzo se rappelle s’être levé tôt le matin du mardi 11 septembre 2001pour voter aux primaires de la mairie, auxquelles le magnat des médias Mike Bloomberg se présentait pour la première fois. Petit-fils du Dr Evelina López Antonetty (1922-1984), légendaire militante portoricaine affectueusement surnommée « la dame de l’enfer du Bronx », Joe Conzo a été élevé dans la lutte pour les droits de la communauté.

Ayant grandi au milieu des décombres de la « négligence bénigne », c’est-à-dire la politique de Nixon visant à refuser les services gouvernementaux aux communautés noires et latinos dans tout le pays dans les années 1970, Joe Conzo a appris que la seule façon de créer le changement était de le faire soi-même. Qu’il s’agisse d’accompagner sa grand-mère et sa mère Lorraine Montenegro à des manifestations ou de photographier les premières années du hip-hop dans les rues du Bronx, Joe Conzo a compris que « le pouvoir au peuple » n’était pas qu’un slogan – mais une certitude.

Courtesy of Joe Conzo

Sous les drapeaux, Joe Conzo a suivi une formation d’infirmier militaire et a décidé de continuer dans cette voie après la quille. En 1992, il est devenu membre des services médicaux d’urgence (EMS), qui ont fusionné avec le service des pompiers de New York (FDNY) en 1996. En 2001, Joe Conzo était délégué syndical, une responsabilité qui lui servira, à lui et à ses collègues, d’une manière qu’il n’aurait jamais pu imaginer.

Un beau matin

Le matin du 11 septembre, le ciel était d’un bleu de carte postale – extraordinairement clair et ensoleillé après les orages de la nuit précédente. Un front froid avait repoussé l’ouragan Erin vers la mer, détournant ainsi la menace imminente qui planait sur la ville cette semaine-là. Après avoir voté à la primaire, Joe Conzo et son partenaire Billy ont reçu un appel pour transporter une personne depuis un refuge vers l’hôpital. Avant de laisser place à l’enfer.

Courtesy of Joe Conzo

« Nous avons entendu un appel radio sur la fréquence de la police : un avion s’était écrasé sur le World Trade Center », raconte Joe Conzo, qui a immédiatement contacté son répartiteur et demandé à être envoyé sur place. Après avoir déposé le patient à l’hôpital, ils se sont engagés sur la West Side Highway et ont vu de la fumée s’élever de la pointe de Manhattan.

« On a commencé à entendre le mot ‘terrorisme’. Rien dans notre formation ne nous avait préparés à cela », dit-il. La peur les saisit – avant que l’adrénaline ne fasse son effet. Joe Conzo se souvient très bien avoir roulé jusqu’aux tours, alors que des milliers de personnes s’enfuyaient. Après s’être garés, ils sont tombés sur un supérieur qui leur a dit : « Quoi que vous fassiez, ne regardez pas en l’air. »

Des gens avaient commencé à sauter des tours.

Blackout

« Alors que nous entrions dans l’hôtel Marriott, nous avons entendu un grondement, comme celui d’un train de marchandises. Et la tour s’est effondrée », raconte Joe Conzo, qui a couru pour se réfugier à l’intérieur de l’hôtel. « J’ai été enterré vivant. »

Après ce qui lui a semblé une éternité, lui et deux autres personnes ont pu s’extraire par une brèche dans un mur. « Nous nous sommes retrouvés sur West Street. Ça ressemblait à une ville fantôme », dit-il. « J’ai crié pour retrouver mon partenaire. Puis je suis entré dans une épicerie pour me passer de l’eau sur le visage. J’ai appelé ma mère qui hurlait dans le téléphone : ‘Fous le camp de là ! On nous attaque !’ »

En plein dans la zone, Joe Conzo n’avait aucune idée de ce qui se passait réellement. Sa mère, qui regardait les informations, lui a appris que la tour Sud s’était effondrée.

Courtesy of Joe Conzo

Après avoir retrouvé Billy – vivant mais avec une jambe et une clavicule cassées – il l’a mis sur un bateau qui transportait des victimes de Battery Park vers le New Jersey pour être soignés. Puis la tour Nord a commencé à s’effondrer. « J’ai tenté d’embarquer sur le bateau, mais en vain. J’étais assis sur le rebord de la jetée, les pieds ballants, prêt à sauter dans le fleuve Hudson. »

Une fois le nuage de fumée et de poussière dissipé, Joe Conzo a dégoté un scooter du service des parcs qu’il a démarré à l’aide des fils, puis il a passé les 12 heures suivantes à transporter des blessés de Ground Zero jusqu’aux bateaux pour qu’ils soient acheminés vers un hôpital.

L’après-coup

Le 12 septembre, Conzo est arrivé au poste, prêt à travailler, mais il présentait des signes d’un syndrome de stress post-traumatique (SSPT). Il a passé les deux années suivantes à suivre une thérapie pour surmonter ce qu’il avait vécu et vu ce jour-là.

« Ce qui est ressorti de la thérapie, c’est que ce n’était pas mon heure de partir », explique Joe Conzo, qui a lutté contre la culpabilité du survivant. « Littéralement, si vous couriez à gauche, vous viviez, et si vous couriez à droite, vous mouriez. Pourquoi étais-je encore en vie alors que des milliers de personnes étaient mortes ? Impossible de donner un sens à tout cela. »

Courtesy of Joe Conzo

En effet, le destin fut de son côté. Peu de temps après le 11 septembre, il a reçu un appel du photographe et cinéaste Henry Chalfant qui souhaitait obtenir le droit de reproduction d’une des photographies de Joe Conzo pour le film documentaire de 2006, From Mambo to Hip Hop : A South Bronx Tale.

Conzo n’est pas seulement le premier photographe à avoir documenté le hip-hop dans les années 1970, il est également le fils de Joe Conzo Sr, le manager de Tito Puente. Ayant grandi aux côtés de légendes latines comme Celia Cruz, Eddie et Charlie Palmieri et Ray Baretto, ainsi que de pionniers du hip-hop comme les Cold Crush Brothers, Afrika Bambaataa et Kool Herc, M. Conzo a amassé des archives rares sur une époque pratiquement ignorée pendant trois décennies.

« Rétrospectivement, je sais maintenant que je ne suis pas mort le 11 septembre ; parce que je devais réaliser mon rêve de devenir un photographe reconnu », déclare Joe Conzo.

Mais ce n’est que la moitié de l’histoire.

La grâce salvatrice

Le 18 septembre 2001, Christine Todd Whitman, directrice de Environmental Protection Agency (EPA) (l’Agence de protection de l’environnement) a annoncé que l’air de Ground Zero était « respirable ». Mais en réalité, c’était exactement le contraire. En 2006, Cate Jenkins, scientifique à l’EPA, a accusé l’agence d’utiliser des données trompeuses pour minimiser les dangers de la poussière libérée lors de l’effondrement des tours – composées en partie de 2 000 tonnes d’amiante et de 424 000 tonnes de béton.

« Nous n’avions aucun équipement de protection individuelle (EPI) ce jour-là. Aucun de nous ne portait de masque », déclare Joe Conzo. « Nous savions que cela allait être mauvais pour la suite et nous avons commencé à passer des coups de fil aux politiciens. »

Courtesy of Joe Conzo
Courtesy of Joe Conzo

Une ou deux semaines après les attentats, Joe Conzo se souvient que des discussions ont commencé sur les conséquences sanitaires de l’effondrement. Il est devenu l’un des premiers porte-parole du mouvement en faveur de l’adoption de ce qui est finalement devenu la loi James Zadroga sur la santé et l’indemnisation des victimes du 11 septembre, afin de fournir une veille sanitaire et des aides aux premiers intervenants, aux volontaires et aux survivants. Présentée en 2006, cette loi a mis des années à être adoptée par le Congrès et a finalement été promulguée en 2011.

Mais pour Joe Conzo, les horreurs du 11 septembre ne se sont pas arrêtées en 2001. En 2019, on lui a diagnostiqué un cancer du foie et du pancréas. « Mon oncologue m’appelle son patient miracle parce que je n’avais aucun signe, aucun symptôme, aucune douleur – rien du tout », dit-il.

Après avoir passé huit jours à l’hôpital et eu six mois de chimiothérapie, Joe Conzo est guéri du cancer depuis plus d’un an. Malgré un pronostic solide, il porte le poids d’avoir vaincu les probabilités. Avec un taux de survie de 10 % au cours des cinq premières années, il faut être fort mentalement et avoir le cœur bien accroché pour comprendre qu’une fois de plus, nous ne sommes pas entièrement maîtres de notre destin.

Courtesy of Joe Conzo
Courtesy of Joe Conzo

Aller de l’avant, encore et toujours

Courtesy of Joe Conzo

« Vous continuez à aller de l’avant », dit Joe Conzo, en faisant allusion à « ¡Palante Siempre Palante ! » (en avant, toujours en avant !) – le slogan des Young Lords, l’organisation américano-portoricaine de défense des droits civiques qui a travaillé en étroite collaboration avec sa grand-mère dans les années 1960 et 1970.

« Vous savez, j’ai survécu en grandissant dans le South Bronx et à la toxicomanie – je suis un survivant. C’est avec beaucoup d’humilité que je suis allé dans des endroits où les gens rêvent d’aller et que j’ai côtoyé de nombreuses stars, pionniers et politiciens. J’ai deux beaux enfants, trois beaux petits-enfants et, dans mon entourage, des gens bienveillants. Je suis heureux de tout le dur labeur que j’ai accompli, car il me permet de traverser ce chapitre de ma vie », déclare Joe Conzo.

« C’est incroyable que cela ait eu lieu il y a 20 ans parce que, certains jours, j’ai l’impression que c’était hier. J’ai passé 20 ans à souffrir émotionnellement et physiquement, à faire face et à défendre les intérêts des autres. Je ne vois pas cela comme un anniversaire. Mais comme une commémoration. »

By Miss Rosen

Miss Rosen is a New York-based writer focusing on art, photography, and culture. Her work has been published in books, magazines, including Time, Vogue, Aperture, and Vice, among others.

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