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Gulnara Samoilova, une femme photographe à Ground Zero

Gulnara Samoilova, une femme photographe à Ground Zero

Le 11 septembre 2001, Gulnara Samoilova se trouve dans le sud de Manhattan lorsque les attaques terroristes du World Trade Center ont lieu. Ses images ont été récompensées par un World Press Photo en 2002 et publiées dans un livre, Women Journalists at Ground Zero.
© Gulnara Samoilova

Ce jour-là, Gulnara Samoilova dort encore dans son appartement lorsque le premier avion frappe la tour sud, cinq pâtés de maisons plus loin. Le bruit la réveille. Alors qu’elle est allongée dans son lit, elle entend des sirènes. Elle pense d’abord qu’il s’agit d’ambulances venant d’un hôpital voisin. Mais, comme elles ne s’arrêtent pas, elle envisage alors que quelque chose de terrible a dû se produire.

Elle allume sa télévision et reste figée. « J’ai vu la première tour, cela venait de se produire », raconte-t-elle. « Le commentateur de CNN ne savait pas ce qui se passait. Quelqu’un a dit que c’était un petit avion. J’ai regardé pour savoir ce qui se passait. Puis, le deuxième avion a frappé la deuxième tour. Je l’ai vu à la télé et au même moment, j’ai entendu une puissante explosion. J’ai compris que c’était une attaque terroriste. »

© Gulnara Samoilova

Gulnara saute du lit et enfile rapidement ses vêtements. « J’ai couru dans l’appartement en pensant : est-ce que j’ai besoin d’un flash ? Combien de pellicules dois-je prendre ? » Elle avait stocké dans son réfrigérateur les pellicules Tri-X noir et blanc qu’elle préfère pour ses projets. Elle n’aurait pas dû être à New York ce jour-là. « Je devais me rendre en Russie le 8 septembre pour poursuivre un projet personnel, photographier une famille russe sur laquelle je travaillais depuis six ans, mais quelque chose s’est produit deux jours avant mon voyage et je l’ai simplement annulé. »

Elle attrape son matériel et commence à courir dans la rue en direction du World Trade Center. « Je ne pensais pas pouvoir me rapprocher. Mais personne ne m’a arrêtée. » Les gens courent alors dans la direction opposée au Trade Center. « Pendant que je marchais, je prenais des photos. Puis j’ai vu les tours. C’était tout simplement incroyable. »

© Gulnara Samoilova

« J’ai ensuite commencé à me concentrer sur les gens autour de moi – les victimes et les blessés. Je n’arrivais même pas à me concentrer, c’était tellement dramatique. J’ai vu une femme dont la peau se décollait à cause des brûlures. J’étais un peu gênée de photographier ces gens parce qu’ils souffraient. Je ne voulais pas leur coller mon appareil photo sur le visage. »

Gulnara Samoilova raconte qu’il est ainsi important de se concentrer non seulement sur l’événement lui-même, mais aussi sur ce qui se passe autour. « Les réactions. Les visages des gens. Il faut avoir un bon œil pour remarquer, non seulement l’ensemble du tableau, mais aussi les petites choses », dit-elle. « En tant que photographe, vous devez tout remarquer. »

© Gulnara Samoilova

Pour Gulnara, tout remarquer, c’est notamment voir des gens sauter de la tour. Stupéfaite, elle n’a pas la force de soulever son appareil photo. « Je n’arrivais pas à croire que des gens sautaient », explique t-elle. Il ne lui vient alors jamais à l’esprit que les tours vont s’effondrer. « Je n’avais pas réalisé à quel point c’était dangereux. Elles sont si hautes. J’ai vu le feu, mais je ne savais pas qu’il y avait un énorme avion à l’intérieur. »

Un policier essaye de la pousser dehors, puis lui demande comment elle ose photographier. Elle lui répond qu’elle se doit de documenter ce qui se passe. « C’est un grand événement historique. » Gulnara Samoilova traverse la rue et continue simplement à photographier, changeant constamment d’objectif.

© Gulnara Samoilova

« Tout était incroyablement organisé. Les gens qui travaillent à l’hôtel Millennium ont sorti des chaises, des serviettes, des draps et de l’eau. Ils déchiraient l’extérieur pour en faire des brancards pour les gens. » Elle ne voit pas beaucoup de panique. Les prêtres parlent aux gens. La police et les pompiers agissent de manière professionnelle. « C’était incroyable de voir ça », dit-elle.

Puis elle entend un bruit énorme. « J’ai levé mon appareil et pris une photo avant de voir dans mon viseur que le bâtiment s’effondrait. Quelqu’un a dit : “Cours !” Et j’ai commencé à courir. J’étais certaine que ça arrivait droit sur moi. Je n’arrêtais pas de penser que ça ne m’arriverait pas. Quand il a touché le sol, je suis tombé. Je me suis dit que j’allais mourir tout de suite parce que les gens allaient me rouler dessus. Mais personne ne l’a fait. Je me suis retournée et j’ai vu cet énorme nuage de poussière et de débris incroyable qui venait droit sur moi. Je me suis cachée derrière une voiture. »

© Gulnara Samoilova

Elle compare le fait d’être dans le nuage de débris à celui d’être dans un tunnel avec un vent violent poussant tout autour d’elle. Elle n’a pas le temps d’avoir peur. Son cœur ne bat pas particulièrement fort. Elle n’a pas de montée d’adrénaline, ni une quelconque autre réaction. « Je n’arrêtais pas de penser que c’était comme si j’étais dans un film, je n’étais pas là », raconte Gulnara. Le fait d’être derrière son appareil l’aide ainsi à rester concentrée. Elle peut voir la scène comme si elle n’était pas réelle.

Le vent se calme puis s’arrête. Il y a de la poussière partout. Elle ne peut pas ouvrir les yeux. Elle en a dans les oreilles et dans la bouche. « C’était juste très, très silencieux ; et il faisait si sombre. Je ne pouvais rien voir. Je ne me souviens pas combien de temps cela a duré. J’ai commencé à perdre mon souffle. J’étais certaine d’être enterrée vivante. »

© Gulnara Samoilova

Puis, Gulnara Samoilova réalise que quelqu’un d’autre se cache derrière la même voiture, un homme qui lui demande si elle va bien. « J’ai commencé à voir les lumières de la voiture et c’est là que j’ai su que j’étais vivante et que j’allais m’en sortir. Dès que j’ai pu voir quelque chose, j’ai recommencé à photographier. C’était si silencieux. Des papiers volaient dans l’air. D’après ma pellicule, j’ai pris quelques images et mon rouleau s’est terminé. J’ai changé d’objectif et de pellicule, mais je ne me souviens pas l’avoir fait. »

Elle saigne du coude après sa chute. Elle commence à marcher vers chez elle. Elle a du mal à respirer et est totalement en état de choc. Quelqu’un lui donne un masque et de l’eau. « Je suis rentrée chez moi et j’ai commencé à mélanger des produits chimiques pour développer mon film », raconte Gulnara Samoilova. « Comme il faisait chaud, j’ai mis de la glace dedans et j’ai attendu que ça refroidisse. Je regardais la télévision lorsque la deuxième tour s’est effondrée à cinq rues de mon appartement. Je pouvais très bien l’entendre. C’était juste… comme quand l’acier entre dans l’acier, mais dix mille fois plus fort. C’était très fort, comme un crack. Mon immeuble a fait un bond, et j’ai cru qu’il allait s’effondrer aussi. Il y avait de la poussière partout. J’ai rapidement fermé les fenêtres. »

© Gulnara Samoilova

La photographe a installé une chambre noire dans sa cuisine, où elle peut développer ses films et imprimer ses photos. Alors qu’elle commence à sortir ses pellicules, elle se rend compte qu’elle a utilisé un rouleau de film diapositive couleur Ektachrome. « Je n’utilise jamais ce type de film. C’est toujours un mystère de savoir comment il s’est retrouvé dans mon sac. J’ai développé le film, et il était encore humide dans le réservoir. Je suis allé au travail à pied, en faisant tourner mon réservoir parce que je ne voulais pas perdre de temps à le sécher et que je voulais éviter la poussière. Je pensais que le temps que j’arrive au bureau de l’Associated Press, il serait sec. Le voyage a duré une heure et demi. Mes cheveux contenaient encore des débris. J’ai juste pu changer de vêtements. Je n’ai pas eu le temps de prendre une douche. »

Quand son patron découvre les premières images, il a une réaction d’étonnement. « En noir et blanc ? » Gulnara Samoilova répond alors qu’elle a bien un rouleau de pellicule couleur et qu’elle est certaine d’avoir une image de la tour en train de s’effondrer. Avant de faire remarquer que la pellicule couleur présente peu d’avantages dans ce cas précis. « Après l’effondrement, on ne pouvait pas distinguer, sur les images, si les gens étaient noirs, blancs, jaunes, ou d’une autre couleur de peau. Ils étaient tous gris. »

Par Judith Sylvester

Judith Sylvester est co-auteure du livre intitulé Women Journalists at Ground Zero.

Women Journalists at Ground Zero, publié par Rowman & Littlefield Publishers en 2002.

Plus d’informations sur Gulnara Samoilova sur son site.

© Gulnara Samoilova

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