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Limaces, escargots, et petites traces de chevreuil

Limaces, escargots, et petites traces de chevreuil

Le nouveau livre Growing Spaces du photographe Chris Hoare est une chronique de la culture des terres urbaines à Bristol, au Royaume-Uni. Depuis avril 2020, le photographe a documenté méthodiquement onze sites à travers la ville, des jardins familiaux établis aux jardins communautaires et parcelles improvisées sur des terrains désaffectés.

J’ai un potager depuis 14 ans. J’ai découvert que cultiver ses propres fruits et légumes est un fardeau et une malédiction. En hiver, il n’y a pas de lumière, les fortes gelées tuent les légumes les plus délicats et les mouches blanches résistantes au froid dévorent tout ce qui reste. Si vous avez de la chance, vous pouvez vous retrouver avec quelques branches de chou kale ou avec un chou vert infesté de mouches.

Fleurs tardives et feuilles d’automne, Thingwell Park © Chris Hoare

Une fois le printemps arrivé, l’embellie n’est pas flagrante. Soit vous attendez une apparition du soleil digne de ce nom, auquel cas vous ne plantez rien avant mai ou juin, soit vous semez tôt et une gelée tardive transforme vos pommes de terre et vos betteraves en un compost de feuilles molles. Vous plantez alors vos graines de haricots en attendant la pluie, et c’est là que limaces et escargots entrent en scène ; des centaines de créatures maléfiques sortent pour manger les réserves censées vous nourrir au printemps et en été.

Et si les limaces et autres escargots n’ont pas accompli leur sinistre besogne, les chevreuils s’en chargeront. Ils dégusteront vos fleurs, déterreront vos carottes, grignoteront vos mange-tout et, au passage, ils saccageront le sol. Les blaireaux rôdent toute l’année, mais ils se gardent le meilleur pour l’automne. En septembre, votre maïs presque parfait, vous pouvez être sûr que les blaireaux se pointeront la veille de la récolte, aplatiront les tiges au sol et voleront ce qui vous appartient de droit.

Nouveau propriétaire de potager qui arrose ses plantes, Speedwell © Chris Hoare
Roses du coucher, Speedwell © Chris Hoare

C’est un travail de chien, de cultiver ses propres légumes, un dur labeur que la surabondance occasionnelle de courgettes ne compense en rien. Et ce n’est pas bon marché. Vous payez vos 30 £ (35€) pour les frais annuels du lotissement, mais il y a aussi les graines à acheter, le sol que la faune locale a épuisé et qui doit être régénéré, et il faut racheter du bois pour remplacer celui des plates-bandes surélevées que limaces et escargots ont pris pour cachettes.

En fait, vous dépensez une fortune pour faire pousser des carottes sur lesquelles les renards vont se soulager et dont les escargots, les blaireaux et les chevreuils vont se régaler, alors que vous pourriez en acheter un sac pour 49 pence (57 cents) au supermarché local.

Tina jette le reste de bois au feu © Chris Hoare
Pommes en abondance, Ashley Vale © Chris Hoare

Alors pourquoi s’entêter ? Growing Spaces de Chris Hoare en fournit une explication visuelle. C’est un livre avec de superbes images de jardins familiaux de Bristol, où leur beauté physique, spirituelle et spatiale est mise en évidence. À travers des photographies prises au coucher du soleil, l’ouvrage met l’accent sur les éléments sensoriels qui font de ces jardins des espaces si attrayants.

Dans Growing Spaces, Chris Hoare capte la lumière que tamise le feuillage des arbres ; il immortalise l’amour avec lequel un jardinier barbu redresse la tige d’une molène ; il saisit comment un jardin devient un terrain de jeu, un espace de détente, une échappatoire aux intérieurs humides de la banlieue de Bristol. Voilà des espaces où l’on boit de la bière, où l’on allume des feux, le tout en harmonie avec le petit coin de verdure qui nous entoure.

Cabanon abandonné, Bedminster © Chris Hoare
Mike Feingold dans sa serre au début du mois de mai © Chris Hoare

On sent le parfum des fleurs, la peau des prunes mûres éclate, on arrose les plantes, les insectes bourdonnent, et les apprentis jardiniers s’affairent à bécher, désherber et aménager dans le style déglingué des lotissements britanniques.

Ce livre est consacré aux plaisirs simples que nous procurent nos sens, des plaisirs qui laissent entrevoir d’autres façons d’être, centrées sur notre Terre-Mère, Gaia. Sentir la terre sous les doigts et l’odeur de la végétation en décomposition dans la brume matinale, entendre le bruissement du vent dans les feuilles, ou observer la danse des abeilles dans une floraison estivale de roses trémières, tout cela vous donne quelque chose que vous ne trouverez jamais dans un environnement construit par l’homme.

Voilà pourquoi une carotte, une courgette ou un chou-fleur cultivés dans un jardin familial sont toujours meilleurs que ceux achetés au supermarché. Et voilà pourquoi nous nous donnons tant de mal.
 

Par Colin Pantall

Colin Pantall est un écrivain, photographe et conférencier basé à Bath, en Angleterre. Sa photographie traite de l’enfance et des mythologies de l’identité familiale.

Growing spaces de Chris Hoare, RRB Photobooks, 80 pages, RRP 28 £ | 95 £ avec tirage.

Vue sur les potagers de Royate Hill, prise en juin © Chris Hoare
Un pack de Budweiser se rafraîchit dans une mare © Chris Hoare
Membres du groupe de jardinage communautaire de Patchwork © Chris Hoare
Lexi protège ses yeux © Chris Hoare

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