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L'esthétique avant-gardiste du Land Art

L’esthétique avant-gardiste du Land Art

Une nouvelle exposition et un nouveau livre explorent le rôle de la photographie dans la préservation de l’une des formes les plus iconoclastes de l’art contemporain.
Gianfranco Gorgoni, Seven Magic Mountains de Ugo Rondinone, près de Jean Dry Lake, Nevada, 2016, 2016. Photographie de la collection du Musée d’Art du Nevada, The Altered Landscape, Carol Franc Buck Collection © Ugo Rondinone

Dans les années 1960 et 1970, l’avant-garde a tourné le dos à la « commercialisation impitoyable » de l’art en Amérique, comprenant que la marchandisation de l’objet est avant tout motivée par les affaires. Le Land Art naît de la détermination à créer des œuvres qui pourraient défier le système tout en offrant un espace de critique culturelle. Des artistes comme Christo et Jeanne-ClaudeRobert SmithsonNancy HoltWalter De Maria et Michael Heizer vont alors transformer le paysage naturel en spectacles extraordinaires, combinant des éléments d’installation, de sculpture et d’architecture.

En 1970, le photographe italien Gianfranco Gorgoni (1941-2019), âgé de 29 ans, s’aventure dans le désert de l’Utah aux côtés de Robert Smithson, s’engageant dans ce qui va devenir une carrière de « roadie, cascadeur et documentariste », comme le précise un critique d’art.

Gianfranco Gorgoni, Running Fence de Christo et Jeanne-Claude, Comtés de Sonoma et Marin, Californie, 1972–76, 1976. Photographie de la collection du Musée d’Art du Nevada, The Altered Landscape, Carol Franc Buck Collection © Christo
Gianfranco Gorgoni, installation Ocean Front de Christo et Jeanne-Claude’s, Newport, Rhode Island, 1974, 1974. Photographie de la collection du Musée d’Art du Nevada, The Altered Landscape, Carol Franc Buck Collection © Christo

« Pour moi, voir ces étendues de désert où Heizer, Smithson et De Maria réalisaient de grandes œuvres fut une expérience presque mystique », explique Gorgoni, dont la documentation du mouvement est relatée dans le nouveau livre et la nouvelle exposition Gianfranco Gorgoni : Land Art Photographs« On se perdait dans ces étendues sablonneuses et arides, des endroits incroyables, et plus que l’œuvre elle-même, c’est le lieu où elle se trouvait qui comptait. »

Le paysage américain sous Redux

Gianfranco Gorgoni, Spiral Jetty de Robert Smithson, Rozel Point, Great Salt Lake, Utah, 1970, 2013. Photographie de la collection du Musée d’Art du Nevada, The Altered Landscape, Carol Franc Buck Collection © Fondation Holt/Smithson et Dia Art et Fondation Dia Art / VAGA à Artists Rights Society (ARS), NY

À l’instar des géoglyphes de Nazca au Pérou, la photographie nous permet d’avoir des points de vue sur des œuvres d’art immenses que nous serions autrement incapables de voir depuis le sol – une compréhension qui influence profondément le travail d’artistes du Land Art qui atteignent leur maturité dans l’Amérique d’après-guerre, à l’aube de l’ère spatiale. En décembre 1946, le magazine LIFE publie les toutes premières photographies de la Terre vue de l’espace, prises depuis une fusée V-2 volant à plus de 100 000 kilomètres au-dessus de nos têtes.

Alors qu’une nouvelle vision des vastes paysages de la planète commence à émerger, les artistes du Land Art y voient un canevas pour leur travail de sculpture. Un peu comme les cultures modernistes qu’ils tentent de fuir, la plupart d’entre eux intègrent à leur travail leur croyance en la domination de la terre. Beaucoup remodèlent le paysage pour l’adapter à leur usage, le considérant comme une matière première plutôt que comme un espace sacré.

Gianfranco Gorgoni, Sun Tunnels de Nancy Holt, Great Basin Desert, Utah, 1973–1976, 2016. Photographie de la collection du Musée d’Art du Nevada, The Altered Landscape, Carol Franc Buck Collection © Fondation Holt/Smithson et Fondation Dia Art / VAGA at Artists Rights Society (ARS), NY

« Il y avait la tension du processus de construction, l’utilisation d’un bulldozer, d’une moto, l’explosion de la terre », raconte Gorgoni. « Avec le Land Art, je photographiais une pièce pas encore terminée, ou du moins une pièce en constante évolution, en proie aux aléas des conditions météorologiques et environnementales. En général, je préfère arriver sur les lieux de production artistique quand règne une certaine confusion autour du processus de création. J’ai besoin de cela pour découvrir les angles d’interprétation que l’œuvre requiert. »

La recherche de l’harmonie créative

Gianfranco Gorgoni, Shift de Richard Serra, King City, Ontario, Canada, 1970–72, vers 1972. Photographie de la collection du Musée d’Art du Nevada, The Altered Landscape, Carol Franc Buck Collection © Succession de Gianfranco Gorgoni

Le Land Art, du fait de sa nature et de sa conception, est intentionnellement éloigné -– il nécessite une sorte de pèlerinage. Pour la plupart des gens, de tels voyages sont improbables et la photographie devient le principal moyen de contact avec l’œuvre, exigeant de l’artiste qu’il soit capable de travailler à partir d’un point de vue limité qui puisse transmettre l’ampleur et la portée majestueuses du projet.

Gorgoni comprend cela dès le début, en proposant au galeriste Leo Castelli, en 1970, un livre de photographies intitulé The New Avant-Garde. Castelli finance le projet, reconnaissant l’importance du rôle de Gorgoni dans l’histoire du Land Art. Castelli avoit dans les images de Gianfranco Gorgoni une intimité et une vérité en parfaite adéquation avec l’énergie créatrice du travail des artistes, devenant à la fois des documents historiques et des œuvres d’art à part entière.

Gianfranco Gorgoni, Seven Magic Mountains de Ugo Rondinone, près de Jean Dry Lake, Nevada, 2016, 2016. Photographie de la collection du Musée d’Art du Nevada, The Altered Landscape, Carol Franc Buck Collection © Ugo Rondinone

« Gorgoni transforme l’image photographique en une cérémonie, dans laquelle il est un sacerdos, un officiant qui ritualise un événement ou une situation, plutôt qu’un outil impersonnel de leur art et de leur vie. Ce qui en résulte est un creuset de moments, rares et intenses, enregistrés dans une nouvelle approche, plus participative, où l’artiste est un chaman qui accomplit des gestes magiques », relève Germano Celant dans un extrait de l’ouvrage.

« Il ne s’agit plus de deux individus, le photographe et l’artiste, qui assument des positions parallèles, mais plutôt de la recherche d’une harmonie créative qui ne se distingue que par la diversité du langage. On comprend donc pourquoi la photographie de Gorgoni est enchanteresse et hypnotique. Elle a une présence en soi et ne concède rien à la séduction du document, elle s’offre plutôt comme une impulsion originale, glanée et infusée par la puissance poétique et fantasmatique de l’œuvre d’art elle-même. »

Par Miss Rosen

Miss Rosen est auteur. Basée à New York, elle écrit à propos de l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres et des magazines, notamment TimeVogueArtsyApertureDazed et Vice.

L’exposition Gianfranco Gorgoni : Land Art Photographs est présentée au Nevada Museum of Art jusqu’au 2 janvier 2022. L’ouvrage éponyme est publié par Phaidon au prix de 100 $.

Gianfranco Gorgoni, Running Fence de Christo et Jeanne-Claude, Comté de Sonoma et Marin, Californie, 1972–76, 1976. Photographie de la collection du Musée d’Art du Nevada, The Altered Landscape, Carol Franc Buck Collection © Christo
Gianfranco Gorgoni, Robert Smithson’s Spiral Jetty, Rozel Point, Great Salt Lake, Utah, 1970, 2013. Photographie de la collection du Musée d’Art du Nevada, The Altered Landscape, Carol Franc Buck Collection © Fondation Holt/Smithson et Fondation Dia Art / VAGA at Artists Rights Society (ARS), NY

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