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Comment Kwame Brathwaite a révolutionné l'esthétique de la beauté

Comment Kwame Brathwaite a révolutionné l’esthétique de la beauté

Alors que le Mouvement pour les droits civiques et le Mouvement pour l’indépendance de l’Afrique arrivaient sur le devant de la scène aux États-Unis, deux membres de la communauté afro-américaine ont contribué à jeter un pont entre les diasporas.

Kwame Brathwaite, séance de photos dans une école publique pour l’un des groupes de mannequins associés à l’AJASS qui imitaient les modèles Grandassa et commençaient à adopter des coiffures naturelles. Harlem, vers 1966 ; extrait de Kwame Brathwaite : Black Is Beautiful (Aperture, 2019)

Tandis que Martin Luther King Jr. prône la non-violence pour défendre les droits civils et que Malcolm X s’engage dans l’éthique du nationalisme noir pour combattre l’injustice aux États-Unis, le photographe Kwame Brathwaite, né à Brooklyn, se tourne vers les enseignements du panafricanisme et de Marcus Garvey pour lancer le mouvement « Black Is Beautiful » dans les années 1960.

Rejetant les normes imposées par l’hégémonie culturelle occidentale, Kwame Brathwaite et son acolyte Elombe Brath adoptent l’esthétique africaine, créant Grandassa Models à Harlem et Naturally 62, un défilé de mode qui a jeté les bases d’une révolution mondiale de la mode et de la beauté. Avec l’introduction de « Black Is Beautiful », les frères contribuent à populariser les cheveux au naturel, une gamme complète de teintes de peau, et les styles africains à travers la diaspora.

Kwame Brathwaite, Sikolo Brathwaite portant une coiffe conçue par Carolee Prince, African Jazz-Art Society & Studios (AJASS), Harlem, vers 1968 ; d’après Kwame Brathwaite : Black Is Beautiful (Aperture, 2019)
Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Philip Martin Gallery, Los Angeles.
Kwame Brathwaite, Sikolo Brathwaite, African Jazz-Art Society & Studios (AJASS), Harlem, vers 1968 ; d’après Kwame Brathwaite : Black Is Beautiful (Aperture, 2019) Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Philip Martin Gallery, Los Angeles.

« On m’a appelé “le gardien des images” », écrit Brathwaite dans Black Is Beautiful : The Photography of Kwame Brathwaite, dont une sélection d’images est actuellement exposée dans le cadre d’une grande tournée des musées à travers les États-Unis. « Ma tâche a consisté à documenter les pouvoirs créatifs à travers la diaspora -– non seulement chez nos artistes, musiciens, athlètes, danseurs, mannequins et designers, mais aussi en chacun de nous… On m’a souvent demandé comment on m’avait accordé un tel accès en tant que photographe. En réalité, on m’a fait confiance pour faire émerger la vérité à travers mon travail. »

Giant Steps

Nés de Barbadiens émigrés, arrivés à Brooklyn avant de s’installer dans le Bronx, Kwame Brathwaite et son camarade Elombe Brath grandissent à New York avant l’émergence du Mouvement des droits civiques, la ségrégation ayant accouché d’enclaves ouvrières noires prospères tels Harlem ou Bedford-Stuyvesant. « Quand on est d’origine caribéenne, on a pour principes de travailler dur, de faire de son mieux et de s’imposer en faisant ce qu’il faut pour. Ils ont compris très tôt ce qu’ils avaient à faire, tout en étant fiers de leur place dans la lignée ancestrale », explique Kwame S. Brathwaite, le fils du photographe, qui contribue à préserver l’héritage de son père.

Kwame Brathwaite, Autoportrait, African Jazz-Art Society & Studios (AJASS), Harlem, vers 1964 ; d’après Kwame Brathwaite : Black Is Beautiful (Aperture, 2019) Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Philip Martin Gallery, Los Angeles.

Les deux acolytes fréquentent l’école d’art industriel de Manhattan, devenant rapidement des adolescents cosmopolites, dans les années 1950, lorsque le jazz était appelé « le cool Noir ». À l’approche de l’obtention de leur diplôme, un petit groupe d’amis décide de créer l’African Jazz-Art Society (AJAS), un collectif d’artistes radicaux, de danseurs, de créateurs de mode et de dramaturges dédié aux Arts Noirs. En ces temps où « coloré » et « nègre » sont des termes américains populaires pour définir la race, le groupe revendique pleinement son héritage africain.

Alors que les boîtes de nuit blanches de Manhattan commencent à mettre le jazz à l’honneur, l’AJAS le ramène dans la communauté, en gardant l’argent des Noirs, qu’il investit dans le quartier en lançant le Club 845 dans le Bronx. Si Miles Davis est trop cher pour être programmé, ils s’assurent de la présence d’étoiles montantes comme John Coltrane et Lee Morgan. Avec ces talents extraordinaires dans son orbite, Brathwaite commence à photographier des spectacles et à faire des portraits de musiciens – un atout qui allait lui servir.

Homme fumant dans une salle de bal, Harlem, vers 1962 ; d’après Kwame Brathwaite : Black Is Beautiful (Aperture, 2019) Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Philip Martin Gallery, Los Angeles.

 

 

Un seul but, un seul destin

Précurseur du nationalisme noir et du panafricanisme, Marcus Garvey (1887-1940) a contribué à susciter un sentiment de fierté au sein de la diaspora. Après sa mort, Carlos Cooks a pris le relais pour créer le Mouvement nationaliste africain des Pionniers, qui prône l’autonomie économique et la libération du colonialisme occidental en s’appuyant sur les concepts « Think Black » et « Buy Black ».

Kwame Brathwaite et les membres de l’AJAS accueillent le message à bras ouverts, comprenant rapidement comment la synthèse de l’art, de la mode, de la beauté, de la musique, des performances et du commerce peuvent servir la cause. Ils créent Grandassa Models, agence proposant des mannequins noirs de toutes les nuances de peau, avec des caractéristiques africaines telles que lèvres pleines, nez épaté et cheveux au naturel. À une époque où la plupart des femmes noires défrisent leurs cheveux ou portent des perruques imitant les textures européennes, la coupe afro est une déclaration radicale et politique de fierté raciale.

Kwame Brathwaite, Parade du jour de Marcus Garvey, Harlem, vers 1967 ; d’après Kwame Brathwaite : Black Is Beautiful (Aperture, 2019) Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Philip Martin Gallery, Los Angeles.

Depuis la colonisation, les représentations occidentales de la culture africaine ont été largement filtrées au prisme du racisme et de l’impérialisme. Alors que l’Afrique se prépare à un mouvement d’indépendance qui va durer deux décennies, l’Occident continue à promouvoir des récits fallacieux sur le « continent noir », ce qui crée un fossé au sein de la diaspora, notamment aux États-Unis.

La création d’une contre-narration ancrée dans la fierté raciale et l’héritage ancestral devient un élément central du travail de Brathwaite. « [Mon père] a compris la valeur de l’image et il a assumé le rôle de responsable. Et ce qui en est sorti s’est attaché à nous montrer sous un jour intentionnellement positif », explique Kwame S. Brathwaite.

Fleurette Africaine

Kwame Brathwaite, modèle Grandassa sur scène, Apollo Theater, Harlem, vers 1968 ; d’après Kwame Brathwaite : Black Is Beautiful (Aperture, 2019) Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Philip Martin Gallery, Los Angeles.

En 1961, Kwame Brathwaite et Elombe Brath ouvrent un studio à côté de l’Apollo Theater sur la légendaire 125e rue de Harlem, élargissant le collectif à l’African Jazz-Art Society & Studios (AJASS). L’AJASS joue un rôle déterminant dans la promotion de l’esprit panafricain aux États-Unis avec le lancement de Naturally ’62 : The Original African Coiffure and Fashion Extravaganza Designed to Restore Our Racial Pride and Standards (Naturally ’62 : l’événement de mode et de coiffure africaine conçu pour restaurer notre fierté raciale et nos standards) au Purple Manor à Harlem le 28 janvier 1982.

En plein hiver, la foule se presse dans le quartier pour faire la queue afin de voir un spectacle interactif de mannequins Grandassa portant des vêtements africains et d’Afros sportifs, accompagnés par la musique soul-jazz jouée en direct par le batteur Max Roach. Les co-animateurs, l’acteur Gus Williams et la chanteuse et activiste Abbey Lincoln, présentent des looks inspirés de différentes régions et tribus africaines, tandis que Brathwaite photographie les tenues qui deviennent rapidement populaires au sein de l’avant-garde. L’événement se déroule à guichets fermés et une deuxième édition a lieu la nuit suivante, créant une demande si forte que les shows commencent à voyager, diffusant le slogan « Black Is Beautiful » dans tout le pays.

Kwame Brathwaite, Grandassa Models à la galerie Merton Simpson, New York, vers 1967 ; d’après Kwame Brathwaite : Black Is Beautiful (Aperture, 2019) Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Philip
Martin Gallery, Los Angeles

« Le jazz était le hip-hop des années 1950. Cette musique abordait des questions sociales et ça signifiait quelque chose pour le public. L’AJASS a été en mesure d’amener les musiciens dans nos communautés pour jouer sur scène, et créer un lien personnel, en particulier lorsque les spectacles Naturally ont vu le jour. Ils sont devenus des « edutainment » – ou l’éducation par le divertissement. Ils vous apportaient le nécessaire de façon géniale, offrant des moments de plaisir aux gens et leur permettant de se rassembler dans des espaces sûrs pour développer leur activisme politique », explique Kwame S. Brathwaite.

« Ils ont créé un pont vers l’Afrique et ont aidé les gens à comprendre que les luttes auxquelles nous étions confrontés, ici en Amérique, étaient similaires à celles qui se déroulaient dans les pays colonisés. Lorsque des personnes venaient d’Afrique pour demander des droits aux Nations Unies, ils les invitaient à Harlem pour trouver des moyens de se soutenir mutuellement. Ils ont créé des organisations pour aider les gens à comprendre que ce qui était montré à la télévision n’était pas exact. L’acceptation de soi et la compréhension de la grandeur de nos ancêtres régissaient tout ce qu’ils faisaient. »

Par Miss Rosen

Miss Rosen est auteur. Basée à New York, elle écrit à propos de l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres et des magazines, notamment TimeVogueArtsyApertureDazed et Vice.

“Black Is Beautiful : The Photography of Kwame Brathwaite” : une exposition au Detroit Institute of Arts, du 8 octobre 2021 au 16 janvier 2022. Le livre est disponible chez Aperture au prix de 40 dollars.

Kwame Brathwaite, Carolee Prince portant ses propres créations de bijoux. Carolee Prince a créé la plupart des bijoux et des coiffes présentés dans l’œuvre de Brathwaite. African Jazz-Art Society & Studios (AJASS), Harlem, vers 1964 ; extrait de Kwame Brathwaite : Black Is Beautiful (Aperture, 2019) Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Philip Martin Gallery, Los Angeles.

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