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Armes, drogues et rock’n’roll : la vie tumultueuse de Jim Marshall

Armes, drogues et rock’n’roll : la vie tumultueuse de Jim Marshall

Un nouveau documentaire retrace les hauts captivants et les bas apocalyptiques du photographe américain Jim Marshall.
Jimi Hendrix filme Janis Joplin en coulisses, Winterland San Francisco, 1968 © Jim Marshall Photography LLC

Jim Marshall est mort paisiblement dans son sommeil en 2010, à l’âge de 74 ans – sans doute la fin la moins probable d’une existence tumultueuse entretenue aux drogues et au rock’n’roll. En provocateur né, Marshall comprend rapidement le pouvoir que l’art a de transformer nos vies. Entre ses mains, l’appareil photo deviendra un outil d’activisme, un enregistreur de l’histoire et une planche de salut.

Qu’il s’agisse d’immortaliser Johnny Cash lors de ses concerts historiques dans les prisons de San Quentin et de Folsom dans les années 1960, ou de voyager avec Joan Baez lors des campagnes d’inscription des électeurs dans le Sud, au plus fort du mouvement des droits civiques, Marshall ne fait qu’un avec son travail. La photographie lui donne un but, l’intègre à une communauté et est un moyen de témoigner de l’amour – autant de choses qui lui échappent parfois lorsqu’il se retrouve seul.

Robby Robertson, Michael McClure, Bob Dylan, Allen Ginsberg dans une allée de San Francisco alley maintenant appelée l’allée Kerouac, 1965 © Jim Marshall Photography LLC

Dans ces moments-là, Marshall cherche des échappatoires, et ses velléités d’automédication se transforment en actes d’automutilation catastrophiques. « Beaucoup de personnes créatives s’enlisent dans la dépendance parce qu’elles sont très sensibles », explique la photographe Amelia Davis, assistante de longue date de Marshall et seule bénéficiaire de sa succession. « Ils entrent en contact avec les gens à un niveau tellement fusionnel qu’ils veulent s’engourdir parce que c’est très lourd, surtout quand on est sur le terrain 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, comme Jim. La photographie c’était sa vie, alors quand il y avait des temps morts, tout ce qu’il avait vu le submergeait et c’en était trop pour lui. »

Amelia Davis, qui a été témoin et souvent victime de la dépendance de Jim Marshall, n’hésite pas à aborder les chapitres les plus sombres de sa vie dans le documentaire Show Me the Picture : The Story of Jim Marshall, qui vient de sortir sur Apple iTunes. Avec la participation de l’acteur Michael Douglas, des musiciens Peter Frampton, Graham Nash et Kamau Kenyatta, et des photographes Anton Corbijn et Bruce Talamon, le film retrace le parcours de Jim Marshall dans la contre-culture jusqu’à ce qu’il devienne l’un des photographes du monde musical les plus influents de tous les temps.

Foule au Woodstock Festival, 1969 © Jim Marshall Photography LLC

Comprendre son homme

Assyro-Américain de première génération, ayant grandi dans la Californie des années 1950, Jim Marshall a toujours eu l’impression d’être un marginal. Orphelin de père, il lutte contre un grave sentiment d’abandon et se console dans l’alcool, les drogues, les armes et les voitures de sport pour canaliser sa rage et son chagrin. C’est en 1959, lorsqu’il achète son premier Leica, que Marshall réussit à dompter les démons qui le rongent.

Il commence à fréquenter les clubs de jazz de la célèbre plage de North Beach, à San Francisco, où il apprend à photographier, avec un appareil manuel et un objectif fixe, des musiciens noirs jouant dans un environnement peu éclairé. Il achète alors ses pellicules en gros et les fait défiler, prenant soin de ne jamais perdre une image.

Miles Davis, Ile de Wight, 1971 © Jim Marshall Photography LLC
John Coltrane, dans son jardin dans le Queens New York au coucher du soleil, 1963 © Jim Marshall Photography LLC

Aujourd’hui, les légendes du jazz tels Miles Davis, John Coltrane, Thelonious Monk et Nina Simone sont célébrées pour leur génie – mais à cette époque, ils subissent l’indignité et la monstruosité du racisme et de la ségrégation, comme toute la communauté noire. « Lorsque Jim a découvert la photographie, il a voulu l’utiliser comme un outil pour attirer l’attention sur des personnes et des problèmes qui méritaient qu’on s’y intéresse », explique Amelia Davis. « Jim avait cette capacité de sensibiliser les gens à ce qu’il ressentait, et il est important pour les photographes de comprendre ce pouvoir. »

Une pièce à la fois

Bien que d’un tempérament conflictuel, dès qu’il se saisit d’un appareil photo, Jim Marshall devient le plus consensuel des alliés. Qu’il photographie Jimi Hendrix, Janis Joplin ou Jim Morrison – les membres fondateurs du Club des 27 – il comprend l’humanité profonde cachée sous le talent et la célébrité. Ses images nous donnent à voir des artistes ou des célébrités qui ont baissé la garde, détendus et en confiance.

Jimi Hendrix répète, Pop Festival Monterey California, 1967 © Jim Marshall Photography LLC
Janis Joplin en coulisses, Winterland San Francisco © Jim Marshall Photography LLC

« Ils se sont livrés à Jim, lui dévoilant leur vulnérabilité et l’autorisant à la capter. Et c’est très rare », dit Amelia Davis. « Jim avait une personnalité très caméléon et s’adaptait aux personnes qu’il avait face à lui pour les mettre à l’aise. S’il était avec des musiciens country comme Kris Kristofferson ou Greg Allman, il pouvait s’installer sur le porche à boire des bières et tirer au fusil. Il se fondait dans leur monde et se rapprochait d’eux au point de créer une intimité, quel que soit le milieu. »

Amelia Davis, qui vient tout juste de voyager à travers le pays pour une série d’avant-premières, observe combien le public s’est senti proche de Marshall, que l’on voit s’exprimer longuement et en toute franchise dans des séquences d’archives. « Je pense que ce qui attire les gens, c’est qu’il était si humain », avance Davis. Il disait : « “Voilà qui je suis. Libre à vous de m’aimer comme je suis, ou pas. J’en ai rien à foutre.” Sa personnalité éclate et elle inonde ses images. Il partage avec vous ce qu’il a ressenti. »

Kris Kristofferson, dimanche matin au Hyatt House, 1969 © Jim Marshall Photography LLC

Marcher sur la ligne

Toute sa vie, Jim Marshall a défendu les opprimés, comprenant le fait de sans cesse devoir de prouver sa valeur. Il est connu comme photographe de rock and roll, mais ainsi que le révèle Show Me the Picture, il représente aujourd’hui bien plus que cela: un personnage compliqué et toujours en conflit, recherchant désespérément l’amour tout en repoussant les gens. Homme agressif et fatigant, il saura se montrer profondément respectueux et révérencieux avec ceux qui défendaient la vérité.

Un principe compris par Amelia Davis et qui lui a donné la force nécessaire pour tenir bon aux côtés de Marshall les treize dernières années de sa vie. « J’ai découvert toute son œuvre et je ne voulais pas qu’elle se perde », se souvient-elle. « Je voulais que le monde puisse aussi en profiter, c’est pourquoi je suis restée. Nous avons construit une relation incroyable et il ne m’a pas caché sa vulnérabilité, sachant que je ne lui ferais pas de mal et que je ne partirais pas. Je ne pense pas qu’il ait connu ça avant. »

Sly Stone Woodstock Festival, 1969 © Jim Marshall Photography LLC

À la mort de Marshall, Davis a hérité de ses droits et elle s’est alors donnée pour mission de faire connaître son travail au grand public. Éditrice de Jim Marshall : Show Me the Picture – Images and Stories from a Photography Legend, Davis a imaginé une fantastique plongée dans les archives de Marshall, dans laquelle seule une initiée pouvait se lancer, sachant que l’on ne peut séparer le message du messager. Ce qui rend l’œuvre de Marshall si remarquable, c’est Marshall lui-même, un homme qui, à bien des égards, incarna le schisme au cœur même de ces guerres culturelles américaines, qui commencèrent dans les années 1960, lorsque ces photographies furent réalisées.

Par Miss Rosen

Miss Rosen est auteur. Basée à New York, elle écrit à propos de l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres et des magazines, notamment TimeVogueArtsyApertureDazed et Vice.

Show Me the Picture : The Story of Jim Marshall est disponible en streaming sur Apple et iTunes.

Jim Marshall dans son appartement à San Francisco au début des années 1970 © Jim Marshall Photography LLC
Manifestation de musiciens noirs à North Beach San Francisco, 1960
Famille Monk, NYC, 1963 © Jim Marshall Photography LLC
Femme dans le public, NYC, 1963 © Jim Marshall Photography LLC

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