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Il y a 100 ans, la Suède

Il y a 100 ans, la Suède

Photographe autodidacte, John Alinder a passé sa vie dans l’Uppland, une région au nord de Stockholm. Pour la première fois, un livre rassemble les portraits qu’il a réalisés des habitants de son village. Des images atypiques pour l’époque où le jardin se fait studio pour mieux faire ressortir la nature des modèles.
 © Upplandsmuseet, John Alinder

Bienvenue dans la Suède rurale du début du XXe siècle. Devant l’objectif de John Alinder (1878-1957), c’est tout le bourg qui prend la pose. Certains endimanchés, d’autres en tenue de travail. En groupe, seuls ou avec leurs animaux de compagnie. Ces portraits ne sont pas sans rappeler ceux d’August Sander, même s’il s’en dégage plus de douceur. « Alors que certains semblent avoir progressivement oublié l’appareil photo, d’autres posent délibérément pour le photographe. Mais tous, enfants et adultes issus des différentes couches sociales du village, sont conscients d’eux-mêmes lorsqu’ils se tiennent devant son appareil. Malgré la distance dans le temps, les photographies apparaissent sans intermédiaire et accessibles », analyse le curateur allemand Thomas Weski en ouverture du livre John Alinder. Portraits 1910-32. Publié cet été aux éditions Dewi Lewis, l’ouvrage présente 126 des 8 421 plaques de verre que compte le fonds de John Alinder.

Au milieu des années 1980, ces clichés ont été exhumés des caves d’une bibliothèque par Iréne Flygare, curatrice de l’Upplands museet, le musée de l’Uppland, la région de John Alinder, située au nord de Stockholm. « L’importance d’une bonne photographie augmente avec chaque année qui passe depuis la prise de vue. Pas tant parce que l’importance en elle-même s’accroît, mais parce que nous prenons conscience de sa valeur lorsque l’environnement change et que les comparaisons s’empilent. Nous réalisons alors comment les choses se perdent au fur et à mesure de l’inexorable avancée du temps », théorise l’autrice Jenny Maria Nilsson en conclusion du livre. Cela explique sûrement la saveur doucement nostalgique de ces images.

 © Upplandsmuseet, John Alinder
 © Upplandsmuseet, John Alinder
 © Upplandsmuseet, John Alinder

Mais au fil des pages, c’est moins les différences avec ces personnes d’un autre siècle qui sautent aux yeux que nos ressemblances. Le sourire radieux de ce garçonnet perché dans un arbre avec un homme (son père ?). La silhouette gauche et empruntée de l’adolescence. L’affection et la fierté éprouvées à l’égard de nos fidèles compagnons à poils. Il y a toujours quelque chose de profondément émouvant à se reconnaître dans une personne dont tout, notamment les années, semble nous éloigner. « Les portraits allient solennité et naturel, l’humanité est exaltée sans affectation, et le photographe a donné de l’air aux individus, sans jamais lésiner sur l’espace qui les entoure. Cela donne un sentiment de liberté », poursuit Jenny Maria Nilsson.

Photographe autodidacte, John Alinder apparaît lui aussi sur quelques-unes de ses images. On saisit alors à quel point ses photos peuvent lui ressembler. Sur l’un des clichés, il pose chargé de tout son attirail. Sur un autre, le voilà pieds nus dans l’herbe, pantalon remonté bien haut sur les mollets. Il semble tout à la fois doux et malicieux, avec une dose d’anticonformisme. Sa biographie confirme cette dernière impression. Fils d’agriculteur, il refuse de reprendre la ferme familiale (à une époque où c’était synonyme d’une bonne situation) pour se consacrer à la photo. Cela ne l’empêchera pas d’avoir d’autres activités à côté comme… tenir un bar clandestin. S’il apparaît un peu rebelle, il choisit pourtant de rester toute sa vie dans son village. C’est peut-être là le secret de ses images. Ses sujets sont ses voisins, ses amis, les membres de sa communauté. Mais il arrive à faire un petit pas de côté et montre les gens tels qu’ils sont réellement, dans leur univers quotidien.

Par Laure Etienne

Laure Etienne est une journaliste basée à Paris, ancienne membre de la rédaction de Polka et ARTE.

« John Alinder. Portraits 1910-32 », avec des textes de Thomas Weski et Jenny Maria Nilsson, éd. Dewi Lewis Publishing, 256 pages, 36£.

 © Upplandsmuseet, John Alinder
 © Upplandsmuseet, John Alinder
 © Upplandsmuseet, John Alinder

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