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Laia Abril. Le mal profond de la « culture du viol »

Laia Abril. Le mal profond de la « culture du viol »

La jeune artiste barcelonaise présente à Paris le second volet de son projet A History of Misogyny : On Rape (autour du viol). Un témoignage fort et juste sur les agressions subies par les femmes dans le monde et la responsabilité des institutions.

Chastity Belt, 2019. From series Historical Rape, On Rape. © Laia Abril / Courtesy Galerie Les filles du calvaire

Été 2016, Espagne. Lors des fêtes de Pampelune, une jeune femme est violée par cinq hommes. La justice espagnole les condamne dans un premier temps pour abus sexuel et non pour viol, car la victime n’avait pas protesté. C’est le point de départ du nouveau projet de Laia Abril : On Rape (autour du viol). Après l’exposition On Abortion, présentée aux Rencontres d’Arles en 2016 et plusieurs fois récompensée, la jeune artiste espagnole poursuit son oeuvre A History of Misogyny avec ce deuxième chapitre consacré à la « culture du viol » institutionnalisée dans le monde.  « Il est difficile de prévenir un viol, de l’anticiper. Mais lorsque vous souffrez de l’ignorance des institutions, c’est comme une seconde agression. J’ai choisi cet angle parce que c’est ce que l’on peut régler le plus facilement », explique-t-elle.  

Mêlant photographies, archives, installations sonores et vidéos, Laia Abril livre une oeuvre poignante et très renseignée. Mais pour l’artiste née en 1986, son projet n’est pas un travail documentaire, ni journalistique, « c’est davantage un essai visuel ». 

Ala Kachuu, [Bride Kidnapping], Kyrgyzstan, 2019. From series Power Rape, On Rape © Laia Abril / Courtesy Galerie Les filles du calvaire 

Milliers de témoignages

La première pièce est frappante. Huit grands cadres photo se dressent sur chaque pan de mur. Un uniforme de l’armée américaine, une burqa, une robe de mariée traditionnelle du Kirghizistan, un habit de religieuse… Tous ces vêtements ont été photographiés de la même façon, posés sur le sol, dans un noir et blanc épuré. Au-dessus de ces huit photographies, des témoignages de femmes agressées sexuellement. La plupart des habits proviennent de ces victimes. Les photos sont symboliques, puissantes. Sans visages. « Je n’ai pas pris de portrait des victimes pour montrer que ça ne concerne pas seulement un cas, mais que c’est beaucoup plus répandu », explique Laia Abril.  

Il y a cette photographie d’une petite robe d’écolière. Touchante et terrible à la fois. Elle appartient à la fille de Melissa. Cette mère colombienne raconte comment son enfant de 5 ans, et une vingtaine d’autres, ont été abusés sexuellement par un professeur. Et comment l’école a tout fait pour la faire taire. Les récits heurtent, donnent une dimension tragique à ces images de tissus inertes. « Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Vous n’imaginez pas le nombre de témoignages que j’ai reçu, des milliers de courriels », ajoute la jeune artiste. 


Cilicio, 2019. From series Punishment, On Rape © Laia Abril / Courtesy Galerie Les filles du calvaire

Un regard sobre et documenté 

La deuxième partie est un voyage dans le temps, résultat de ce travail minutieux d’enquête. Un parcours historique des violences faites aux femmes dans le monde, au fil des siècles. « L’ensemble permet de comprendre pourquoi des mythes perdurent, pourquoi certains pays appliquent certaines lois. Ça ne vient pas de nulle part, et ce n’est pas un hasard si ça arrive », décrit-elle. 

Le noir et blanc est brut, ténébreux.  Des photos d’une ceinture de chasteté, d’une muselière en fer pour les femmes « trop bavardes » donnent l’impression d’un musée de la torture. À ces images et documents sonores répondent des citations tout aussi insupportables. « If it’s inevitable, just relax and enjoy it », peut-on lire au sujet du viol. Phrase d’un candidat au poste de gouverneur du Texas en 1990. Pour Laia Abril, « ces mots disent tout. Ce n’est pas comme si vous les lisiez dans un article, ici elles sont aussi importantes que les images, si ce n’est plus ». 


Shrinky Recipe, 2019. From series Testing Virgins, On Rape © Laia Abril / Courtesy Galerie Les filles du calvaire (

Poursuivre le combat

Autre réalisation marquante, ces 3 000 portraits de prêtres accusés, parfois condamnés, pour abus sexuel, viol ou agressions. Un verre fumé ne permet pas de voir distinctement leurs visages, même en s’approchant. « C’est une métaphore pour montrer comment ces gens ne sont pas punis par la société. Quand on cherche à les juger, ils deviennent comme invisibles et s’en sortent », précise-t-elle. 

Laia Abril livre ici un véritable plaidoyer pour le changement des mentalités, notamment par le prisme de la photographie : « Elle me permet de rendre plus accessible la problématique du viol », explique-t-elle. Une démarche nécessaire sur un sujet encore trop rarement abordé. « On ne doit pas seulement en parler, il faut agir. Cela prend du temps et du courage », ajoute la jeune femme.


Militar Rape, US, 2019. From series Power Rape, On Rape © Laia Abril / Courtesy Galerie Les filles du calvaire

Par Michaël Naulin

A history of Misogyny chapter two : On rape

Jusqu’au 22 février 2020

Galerie des Filles du Calvaire

17 Rue des Filles du Calvaire, 75003 Paris. 

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