À la biennale photographique de Porto, une interconnexion nécessaire

Jusqu’au 29 juin 2025, la Bienal’25 Fotografia do Porto expose une cinquantaine d’artistes au cœur de la ville lusitanienne. Une édition portée par un thème, Demain/Aujourd’hui, ainsi qu’une volonté de faire force par la collaboration.

C’est sous le soleil printanier de Porto, au détour des façades à mosaïque emblématiques de la ville que s’ouvre l’édition 2025 de la Bienal Fotografia. Un événement construit en quatre chapitres : « Vivificar », un cycle de résidences chez l’habitant en milieu rural non loin du Douro, « Conectar », une plateforme de curation concevant des expositions collaboratives visant à faire dialoguer divers écosystèmes, « Sustentar », un laboratoire créatif reposant sur les échanges entre scientifiques et artistes et pensé pour promouvoir des œuvres traitant de la notion de durabilité et « Expendir », un programme dédié aux auteurs émergents travaillant aux frontières de la recherche et de la création pour imaginer des modèles socioécologiques inédits.

En fil rouge, une volonté commune : celle de faire bouger les choses et évoluer les points de vue par le partage. « Si l’art peut être réalisé seul, il dépend aussi de nos interactions. Ici, nous nous questionnons : comment communiquer pour produire ? Trouver une nouvelle forme de responsabilité ? Certains de ces projets peuvent véritablement influencer certaines perceptions si suffisamment de personnes y travaillent en collaborant », affirment d’ailleurs les directeurs artistiques de l’édition, Jayne Dyer et Virgilio Ferreira. 

© Luca Locatelli, Future Studies. Clouds rising from geothermal wells in Hellisheidi Power Station in Iceland; August 6, 2019.
© Luca Locatelli, Future Studies. Nuages ​​s’élevant des puits géothermiques de la centrale électrique d’Hellisheidi en Islande ; 6 août 2019.
© Lara Jacinto, No tempo das cerejas, 2025
© Lara Jacinto, No tempo das cerejas, 2025
© Lara Jacinto, No tempo das cerejas, 2025
© Lara Jacinto, No tempo das cerejas, 2025
© Sheung Yiu, Between Two Trees, There are Many Worlds, 2023
© Sheung Yiu, Entre deux arbres, il y a plusieurs mondes, 2023

Ce sont donc 51 auteurs et 14 commissaires d’expositions qui convoquent, au cœur de 16 expositions, cette notion d’échanges. Dans des lieux symboliques – le Musée national Soares Dos Reis la Galerie Municipal do Porto ou encore le Centro Português de Fotogafia – comme dans des endroits plus singuliers – une station de métro, une librairie ou même un théâtre – les photographes déploient leurs œuvres non sans originalité. Partout, les écrans remplacent les simples cadres et les vidéos font écho aux images fixes.

On y trouve, tour à tour, des visions fantasmagoriques de paysages fantasmés, des communautés oubliées ou déchirées par une guerre écologique implacable, et des fulgurances poétiques révélant l’horreur – parmi celles-ci, Mid-Air Collisions de Kathrin Stumreich. Au cœur du Désert des Mojaves, les panneaux solaires font monter la température des rayons lumineux qu’ils renvoient à plus de 1000°F. Les oiseaux qui s’engouffrent dans ces couloirs invisibles tracés dans le ciel s’embrasent alors, formant des volutes blanches qui tourbillonnent et chutent, comme une danse macabre que l’artiste immortalise en vidéo.

La transe par la lumière

Au cœur de cette effervescence créative, des résonances se tissent et des écritures se répondent. C’est au sein du centre de photographie, ancienne cour d’appel puis prison de Porto, que se déploie « Lightseekers », une exposition croisant les regards de Claudia Andujar, SMITH, Hoda Afshar, Christo Geoghegan et le collectif Pariacaca. Imaginé par le curateur Sergio Valenzuela-Escobedo, l’évènement fait la part belle à la lumière, celle qui nourrit la photographie, celle des mythes et légendes, comme celles des métropoles modernes. « Je m’intéresse au lien entre le médium et l’histoire de l’Amérique latine, explique le curateur. Lorsque l’appareil photo est arrivé sur le continent, certaines communautés de natifs l’ont associé aux attrape-rêves, elles craignaient que le boîtier capture leurs âmes. Aujourd’hui, ce dernier est vu comme un outil permettant de se battre. »

© Dami (Fulmen), SMITH 2023-2024, courtesy Galerie Christophe Gaillard
© Dami (Fulmen), SMITH 2023-2024, courtesy Galerie Christophe Gaillard
© Dami (Fulmen), SMITH 2023-2024, courtesy Galerie Christophe Gaillard
© Dami (Fulmen), SMITH 2023-2024, courtesy Galerie Christophe Gaillard
© Pariacaca, Huarochirí - Destruction Of Shadows And The Dawn Of Days
© Pariacaca, Huarochirí – Destruction des ombres et l’aube des jours
© Pariacaca, Huarochirí - Destruction Of Shadows And The Dawn Of Days
© Pariacaca, Huarochirí – Destruction des ombres et l’aube des jours

Comment, alors, représenter les nuances de cette lumière ? Ce qu’elle symbolise ? Est-elle celle de la révélation de la fin du monde – ce que le catholicisme nomme l’apocalypse ? Ou bien sert-elle à éclairer les enjeux contemporains ? « Au sein de l’exposition, j’ai voulu mettre en avant les lumières humides et sèches, celles des forêts, des ombres et des rituels, de la noirceur qui entre, et celle des déserts, qui abonde en excès, nous propulsant plus près de Dieu, par cette injonction “d’aller vers la lumière“ », poursuit Sergio Valenzuela-Escobedo. 

Des Yanomami d’Amazonie, photographiés brillamment par Claudia Andujar aux croyances venteuses d’une île au sud de l’Iran traversée par les bourrasques réinterprétées par Hoda Afshar, en passant par la chasse aux sorcières ciblant les chamans au Pérou de Christo Geoghegan. De l’histoire métaphorique d’une étoile imaginée au-dessus de Lima à travers une installation vidéo hallucinatoire conçue par Pariacaca aux allégories thermiques de SMITH convoquant les notions d’interconnexion entre tous les êtres, « Lightseekers » s’affranchit de toute temporalité pour faire dialoguer légendes et technologies, visible et invisible. En émerge une forme de transe, spectre étrange se mouvant d’accrochage en accrochage pour ancrer dans cet espace commun ces minorités que l’on menace d’effacer.

© Christo Geoghegan, Witch Hunt Vol. I - The Banished of Balsapuerto, 2016-2023
© Christo Geoghegan, Chasse aux sorcières Vol. I – Les bannis de Balsapuerto, 2016-2023
Yanomami hut on fire. Catrimani, Roraima, Brazil, 1972-1976. © Claudia Andujar & The Yanomami Struggle, Claudia Andujar Collection / Moreira Salles Institute
Hutte yanomami en feu. Catrimani, Roraima, Brésil, 1972-1976. © Claudia Andujar & La Lutte Yanomami, Collection Claudia Andujar / Institut Moreira Salles
Roraima, Brazil, 1976. © Claudia Andujar & The Yanomami Struggle, Claudia Andujar Collection / Moreira Salles Institute
Maloca près de la mission catholique sur le fleuve Catrimani. Roraima, Brésil, 1976. © Claudia Andujar & La Lutte Yanomami, Collection Claudia Andujar / Institut Moreira Salles
© Pariacaca, Huarochirí - Destruction Of Shadows And The Dawn Of Days
© Pariacaca, Huarochirí – Destruction des ombres et l’aube des jours

D’une salle à l’autre, vidéo, photographie, dessins et documents de recherches incitent ainsi le visiteur à suivre les lumières. Celles qui guident et qui, en guidant, révèlent les territoires comme les existences en marge, celles qui nous plongent dans une fascination méditative et nous rappellent que nous sommes humains. 

La Bienal’25 Fotografia do Porto est visible dans plusieurs lieux de Porto jusqu’au 29 juin 2025.

© Augusto Brázio, Incision, 2025
© Augusto Brázio, Incision, 2025

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