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À la redécouverte de « Soviets » de Shepard Sherbell, 30 ans après

Une vente de charité des clichés du photojournaliste se tient à la Ki Smith Gallery, en partenariat avec la Collection MUUS, pour récolter des dons en faveur du média ukrainien, The Kyiv Independent.
Shepard Sherbell
Untitled (Turkménistan). © Shepard Sherbell, avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Collection MUUS.
Shepard Sherbell
«Untitled (Réunion des officiers de l’armée ukrainienne, Kiev). Mars 1992.» © Shepard Sherbell, avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Collection MUUS.

Au début des années 1990, Shepard Sherbell a été envoyé en URSS par l’hebdomadaire allemand Der Spiegel pour y photographier son crépuscule. En tant que photojournaliste, il avait documenté plusieurs présidences américaines, ainsi que l’invasion de la Grenade et la révolution nicaraguayenne, parmi d’innombrables autres événements historiques. Maintenant, il avait pour mission d’immortaliser la dissolution d’une superpuissance, l’URSS qui était en train de s’effondrer. Des années plus tard, ces photos feront l’objet d’un livre primé intitulé Soviets : Pictures from the End of the USSR, qui contient plus de 200 images en noir et blanc illustrant la vie quotidienne des populations des quinze anciennes républiques soviétiques que Sherbell a rencontrées. Dans le cadre d’une nouvelle exposition en ligne, la galerie Ki Smith, en partenariat avec la collection MUUS, vend 50 tirages de cette série et fait don de l’intégralité des recettes à The Kyiv Independent afin de soutenir le reportage indépendant et le photojournalisme durant la guerre en Ukraine.

L’un des clichés les plus frappants montre un mineur de fond en train de fumer, moucheté par la neige blanche qui tombe autour de lui, contraste saisissant avec la poussière noire qui recouvre ses mains et son visage buriné par le temps. Comme les mineurs derrière lui, il tient les restes d’une cigarette allumée : selon Sherbell, les mineurs fumaient la moitié d’une cigarette le matin et gardaient la seconde moitié pour la fin de leur éreintante journée de travail, un rationnement nécessaire car les travailleurs gagnaient l’équivalent de 30 dollars par mois.

Shepard Sherbell
«Après le déjeuner dans le camp de travail pour garçons de Dimitrovgrad, les détenus se rassemblent dans la cour pour fumer, quel que soit le temps. Février 1992.» © Shepard Sherbell, avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Collection MUUS.
Shepard Sherbell
«Près du camp d’exploration gazière de Bovorenkovo. L’une des raisons pour lesquelles les gens ne conduisent pas ici est que, de septembre à mai, il est impossible de suivre la route sous la neige, à moins que des poteaux téléphoniques ne se trouvent à côté. Péninsule de Yamal, Sibérie occidentale. Février 1992.» © Shepard Sherbell, avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Collection MUUS.

Les images de Sherbell décrivent un monde morne recouvert d’un manteau de neige ; une photo, prise en Sibérie occidentale, montre des poteaux téléphoniques plantés dans la neige, s’étendant à l’infini le long de la route et devenant de plus en plus petits. Le blanc de la neige et celui du ciel sont pratiquement indiscernables. Puis viennent des reliques du régime : des affiches de Gorbatchev ou une série de statues qui se dressent triomphantes dans un champ solitaire. 

Outre les paysages qu’il a traversés, Sherbell a capturé les conséquences de l’effondrement du régime sur la population. Une image particulièrement déchirante montre une femme âgée au visage inquiet le jour où les prix des denrées alimentaires ont été déréglementés, une mesure qui a plongé dans le désespoir des populations déjà appauvries.

Shepard Sherbell
«Dans la lampisterie après son service dans la mine de charbon de Gorky, heureux comme tous les mineurs de fond du monde entier d’être à nouveau “à la surface”, près de Donetsk, région du Donbass, Ukraine. Février 1992.» © Shepard Sherbell, avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Collection MUUS.
Shepard Sherbell
«Aujourd’hui est le jour tant redouté où les prix des produits alimentaires sont décontaminés, à l’exception du lait et du pain, dans la majeure partie du pays. C’est la première fois que ces acheteurs assistent à une hausse drastique des prix des denrées de base comme la viande, la saucisse et les œufs. Ainsi commence le “Big Bang” que les économistes occidentaux prescrivent pour les maux économiques de l’Union. Pour la deuxième fois en soixante-quinze ans, les Russes vont se voir imposer une idée économique complètement nouvelle et obligatoire. Élevés dans la croyance que l’État va subvenir à leurs besoins, ces gens apprennent qu’ils font aussi partie de l’expérience. Ekaterinburg, Russie. Février 1992.» © Shepard Sherbell, avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Collection MUUS.
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«Messe dominicale, église orthodoxe roumaine, Dubassary, Moldavie. Juillet 1993.» © Shepard Sherbell, avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la Collection MUUS.

Trente ans plus tard, Soviets est un rappel des risques d’un pouvoir étatique sans limites, et de la détresse des civils en temps de conflit. Alors que la Russie poursuit son invasion de l’Ukraine, les images de Sherbell sont plus que jamais d’actualité. La résilience dont font preuve les Ukrainiens face à une guerre sans précédent rappelle ce qu’écrit l’auteur Serge Schmemman dans l’introduction de Soviets : « Je sais que le temps passé dans… ce monde en noir et blanc que Shepard Sherbell a capturé restera en moi pour toujours. C’est là que j’ai découvert la cupidité et la cruauté d’un pouvoir étatique incontrôlé, et c’est là que j’ai découvert l’énorme capacité de l’esprit humain à persévérer. »

«Shepard Sherbell : Soviets», exposition en ligne, Ki Smith Gallery, New York, à voir jusqu’au 1er juillet.

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