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À Mombasa, un studio photo témoin de l’indépendance du Kenya

Les archives du photographe indien N.V. Parekh révèlent la création d’un unique espace d’évasion, à travers le portrait photo.

En 1942, le photographe indien N.V. Parekh (1923-2007) et son frère Chandulai ouvrent le Victory Studio à Mombasa, au Kenya. La philosophie de la maison : « Un bon portrait est un investissement heureux qui rapporte des intérêts pour les années à venir. Laissez-nous réaliser votre portrait grandeur nature. Prenez rendez-vous pour une séance maintenant avant d’oublier dans notre studio moderne. »

Parekh a à peine 20 ans à l’époque. Il est venu à la photographie par pur hasard. Après le décès de son père, qui en 1939 dirige un studio photo, le jeune homme doit trouver un emploi. L’année suivante, il commence ainsi à travailler pour un ami de la famille qui exploite un studio photo, apprend le métier et se met à son compte. En peu de temps, N.V. Parekh devient l’un des photographes portraitistes les plus recherchés d’Afrique de l’Est. 

Quatre femmes à Mombasa, Afrique, I Am Sparkling © N.V. Parekh
© N.V. Parekh

Au cours des décennies qui précèdent l’indépendance du Kenya en 1963, il va produire un nombre extraordinaire d’images sur cette période. Une archive restée discrète jusqu’en 2000, date à laquelle Isolde Brielmaier, doctorante en histoire de l’art à l’université de Columbia (Etats-Unis), exhume ce chapitre caché de l’histoire de la photographie d’Afrique de l’Est. Une histoire à découvrir dans le récent livre intitulé I Am Sparkling: N.V. Parekh and His Portrait Studio Clients, Mombasa, Kenya, 1940–1980.

Glamour et fantaisie

Alors que le Kenya se dirige vers l’indépendance au milieu du 20e siècle, le Victory Studio devient alors un espace de possibilités. Les clients y sont libres d’imaginer, d’explorer et de jouer avec l’expression de leur identité. Le portrait, qui est à la fois une construction et une ressemblance, devient pour ces gens un moyen d’exprimer leurs rêves et leurs aspirations, composant par la même occasion une image pour la postérité.

« Le terme “photographie” semble à bien des égards inapproprié pour qualifier la manière dont de nombreux habitants de Mombasa ont décrit leurs expériences dans le studio », révèle Isolde Brielmaier dans l’introduction du livre. Les clients du studio avec lesquels Brielmaier s’est entretenue parlent ainsi davantage de l’interaction entre le sujet et le photographe que de la photo elle-même. 

Femme portant un bouquet de fleurs, Mombasa, Afrique © N.V. Parekh
© N.V. Parekh
I Am Sparkling © N.V. Parekh
© N.V. Parekh

La performance est un élément central dans le travail du photographe N.V. Parekh. Devant son objectif, les modèles sont libres de se réinventer et de transcender les marqueurs de classe, de religion, de statut, de sexe et d’origine ethnique. Certains se sont inspirés des écrans d’Hollywood ou de Bollywood pour mettre en avant leurs idéaux, dans des photos assez glamour voire fantaisistes. 

« Le film indien parle de romance et de rêves », explique Parekh à Brielmaier. « Je pense que les gens vont voir des films pour échapper à la réalité, aux épreuves de la vie. Ils voient leurs rêves se réaliser à l’écran, à travers un monde de performance, de beauté, de musique….. Et c’est exactement ce que j’ai essayé de reproduire en studio en prenant ces photographies cinématographiques. »

Couple, Mombasa,  I Am Sparkling © N.V. Parekh
© N.V. Parekh

« Je suis étincelante »

Fait marquant : les clients de N.V. Parekh ont d’abord été des Africains d’Asie, puis des membres des communautés swahilies, notamment dans les années qui ont suivi l’indépendance avec la montée d’une bourgeoisie urbaine. « C’est l’idée d’une nouvelle identité urbaine, fière, qui s’efforce de réussir, qui acquiert, figure en bonne place dans de nombreux portraits (mais pas tous) réalisés dans les années 1960 et 1970 », écrit Isolde Brielmaier. 

Femme Mombasa © N.V. Parekh
© N.V. Parekh
Couper Mombasa © N.V. Parekh
© N.V. Parekh

Au cours de ces années, les images de N.V. Parekh s’opposent aux codes imposés par la colonisation. Le photographe préfère l’idéal à la réalité, préférant mettre en valeur le meilleur profil de ses modèles plutôt que de montrer les réalités peu flatteuses de la vie. « Une photographie doit faire appel aux yeux et au cœur », déclare t-il, en expliquant son idée du « vrai portrait ».

Dans le livre, on découvre aussi un entretien avec l’une de ses clientes, Mme Uweso, qui a rendu plusieurs fois visite à Parekh au cours de sa vie, pour des « photos glamour » qu’elle pouvait accrocher chez elle ou offrir à son mari. « Je voulais voir à quoi je ressemblerais à différents moments de ma vie, et ce type de photos m’en donnait l’occasion. Elles m’ont fait réfléchir à qui j’étais et parfois à qui je voulais être : elles pouvaient me rappeler ce que je voulais faire dans ma vie. »

Femme apprêtée Mombasa © N.V. Parekh
© N.V. Parekh

« C’est à cela que sert la photographie… à garder une trace de soi, de ses pensées et de toutes les choses qui peuvent arriver dans une vie. Dans ce studio, je pouvais rêver. Regardez la lumière, l’éclat… c’est comme si je flottais dans un autre monde. Je suis étincelante. »


I Am Sparkling: N.V. Parekh and His Portrait Studio Clients, Mombasa, Kenya, 1940–1980 est publié par Damiani, € 45.00.

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