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Bill Eppridge, un regard vivant sur l’Amérique des années 1960 

Une exposition retrace l’héritage du photojournaliste américain, chroniqueur d’une époque troublée de son pays.

« Être journaliste n’implique pas nécessairement que l’on soit “artiste”, mais l’on ne peut faire passer son message sans des photographies qui exigent du temps pour les explorer »,  déclare Bill Eppridge (1938-2013). Photojournaliste accompli, l’un des plus remarquables du 20ème siècle, Eppridge a illustré les événements clés de son époque, donnant à voir les heures difficiles d’une nation. Qu’il s’agisse de consigner la guerre du Vietnam, Woodstock et le mouvement des droits civiques, ou encore de témoigner de la fin tragique de la campagne présidentielle du sénateur Robert Kennedy, Eppridge a mis l’humain au cœur du reportage.

Motocyclistes faisant la course dans le désert de Mojave, 1971. © Bill Eppridge Courtesy of Monroe Gallery of Photography
Woodstock, repos sur des voitures, 1969. ©Bill Eppridge Courtesy of Monroe Gallery of Photography
Woodstock, repos sur des voitures, 1969. ©Bill Eppridge Courtesy of Monroe Gallery of Photography

Dans l’Amérique des années 1960, les jeunes galeristes Sid et Michelle Monroe ont été frappés par le travail d’Eppridge publié dans LIFE, à une époque où le célèbre magazine influençait grandement la perception des nouvelles, de la gloire, de la mode et de la vie moderne. « Grâce à cette publication hebdomadaire, des dizaines de millions de foyers ont pris conscience d’événements qui leur seraient restés inconnus », expliquent les Monroe, organisateurs de l’exposition « The Legacy of Bill Eppridge » qui rend hommage à l’apport considérable du photographe à son médium.

Remarquable, à leurs yeux, est le reportage d’Eppridge sur John et Karen, héroïnomanes newyorkais, publié dans un numéro de février 1965 de LIFE. Des années avant le Tulsa de Larry Clark, qui révèle l’impact déchirant de la drogue et du désespoir sur le pays, Eppridge s’est parfaitement intégré à un monde qui lui était étranger. « Il a été arrêté par les flics qui voulaient savoir où il avait volé son appareil photo, pensant qu’il cherchait à le revendre contre de la drogue », se souviennent les Monroe.

Les images ténébreuses d’Eppridge d’un « couple ordinaire » vivant dans l’Upper West Side de Manhattan défient les stéréotypes, et interrogent la stigmatisation de la dépendance. Selon les Monroe, « de nombreux Américains n’auraient pas été confrontés, sans les photographies de Bill réalisées pour LIFE, à une vision profonde de la contre-culture, de la politique et des questions raciales. »

Barbra Streisand, 1963
Barbara Streisand dans sa cuisine, Brooklyn, NY, 1964. ©Bill Eppridge Courtesy of the Monroe Gallery of Photography

« Monsieur Life Magazine »

La carrière photographique de Bill Eppridge prend de la vitesse l’année de sa licence à l’école de journalisme de l’Université du Missouri. Il participe  à un concours de photographie et remporte le premier prix : un stage d’une semaine chez LIFE. Après avoir obtenu son diplôme, il travaille pour National Geographic, puis il est embauché comme photographe par LIFE en 1964. Il collabore avec l’hebdomadaire jusqu’en 1972, date à laquelle le magazine devient mensuel, signe ensuite un contrat avec Time Inc., et travaille pour TIME, Fortune et People avant d’être recruté par Sports Illustrated, en 1977.

En 2005, Eppridge et sa femme Adrienne contactent Sid et Michelle Monroe, pour en savoir plus sur la représentation d’un travail par une galerie. « Cela peut sembler presque inimaginable, mais comme tant d’autres photojournalistes, Bill n’avait jamais cherché à être exposé ni à vendre ses tirages », rapportent les Monroe. « Au départ, il se méfiait des galeries, mais nous sommes vite devenus amis, et nous avons passé des heures à discuter de toutes sortes de sujets, des plus banals aux plus élevés. La patience de Bill était incroyable, il prenait tout son temps pour expliquer en détail la manière dont il avait réalisé une photographie. »

Skateboarder, New York, 1965 ©Life Picture Collection/Bill Eppridge
Skateboarder, New York, 1965 ©Life Picture Collection/Bill Eppridge Courtesy of Monroe Gallery of Photography

Les Monroe décrivent Eppridge comme curieux et passionné par le caractère des gens, ce qui lui permettait de mieux comprendre ce qu’il photographiait. En même temps, il s’assure que sa présence n’interfère pas avec les scènes qui ont lieu devant son objectif. Alors qu’ils couvraient l’arrivée des Beatles en Amérique, les Monroe ont rencontré Ringo Starr, qui a demandé à Eppridge : « Qu’est-ce qu’on peut faire pour vous, Monsieur Life Magazine? » « Rien de rien, a répondu Eppridge au batteur. Soyez juste vous-mêmes et je deviendrai invisible. Vous n’aurez pas une seule chose à faire. »

Témoin de l’histoire

En 1968, Bill Eppridge suit la campagne du sénateur Robert F. Kennedy pour les présidentielles, campagne qui connaîtra une fin tragique avec l’assassinat du grand espoir des démocrates à l’hôtel Ambassador de Los Angeles, après sa victoire à la primaire en Californie, le 5 juin 1968. Quelques jours plus tôt, Eppridge avait photographié Kennedy en campagne dans l’Indiana, escorté de sympathisants, des footballeurs du « Fearson Foursome », le boxeur Tony Zale, ainsi que des stars de la NFL, Lamar Lundy, Rosey Grier et Deacon Jones.

Une photographie d’Eppridge prise le printemps de l’assassinat, sorte d’élégie à Kennedy, le représente faisant du jogging avec son chien Freckles le long d’une plage de l’Oregon. Elle fera la couverture du numéro du 14 juin de LIFE – image d’adieu poignante à un homme dont beaucoup espéraient qu’il restaurerait la période dorée dite « Camelot ».  En train, le 8 juin, Eppridge accompagne le transfert du corps du sénateur de New York à Washington DC, où il est enterré au cimetière d’Arlington.

Bobby Kennedy fait campagne dans l'Indiana en mai 1968, avec divers assistants et amis : l'ancien boxeur Tony Zale et (à droite de Kennedy) les stars de la N.F.L. Lamar Lundy, Rosey Grier et Deacon Jones. ©Bill Eppridge Courtesy of Monroe Gallery of Photography
Bobby Kennedy fait campagne dans l’Indiana en mai 1968, avec divers assistants et amis : l’ancien boxeur Tony Zale et (à droite de Kennedy) les stars de la N.F.L. Lamar Lundy, Rosey Grier et Deacon Jones. ©Bill Eppridge Courtesy of Monroe Gallery of Photography
Le candidat à la présidence Bobby Kennedy et son chien, Freckles, courant sur une plage de l'Oregon, 1968 (couverture du magazine Life, 14 juin 1968) ©Life Picture Collection/Bill Eppridge
Le candidat à la présidence Bobby Kennedy et son chien, Freckles, courant sur une plage de l’Oregon, 1968 (couverture du magazine Life, 14 juin 1968) ©Life Picture Collection/Bill Eppridge

Témoin de l’assassinat de Kennedy, Eppridge confie ses souvenirs à Sid et Michelle Monroe à plusieurs reprises. Avec une grande solennité, il raconte cette soirée dans ses moindres détails, sa voix grave donnant un caractère encore plus sombre à ce qui s’était déroulé sous yeux. Ayant couvert la guerre du Vietnam, Eppridge avait aussitôt reconnu le bruit des coups de feu, et immédiatement compris ce qui se passait.

« Bill et quelques autres membres de la presse faisaient un périmètre de sécurité autour de Bobby, mais cette nuit-là, Bobby s’est retourné, il est parti dans une autre direction, et Bill l’a suivi. Il s’est retrouvé juste derrière Paul Schrade, membre du syndicat United Automobile Workers, qui a été frappé d’une balle en plein front, et il s’est mis au travail », rapportent les Monroe.

Panneau " Goodbye Bobby ", train funéraire Robert F. Kennedy, 8 juin 1968.
Panneau « Goodbye Bobby » , train funéraire Robert F. Kennedy, 8 juin 1968. © Bill Eppridge Courtesy of Monroe Gallery of Photography
Le train funéraire de Robert F. Kennedy : les gens se tiennent debout, regardent et saluent, 8 juin 1968
Le train funéraire de Robert F. Kennedy : les gens se tiennent debout, regardent et saluent, 8 juin 1968 © Bill Eppridge Courtesy of Monroe Gallery of Photography

« Je pense, leur a expliqué Eppridge, que de telles situations doivent être consignées, il faut les raconter, et les raconter à ceux qui ne comprennent pas les horreurs auxquelles nous pouvons être confrontés. » Après avoir photographié le contrecoup de la fusillade, l’hôpital et le convoi funéraire à son arrivée au cimetière, Eppridge a pris une décision : « Assez d’images. » Et debout à côté d’un arbre, une bougie à la main, il s’est recueilli.

Avec « The Legacy of Bill Eppridge », les Monroe rassemblent une large sélection de l’œuvre du photographe, illustrant triomphes et tragédies, afin de rendre hommage à un homme qu’ils étaient fiers d’appeler un ami. « Bill était non seulement un géant du photojournalisme, mais une perle rare, un trésor d’humanité. »

The Legacy of Bill Eppridge est présentée du 30 septembre au 20 novembre 2022 à la Monroe Gallery de Santa Fe, au Nouveau-Mexique.

Bobby Kennedy fait campagne dans la nuit, Indiana, 1968.
Bobby Kennedy fait campagne dans la nuit, Indiana, 1968. © Bill Eppridge Courtesy of Monroe Gallery of Photography

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