
À 88 ans, Claudia Andujar est une guerrière. Depuis le début de sa carrière, et aujourd’hui encore, elle lutte pour la défense des Yanomami — peuple amérindien vivant en Amazonie entre le Venezuela et le Brésil. Son récent appel lors d’une conférence à l’Institut Moreira Salles (IMS) de Rio de Janeiro en témoigne : « Nous allons continuer la lutte pour défendre la population Yanomami, ensemble, et avec tous ceux qui voudront nous rejoindre », tout comme la puissance de sa dernière exposition A Luta Yanomami (La lutte Yanomami), à l’affiche en ce moment à l’IMS de Rio de Janeiro, et l’hiver prochain à la Fondation Cartier à Paris.
Un peuple menacé
Thyago Nogueira, le commissaire de l’exposition, a exploré pendant des années les plusieurs dizaines de milliers d’images qui composent les archives de l’artiste et activiste, pour en exhumer celles qui viendraient donner naissance à l’exposition qui se pose comme une résistance dans la situation politique et environnementale actuelle du Brésil.
Plusieurs périodes de la carrière de la photographe y sont réunies — toutes en lien avec le peuple Yanomami. C’est peut-être parce qu’elle a, elle aussi, une histoire très lourde que Claudia Andujar se sent liée à la lutte d’un peuple qui est en train de se faire exterminer. Après avoir fui avec sa mère la Transylvanie de son enfance (où elle vit sa famille paternelle se faire déporter dans les camps de concentration d’Auschwitz où elle y sera décimée), elle arrive au Brésil en 1955. C’est là qu’elle débutera la photographie, car « photographier était un moyen de communiquer avec les Brésiliens », relate celle qui ne parlait pas un mot de portugais en arrivant dans le pays qui l’a ensuite adoptée.

Quelques années après son arrivée au Brésil, elle sent le désir de travailler avec un peuple indigène, de « faire leur connaissance, puis essayer de comprendre la manière dont ils vivent, qui ils sont, et s’ils sont autosuffisants pour continuer à vivre ». Par l’intermédiaire d’un ami anthropologue, elle arrivera chez les Yanomami pour la première fois en 1971. Et elle y restera. Elle y vivra sur de longues périodes, tissera des liens durables avec la communauté. Très vite, elle se rendra compte que les Yanomami sont un peuple menacé. Les années 1970 et 1980 et la dictature militaire en place à l’époque marquent l’avènement des chercheurs d’or et des plans de « développement » de l’Amazonie, qui introduisent maladies, violence et pollution chez les populations indigènes, menant à la disparition de communautés entières.
Dénoncer par la photographie
Claudia Andujar commencera donc à dénoncer ces actes par la photographie. Cela dérange. En 1977, elle est expulsée et interdite de séjour sur le territoire Yanomami. Même à distance, depuis São Paulo où elle sera désormais établie, elle continuera à lutter, notamment pour la démarcation légale des terres Yanomami — afin de pouvoir les protéger des exploitations minières, de l’élevage et de l’agriculture intensifs. A Luta Yanomami, construite en regard de la situation politique actuelle au Brésil, montre l’urgence qu’il y a à intensifier la résistance dans un pays dont le gouvernement a tout l’air de se moquer de la préservation de la forêt Amazonienne comme de celle de la vie de peuples aux cultures millénaires. C’est à travers des montages de photographies et vidéos très graphiques et une scénographie résolument contemporaine que Claudia Andujar le révèle. Thyago Nogueira souligne ainsi la manière qu’a la photographe de « transformer l’intérêt journalistique et anthropologique en une interprétation radicalement originale de la culture, une interprétation faite d’images ».

Numérotés pour leur survie
En effet, décalé du point de vue anthropologique formel, l’activisme de Claudia Andujar prend des accents très graphiques et visuels. Ses expérimentations plastiques (utilisation de films infrarouges, de lampes et de flashs couplés à des temps de pose longs…) donnent à voir des vues aériennes de la végétation amazonienne couleur… rose fuchsia, ou encore des arabesques lumineuses surgissant de l’obscurité de scènes de rituels.
L’exposition montre enfin le travail qui est peut-être le plus emblématique de la carrière de la photographe; ’Marcados’ (marqués), né alors qu’elle portraiturait des Indiens avec des pancartes numérotées autour du cou, afin de créer des fiches d’identification lors de campagnes de vaccination. Le parallèle avec l’histoire de sa propre famille a sauté aux yeux de la photographe alors qu’elle comprit le renversement de situation entre sa propre famille, qui avait été fichée et numérotée pour mourir, et ceux qu’elle photographiait, numérotés pour leur survie.


Par Elsa Leydier
Claudia Andujar, A Luta Yanomami
Du 20 Juillet au 10 Novembro 2019
Instituto Moreira Salles Rua Marquês de São Vicente, 476. Gávea, Rio de Janeiro/RJ Brésil
Claudia Andujar, La Lutte Yanomami
Du 12 Décembre au 10 Mai 2020
Fondation Cartier 261 boulevard Raspail 75014 Paris