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Dans l’ombre de Kate Barry

Le travail de la photographe britannique Kate Barry est exposé au Quai de la Photo, à Paris, jusqu’au 20 mars 2024. En parallèle, le commissaire d’exposition Sylvain Besson retrace son histoire dans un ouvrage photographique dont le nom, “My Own Space” [Mon propre espace], est à l’origine de celui de l’exposition.

Fille de l’actrice et chanteuse franco-britannique Jane Birkin et du compositeur anglais John Barry, Kate Barry grandit dans l’ombre médiatique de ses parents. Née à Londres en 1967, Kate reçoit son premier appareil photographique « d’un amoureux » en 1983. Alors âgée de 16 ans, elle ne s’oriente pas directement vers la photographie. Elle étudie à l’école de la Chambre syndicale de la haute couture parisienne et il faudra attendre la seconde moitié des années 1990 pour qu’elle s’essaie à la photographie. 

Entre 1995 et 1996, et de manière autodidacte, Kate Barry réalise une série de portraits, avec sa mère, Jane Birkin, et ses deux demi-sœurs, Charlotte Gainsbourg – fille de l’auteur-compositeur-interprète français Serge Gainsbourg – et Lou Doillon – fille du cinéaste Jacques Doillon. C’est là que l’artiste développe son langage visuel unique, alliant décors épurés, douces atmosphères et poses compliquées.

« Enfant, j’étais déjà son petit mannequin, elle, mon guide. Regarde à droite, regarde à gauche, plus haut, plus bas. Rigole, sois sérieuse. Une fois photographe, elle m’a placée devant son objectif. Pour elle, je voulais être vaillante, volontaire. Avec toujours son regard, sa vision. Si belle, si douce, si bienveillante. En fait exactement telle qu’elle était. À vouloir sublimer les actrices, toujours fragiles à ses yeux ; sa vision intime, jamais impudique. Avec ces moments “prises de vues”, comme je l’entends dire, c’est grâce à elle aussi que j’ai osé me regarder, que j’ai osé me trouver jolie », raconte Charlotte Gainsbourg, en souvenir de ces sessions photographiques réalisées à l’époque, en Bretagne.

Mode (pour Cosmopolitan) 2000 ©Kate Barry

Dans l’ombre de sa mère et de ses sœurs, qui participent aussi à sa renommée et à l’essor de sa carrière de photographe. Dans l’ombre des stars aussi : Sophie Marceau, Isabelle Huppert ou Laetitia Casta font ainsi partie de ses modèles récurrents. Les commandes de photographies de mode et des magazines font sa renommée. 

« Ses décors sont souvent désolés, les poses, les vêtements et la température ne sont pas agréables, cela ne l’intéresse pas, peut-être y a-t-il un désir que cela soit inconfortable », explique sa sœur, Lou Doillon. Les séances étaient longues. Elle utilisait plusieurs dizaines de pellicules par séances, jusqu’à trente, prenant ainsi plus de 1000 photographies. Une façon, peut-être, de fatiguer ses modèles, pour faire ressortir une sorte de vulnérabilité. Cette vulnérabilité que l’artiste perçoit chez les célébrités et qui n’entache en rien leur force, qu’elle montre aussi à travers son travail.

L’actrice française Isabelle Huppert se souvient de « sa douceur », dans les regards et les moments qu’elle offrait. Une douceur qui ne l’empêchait pas de rechercher la précision, d’aller en quête « de l’image juste, l’image qu’elle connaissait et que nous ignorions ».

Mode (pour Cosmopolitan) 2000 ©Kate Barry
Couverture du Livre My Own Space
Autoportrait (pour Cosmopolitan) 2 octobre 2001 ©Kate Barry

Une artiste plurielle

Si l’artiste a construit sa renommée sur son travail de photographie de mode et de portrait, elle reste ouverte à d’autres styles artistiques. En 2008, elle est choisie pour un projet autour des 40 ans du marché de Rungis. À l’opposé de son style photographique, elle doit composer avec le bruit, l’ambiance, les couleurs. Elle s’éloigne aussi du « prestige » habituel de son travail auprès des célébrités et du monde de la mode. Grâce à un protocole strict, l’artiste est en mesure de proposer une centaine de portraits du personnel de Rungis. 

Elle s’essaie aussi à la photographie de paysage à partir de 2002. En accord avec ses autres séries, Kate Barry propose des paysages dépouillés et mélancoliques desquels transparaît un sentiment de solitude. Sa photographie de paysage est silencieuse. Sylvain Besson, commissaire d’exposition et auteur de l’ouvrage My Own Space, qui retrace la carrière de l’artiste, parle de « “fragments de paysage”, de détails, de traces ».

Reine Graves (pour Joyce) 2002 ©Kate Barry
Autoportrait (pour ELLE) 2001 ©Kate Barry
Lou Doillon vers 2006 ©Kate Barry

« Ces images sont des leitmotivs dans l’œuvre de Kate Barry. Elles renvoient à la notion de Beckett, la “nothingness”, définie plus communément comme “un endroit où rien n’est réellement présent et rien n’est réellement important”. Ces photographies peuvent aussi être considérées comme le manifeste d’un attrait pour l’anodin et les espaces déserts, qui se présente comme “abandonné de l’intérêt humain” », écrit Héloïse Conésa, conservatrice du patrimoine à la Bibliothèque nationale de France en charge de la collection de photographie contemporaine, dans l’ouvrage de Sylvain Besson.

« Ce travail sur les paysages, ou des fragments de paysage, est né du besoin de me soustraire à la relation duelle qu’implique le portrait », explique en 2005 Kate Barry dans un entretien avec l’éditeur, sociologue et écrivain franco-polonais Léo Scheer. De leur côté, ses proches évoquent la photographie de paysage « comme étant son “vrai” travail », « plus proche de sa personnalité ». C’est aussi là que « ses inquiétudes et silences s’expriment le mieux ». 

Kate Barry est décédée brutalement en 2013, à l’âge de 46 ans. L’exposition et le livre se présentent ainsi comme un hommage, une façon de « montrer la diversité de son œuvre » explique Sylvain Besson.

Paysage 2002-2008 @Kate Barry

L’exposition est à retrouver au Quai de la Photo à Paris jusqu’au 20 Mars 2024My Own Space, coécrit par Sylvain Besson et Lola Lafon est publié aux éditions de la Martinière. L’ouvrage est disponible à 34,90 €.

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