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Dorothea Lange, corps endormis

Dorothea Lange, corps endormis

Un livre singulier publié par MACK offre un nouveau regard sur l’œuvre de la photographe américaine. Des images inédites où somnolent souvent les sujets photographiés.
Du livre Day Sleeper publié chez MACK © Dorothea Lange

La couverture est une invitation au songe. Un garçon, un linge au-dessus de la moitié supérieure du visage et qui lui cache les yeux, est en train de dormir, torse nu, baigné par un large rayon de lumière. Douceur de vivre. Pause sur le monde. Retrait nécessaire pour un temps à soi, loin des autres, abandonnés à l’inconnu du rêve. 

Une image qui fait partie d’un corpus exceptionnel révélé par l’artiste Sam Contis. Ce dernier est allé fouiller dans les archives du musée d’Oakland aux États-Unis en 2017. Elle s’est limité aux photographies que Dorothea Lange a réalisées dans cette région du pays, en Californie. Des images peu ou jamais montrées au public auparavant et qui se trouvent mêlée les unes aux autres dans un assemblage énigmatique. 

Du livre Day Sleeper publié chez MACK © Dorothea Lange

Banc public

Souvent les personnes photographiées ferment les yeux, sinon dorment. Parfois, en plein jour. Sur la porte d’une maison, Dorothea Lange attrape une pancarte avec ces mots : “Day Sleeper” (endormi diurne). Ce sera le titre de ce livre qui collectionne les moments de pause que s’accorde chacun, comme cette femme livrée aux bras de morphée dans un lit confortable ou cet homme, en costume, un chapeau sur la tête, faisant une sieste sur un banc public dans la rue. 

Surprendre quelqu’un dans son sommeil par la prise photographique est un acte qui peut paraître violent. C’est pourtant une douceur immense qui se dégage de ces pages, comme si Dorothea Lange était parvenue à montrer l’inverse du monde ordinaire, la face cachée qu’on ne voit pas, le silence étonnant des corps endormis. 

Du livre Day Sleeper publié chez MACK © Dorothea Lange

Printemps 

Dans ce livre, même quand les sujets ne dorment pas, ils semblent à l’arrêt, au repos, en retrait. C’est cette femme, vue de dos, un drap à la main, au beau milieu d’un champ et qui semble tout juste sortir d’une longue nuit. C’est celle-ci qui coupe les cheveux de celui qu’on imagine être son compagnon, dans un jardin, sous les feuilles vigoureuses d’un arbre au printemps. C’est ce passant qui ferme les yeux, un béret sur la tête, les doigts de sa main dans la bouche. 

Touchants portraits qui surgissent ici ou là et qui révèlent la complicité incroyable qu’il devait y avoir entre Dorothea Lange et ses modèles. À ce titre, une jeune fille perce d’un regard intense l’objectif et semble dire toute la troublante gravité de la condition humaine. Plus loin, c’est un aigle accroché sur des fils barbelés. La dureté du réel n’est jamais loin et quand Dorothea Lange photographie une petite fille au bord d’une route, celle-ci se frotte l’œil droit tandis qu’une voiture derrière elle suggère qu’on vient de l’abandonner. 

Du livre Day Sleeper publié chez MACK © Dorothea Lange

Ode à la légèreté 

Ce qui frappe, aussi, dans ce livre est la fréquence des photographies qui ne montrent qu’une partie du corps d’une personne. Ici ce sont les jambes d’une dame en robe, ici les mains d’un vieil homme qu’il tend vers le soleil en les sortant d’une fenêtre, là, enfin, les pieds nus d’une petite fille. En découpant les corps, en choisissant de fragmenter l’enveloppe corporelle de chacun, Dorothea Lange opère une recherche esthétique très en avance pour son temps et que feront beaucoup d’autres photographes après elle, comme la célèbre série des mains de David Goldblatt par exemple. 

L’inquiétude que nous pouvons éprouver devant des corps fragmentés est vite chassée par l’ode à la légèreté qui inonde cet ouvrage. En témoignent ces ballons d’hélium gonflés pour une kermesse quelconque, ce linge blanc virevoltant sur les fils tendus dans un jardin ou encore cette publicité pour acquérir une télévision, mi-amusante, mi-angoissante : “see the world before you leave it!” (regardez le monde avant de le quitter!).  

Du livre Day Sleeper publié chez MACK © Dorothea Lange
Du livre Day Sleeper publié chez MACK © Dorothea Lange
Du livre Day Sleeper publié chez MACK © Dorothea Lange
Du livre Day Sleeper publié chez MACK © Dorothea Lange

Par Jean-Baptiste Gauvin

Day Sleeper par Dorothea Lange et Sam Contis

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