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Du fleuve sauvage au fleuve urbain

Du fleuve sauvage au fleuve urbain

Au fil de l’eau, du temps et de la vie des hommes : « Thames Log », de Chloe Dewe Mathews.
Chloe Dewe Mathews, Reading the Sunday Papers, Grays, 2011 © Chloe Dewe Mathews

Durant de nombreuses années, le principal événement photographique à Bristol a été le prix annuel de photographie animalière de la BBC. Mis à part cela, la culture photographique de la cinquième plus grande ville de Grande Bretagne survivait grâce à des organisations marginales (IC visual Labs, par exemple), ainsi que des événements tels que le Bristol Photobook Festival. Quant aux musées, et même aux galeries privées, elles n’ont jamais organisé une seule exposition photographique d’envergure. Jamais !

Les choses ont bien changé, à Bristol. Faites un tour dans le quartier embourgeoisé de Paintworks, un centre international de développement de l’art contemporain, et vous vous trouverez au cœur de l’establishment photographique du Royaume-Uni. Ici sont implantées la Royal Photographic Society (qui présente actuellement l’exposition « In Progress » dans le cadre du Bristol Photography Festival), ainsi que la Fondation Martin Parr.

Chloe Dewe Mathews, Mud Larking, Putney, 2011 © Chloe Dewe Mathews

Consacrée à la photographie britannique, cette fondation abrite les archives de l’œuvre prolifique de Martin Parr ainsi qu’une bibliothèque de livres photo et de tirages qui donne un aperçu de la photographie documentaire britannique d’après-guerre.

Ces archives s’accroissent sans cesse, et la dernière exposition organisée par la fondation (également dans le cadre du Bristol Photography Festival), « Thames Log », de Chloe Dewe Mathews, s’inscrit dans la philosophie du lieu. Chloe Dewe Mathews a grandi près de la Tamise. La rivière faisait partie de son quotidien, elle la traversait en allant à l’école, et se souvient du rythme de ses marées, de ses évocations changeantes – parfois, aussi légère et fleurie qu’une prairie en été, ou alors aussi humide et glaciale qu’un hiver sibérien.

Chloe Dewe Mathews, Coracle Mission, Lechlade, 2013 © Chloe Dewe Mathews
Chloe Dewe Mathews, Redsands Sea Forts Restoration, Thames Estuary, 2015 © Chloe Dewe Mathews

Plus tard, elle reviendrait photographier la Tamise, et ce sont ces images qui sont rassemblées suivant un ordre géographique dans cette exposition. La première image montre un homme qui rame sur un coracle près de la source champêtre du fleuve, et la dernière, d’anciens forts maritimes qui surplombent les eaux libres de la mer du Nord.

Quinze de ces photographies sont présentées sous verre, avec des informations supplémentaires au bas de l’image – le titre, la date et l’heure, les heures des marées, les références et les détails de ce qui a été photographié.

Ces informations, présentées sous forme de grille, évoquent le découpage atmosphérique utilisé dans les prévisions météorologiques. Ce format fait écho aux détails techniques des cartes des marées et de leurs mouvements perpétuels, exposées dans une vitrine au centre de l’exposition.

Chloe Dewe Mathews, Blessing of the River, London Bridge, 2012 © Chloe Dewe Mathews
Chloe Dewe Mathews, Commuting, London Bridge, 2016 © Chloe Dewe Mathews

Cependant, les images ne sont pas présentées pour leur qualité géographique ou environnementale. Tandis que de nombreux autres projets britanniques ayant pour thème l’eau (voir la série de Steven Butter sur l’estuaire Wash, les images de Paul Hart réalisées dans le Fenland, ou encore celles de Tessa Bunney, représentant les étendues de sable de la baie de Morecambe) s’intéressent au paysage en tant que tel, ce n’est pas le cas ici. Ici, l’échelle temporelle n’est plus définie par le flux et le reflux naturel de la Tamise, mais par les activités de l’homme autour du fleuve : celui-ci, dans « Thames Log », fait office de toile de fond.

L’observation se fait ici documentaire, témoignant des rituels et de l’histoire propres au fleuve, et les replaçant dans le contexte de la démographie en constante évolution des riverains.

Chloe Dewe Mathews, Mass Baptism, Southend, 2013 © Chloe Dewe Mathews
Chloe Dewe Mathews, Ganesh Visarjan, Shoeburyness, 2012 © Chloe Dewe Mathews
Chloe Dewe Mathews, Maghrib, Evening Prayer, Southend, 2012 © Chloe Dewe Mathews

La religion y a sa place : des Hindous font leurs dévotions dans ce fleuve à caractère sacré, des chrétiens pentecôtistes reçoivent le baptême, des Musulmans prient et des païens dansent. On trouve des danseurs de Morris, des chasseurs de trésors, des guetteurs de navires, ou encore des riverains traversant le London Bridge pour se rendre à leur travail. Ces images mettent en lumière la multifonctionnalité du fleuve. Du physique au spirituel, il représente un rite de passage, un obstacle qu’il faut vaincre, ou encore, l’une des commodités du capitalisme.

« Thames Log » est une magnifique série d’images, qui s’inscrit dans une tradition plus longue (qui remonte à celle de Sir Benjamin Stone) et qui présente la société britannique, ses paysages et sa culture à travers des rituels et des traditions aussi fluides que les eaux du fleuve autour duquel ils sont réalisés.

Par Colin Pantall

Colin Pantall est un écrivain, photographe et conférencier basé à Bath, en Angleterre. Sa photographie traite de l’enfance et des mythologies de l’identité familiale.

Thames Log, de Chloe Dewe Mathews est publié par Loose Joints, et disponible ici pour 40 £, et à voir à la Martin Parr Foundation jusqu’au 29 août 2021. Plus d’informations ici.

Chloe Dewe Mathews, Ganesh Visarjan, Richmond, 2015 © Chloe Dewe Mathews
Chloe Dewe Mathews, Scattering of Human Ashes, Southend Pier, 2015 © Chloe Dewe Mathews

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