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Eric Baratay : « Choupette symbolise à l’extrême une tendance »

Eric Baratay : « Choupette symbolise à l’extrême une tendance »

L’éditeur Steidl publie Choupette, un recueil de photographies du chat de Karl Lagerfeld, animal devenu célèbre pour avoir été le légataire de son héritage. Le styliste allemand a pris lui-même en photographie son animal de compagnie avec son smartphone. L’historien des animaux Éric Baratay analyse le phénomène.

© Karl Lagerfeld, 2018

Est-ce que la parution de ce livre vous surprend ? 

Non, pas du tout. Le chat est devenu le premier animal de compagnie – si l’on excepte les poissons rouges qui sont plus nombreux. Le chat a, depuis vingt ans, largement dépassé le chien qui est, au contraire, en régression. Le chat est devenu l’animal iconique du moment comme le chien l’avait été dans les années 1950-1980. Ce n’est donc absolument pas surprenant. En plus, il se publie quantité d’ouvrages sur les chats. Il y a des ouvrages de propriétaires de chats qui publient leurs témoignages. C’est donc un fait qui est très profondément ancré dans le monde occidental. 

À quel point ce livre est-il justement un témoignage de l’évolution de l’image du chat dans nos sociétés occidentales ? 

Il montre à quel point le chat est devenu important et à quel point il est abordé par les maîtres comme un véritable individu. On a, avec ce livre, une espèce de portrait en photographies fait par le propriétaire lui-même – Karl Lagerfeld en l’occurrence. On est là dans la démarche des propriétaires de chat qui font des photos en série. Certains livres de propriétaires de chat ont d’ailleurs beaucoup de succès. Il ne m’étonnerait pas que ce livre fasse un bon tirage. Toute cette production montre comment le chat est remarqué comme un individu. On fait attention au caractère singulier de son animal. On fait attention à ses postures…


© Karl Lagerfeld, 2018

Il y a maintenant l’arrivée du « chat-chien »

Ça n’a pas toujours été comme ça… L’image du chat a énormément évolué…

Bien sûr ! C’est représentatif de ce qui se passe depuis les années 1980-1990. Il y a eu un retournement. Et on vient de loin… Dans l’occident médiéval, le chat c’est le symbole du diable, de Satan, du mal. On a souvent associé le chat de gouttière, noir ou tigré, aux sorcières ou aux démons. D’où la peur du chat noir… Un signe de mauvais présage. Il y a donc eu un retournement dans l’image du chat récemment. Et ça va très loin, car il y a maintenant l’arrivée du « chat-chien ». Il s’agit de chats qui se comportent comme des chiens. Ils sollicitent les humains, veulent jouer avec eux, sont de véritables compagnons…

Pourquoi, au Moyen-âge, le chat avait-il une si mauvaise image ? 

Cela remonte à plus loin encore. Il a une très bonne image en Égypte où il est associé aux divinités. En revanche, dans la Rome antique, il a une mauvaise image. D’abord c’est un destructeur d’oiseaux. Or, à Rome, les oiseaux sont les premiers animaux de compagnie. Il est donc mal vu pour cette raison. Et puis, il y a la fécondité abondante des chats. À cause de cela, le chat va devenir un attribut de la lascivité sexuelle. À Rome, “cattus”, va devenir le synonyme des prostitués. Cette vision négative va être reprise ensuite par le christianisme au XIIème siècle. On va faire un lien lorsqu’apparaissent des hérésies et notamment l’hérésie cathare. On va assimiler le mot « cathare » et le mot « cattus ». Le développement des chasses aux sorcières autour des XIVème-XVIIème siècles va ensuite accentuer cette vision très négative du chat, animal associé aux sorcières. 


© Karl Lagerfeld, 2018

Est-ce que ce livre Choupette n’est pas le signe d’un excès inverse à notre époque, une iconisation de l’animal domestique, un cas extrême ? 

Évidemment, on pourrait dire que c’est la version excentrique du phénomène autour des chats comme Karl Lagerfeld était lui-même un personnage excentrique. Choupette n’est pas représentatif de tous les chats. Il y a d’ailleurs beaucoup de chats abandonnés. C’est le corollaire de la mode des chats : il y a une véritable explosion de l’abandon des chats dans nos sociétés occidentales. Choupette symbolise donc à l’extrême une tendance. C’est une excentricité qui s’inscrit néanmoins dans un événement contemporain. Karl Lagerfeld n’aurait pas fait ce livre avec un chat il y a soixante ans, il l’aurait fait avec un chien. 

Propos recueillis par Jean-Baptiste Gauvin

Choupette chez Steidl

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