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Humanitaires et photoreporters, combat commun

Ils sont les témoins des terres de souffrances. Pour les cinquante ans de Médecins sans frontières (MSF), l’ONG s’est associée à l’agence Magnum pour croiser les regards sur les crises passées et actuelles. Regards Témoins offre un dossier en ligne d’une grande richesse.

Porter assistance et témoigner. Photojournalistes et humanitaires savent leur histoire commune, marquée par leurs rencontres sur le terrain. « Celles qui ont eu lieu au milieu des crises, que ce soit dans les endroits les plus reculés du monde ou dans les zones couvertes par les caméras et les médias internationaux », introduit Médecins sans frontières (MSF). Pour les cinquante ans de l’ONG, cette collaboration avec Magnum tombe sous le sens. En parallèle d’une exposition donnée à Genève à l’été 2021, un livre a été publié en partenariat avec les plumes du magazine hebdomadaire L’Obs. Et parce que le devoir de témoignage doit s’adresser à tous, un dossier en ligne d’une rare qualité retrace les dates clé de l’histoire de l’ONG et revient, par le texte et l’image, sur les grandes crises de ces 50 dernières années et sur celles d’aujourd’hui et de demain.

Depuis 1971, le combat humanitaire de MSF

L’organisation médicale internationale et non gouvernementale a été créée en 1971 par un groupe de médecins et de journalistes français marqués par l’horreur du Biafra. À partir de 1976, MSF s’engage au Liban dans sa première zone de conflit. « On soignait sous le feu des tireurs d’élite », se souvient un volontaire plongé dans la guerre civile libanaise. Les photographes de l’agence Magnum fondée en 1930 sont là eux aussi. Le photographe Raymond Depardon raconte des conditions de reportages particulièrement tendues : « Pas de photo ! J’essayais de discuter. Puis, quelques minutes après, j’entendais de nouveau le cran de sûreté. La balle était de nouveau engagée : au moindre faux pas, elle pouvait partir. » Parfois ce sont les images qui décident les médecins à partir comme au Nouristan afghan à la suite d’un reportage du même Raymond Depardon paru dans Paris Match en avril 1979.

Les dates défilent le long de la timeline numérique. L’aide humanitaire menacée en Somalie en 1991, le Rwanda, et l’impuissance face au génocide de 1994, Srebrenica en 1995 où les équipes de MSF sont contraintes d’abandonner l’enclave bosniaque. « Nous avons été témoins, nous savions ce qui allait se passer, nous n’avons rien fait. […] Prendre l’appareil, c’est au moins me confronter à cette responsabilité-là : je ne veux pas ignorer », témoigne Gilles Peress en 1996 face à l’abandon de la ville par les casques bleus qui se soldera par le massacre de plus de 7 000 personnes et la déportation de 40 000 autres.

Parfois les images sont absentes. Comme en 2014 avec l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest. 11 000 morts face à « l’inaction de la communauté internationale ». Aucun photographe de l’agence Magnum ne pourra se rendre sur place. Un cadre noir indique : « L’absence d’image n’est pas une erreur. Compte tenu de la complexité de la situation sanitaire et des accès limités, aucun photographe de l’agence Magnum n’a pu se rendre sur place. »

Les derniers reportages de 2021

Avec la pandémie, alors que le monde s’est un peu arrêté de tourner, l’intervention de MSF, tout comme celle des photoreporters, s’est poursuivie sans relâche. Le site donne une place toute particulière aux derniers reportages de Magnum dans le monde. Zied Ben Romdhane s’est rendu au Niger pour couvrir la crise humanitaire. Des photos noir et blanc fabuleuses. Une poésie, un sens de la composition qui s’entrechoquent avec la réalité comme ces ombres qui tapent durement contre les murs des maisons de brique de ces populations touchées par le dérèglement climatique. Niger, les enfants de la pluie, rassemble tout ce qui fait la renommée de l’agence, l’esthétisme au service du message. Le Niger, un pays particulièrement couvert par MSF. « Par la présence du photographe, on pouvait peut-être mettre en lumière quelque chose de plus profond dans cette situation. Je voulais surtout qu’on puisse saisir les causes et pas seulement les conséquences visibles dans le quotidien et les grands espaces », explique dans un très beau texte Ahmad Samro, responsable de programme MSF, originaire d’un des villages de la région nigériane de Zinder. Grèce et migrants, Soudan, Honduras, Irak, Kenya… Sept reportages de grande qualité, photos et écrits, consultables gratuitement.

Crises des réfugiés et cicatrices de la guerre

Pour parfaire ce site hommage, deux grandes thématiques sont longuement traitées : La première, Déplacés ou réfugiés, fuir pour suivre, pose la question cruciale de la gestion des migrations de populations, causées par les conflits ou les catastrophes naturelles. Les humanitaires, s’ils ne sont pas déjà sur place, arrivent dans les premiers jours de cette urgence, souvent en même temps que les photographes. Les membres de MSF s’y trouvent confrontés pour la première fois dans les années 70 face à la terreur Khmère. « J’ai vu ces hommes, ces femmes et leurs gosses, et, en les écoutant, j’ai compris peu à peu l’étendue de l’horreur qui se jouait là-bas, côté Khmers rouges », raconte un Claude Malhuret, ancien président de MSF. La détresse des regards, scellée par l’objectif de Steve McCurry ou Hiroji Kubota. Suivent les images de Gilles Peress au Rwanda, les planches contact de Jean Gaumy en Honduras ou au Salvador en 1985 jusqu’aux réfugiés éthiopiens photographiés au Soudan en 2020 par Thomas Dworzak. Claude Malhuret, l’ancien président de l’ONG, le soulignait déjà en 1977, « le monde d’aujourd’hui et celui de demain sera celui des réfugiés ».

La seconde grande thématique, Zone de conflit, la violence du réel, témoigne de l’implication des équipes sous le feu de la guerre. « Pour l’équipe propulsée en quelques heures aux limites du brasier, voire en son sein, la première urgence est de s’adapter. Il arrive parfois que cette nécessité se fasse dans le déchaînement subi des armes », témoigne Alain Dubos, médecin, à propos de la mission MSF au Tchad en 1980. Être au plus près de la population civile, dans l’enfer des conflits, Raymond Depardon l’a vécu à Beyrouth, en Afghanistan, tout comme Steve McCurry. Être au plus près pour témoigner, à travers la photo, diffuser les visages de la guerre, porter les voix des victimes pour donner une âme aux chiffres. « J‘ai perdu la foi en beaucoup de choses, mais je continue à penser que documenter les conflits est essentiel pour l’histoire, pour la mémoire collective. Il est essentiel que nous n’oublions pas ce qui s’est passé », rappelait avec conviction Emin Özmen, photographe pour Magnum Photos en 2012 lors de la guerre en Syrie.

Le site des 50 ans de MSF est accessible gratuitement : https://50years.msf.org/home/fr 

Pour commander l’ouvrage : https://www.nouvelobs.com/regards-temoins

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