
A 93 ans, quand on lui demandait quelle était sa photographie préférée, Imogen Cunningham répondait, « celle que je prendrai demain ». Une espièglerie qui en dit long sur cette Américaine née en 1883 à l’étonnant parcours qui s’étend sur plus de sept décennies.
Au début du XXe siècle, pour une femme, décider de devenir photographe, c’est faire preuve d’audace et de détermination, deux qualités qu’elle possède indéniablement. Initiée dès l’enfance à la photographie, Imogen Cunningham obtient une bourse pour étudier la chimie photo à Dresde après son diplôme universitaire.
A une époque où les femmes sont cantonnées aux rôles d’épouse et de mère, Imogen Cunningham fait preuve de liberté d’esprit, n’hésitant pas à bousculer les conventions. Pour elle, il n’y a pas de sujets tabous. Dès 1906, elle réalise un autoportrait nu, allongée dans un champ.
En 1915, elle fait poser son mari dans le plus simple appareil, là encore dans un cadre champêtre. Publiée dans un journal de Seattle, le cliché fait scandale. Dès 1913, dans un article intitulé « La photographie comme profession pour les femmes », Imogen Cunningham avait mis les choses au point : « La photographie n’est pas une meilleure profession pour une femme ou pour un homme, c’est simplement une profession. » Plus tard, elle affinera son point de vue : « Je suis une photographe, pas une femme. Je ne crois pas que cela fasse de différence quand on travaille. »


Imogen Cunningham et le refus de la photographie mono genre
Imogen Cunningham militera aussi contre le racisme et contre la guerre du Vietnam, elle qui portait le symbole de la paix depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Son parcours photographique surprend par sa longévité mais également par la diversité de sa pratique.
Elle a toujours refusé de s’enfermer dans un genre : « Je photographie tout ce qui peut être exposé ». A la fin de sa vie, Imogen Cunningham partagera sa longue expérience en enseignant dans différentes universités et écoles d’art.
Retour dans ses jeunes années. Après avoir ouvert un studio dans sa maison de Seattle, Imogen Cunningham se détourne des commandes pour expérimenter, s’inscrivant dans le mouvement du pictorialisme qui revendique le statut d’œuvre d’art pour la photographie.
Lorsqu’elle s’installe à San Francisco en 1917, elle est mariée et mère de trois jeunes enfants. Contrainte dans ses mouvements, elle tourne son objectif sur son jardin pour réaliser des natures mortes de plantes, sujet qu’elle poursuivra plusieurs décennies. Parallèlement, elle réalise des nus.
Dans les deux cas, ce sont des gros plans mettant en valeur les plis de la peau ou la forme et la texture des végétaux. Le pictorialisme est bien loin.


Imogen Cunningham ne cessera jamais de se renouveler, explorant d’autres sujets, eux aussi sur le long terme. Les autoportraits, par exemple, mais également des instantanés de rue et des portraits : Edward Weston, August Sander, Frida Kahlo, Gertrude Stein, Minor White, Alfred Stieglitz…
Infatigable, à l’aune de son existence elle initie un nouveau projet : photographier des sujets âgés, portraits qui seront réunis dans un livre intitulé After Ninety (Après 90 ans). Étrange hasard, Imogen Cunningham s’éteint le même jour que Minor White.
Par Sophie Bernard
Sophie Bernard est une journaliste spécialisée en photographie, contributrice pour La Gazette de Drouot ou le Quotidien de l’Art, commissaire d’exposition et enseignante à l’EFET, à Paris.
Imogen Cunningham: A Retrospective, textes de Paul Martineau et de Susan Ehrens, Getty Publications, J. Paul Getty Museum, 256 pages, 58 euros. En vente ici.


