JR, l’artiste de rue prolifique qui mêle images en noir et blanc au technicolor du monde extérieur, s’est tourné vers quelque chose de différent durant la pandémie. Dans « Contretemps », sa dernière exposition personnelle à Perrotin Tokyo, le français présente une série d’images prises dans son Paris natal – une déclaration d’amour à la ville -, et poursuit son hommage aux grands photographes qui l’ont précédé, tout en créant quelque chose d’entièrement nouveau.
Cette série inédite s’inspire des Amoureux de la Bastille, une photographie de Willy Ronis datant de 1957 qui dévoile un moment de tendresse partagé par un couple, debout sur un balcon, surplombant la ville, la Tour Eiffel et la cathédrale Notre-Dame aux contours flous se dessinant au loin. La réinterprétation de JR, Ballet, le porté de la Bastille #5, met en scène deux ballerines au sommet de la colonne de Juillet, au centre de la place de la Bastille, les bras tendus comme dans la sculpture en bronze qui la surmonte. A l’instar de l’image de Ronis, elle s’inscrit dans le paysage urbain, avec au loin la basilique du Sacré-Cœur, autre monument parisien. Réalisé au cours des premiers mois de 2021, en pleine période de confinement, Ballet est l’expression d’une liberté et d’un espoir s’élevant très haut au-dessus de la ville et des préoccupations du monde.
Le ballet est à l’honneur dans cette nouvelle série, avec des images d’une danseuse, en tutu de tulle, à cheval sur le toit du Louvre ou debout au sommet d’une échelle comme si elle flottait dans les airs, les bras tendus dans une pose classique. Ces images sont empreintes d’espoir et d’une fantaisie qui n’existait pas durant la période sombre au cours de laquelle JR a imaginé ces photographies. Ballet, Sur les Toits du Louvre #2 montre un ciel bleu vif de début de journée, une aube qui pourrait annoncer de bonnes nouvelles. Le ton est résolument différent du travail pour lequel il est connu : des images teintées de fantaisie ou d’ironie. Au lieu de cela, JR s’essaie à la sincérité.
« Contretemps » présente également des images inédites d’une série en cours, intitulée Unframed, dans laquelle l’artiste prend des photographies d’archives, généralement en noir et blanc, et les colle à des échelles plus grandes que nature sur les murs de bâtiments ou sur d’autres structures. Elles ont été prises en 2012, et sont inspirées par des photographies de Watabe Yukichi. JR les a placées dans toute la ville de Matsuo, au Japon : par exemple, un policier collé sur un mur, qui contrôle des papiers ou s’attarde sur les décombres d’un bâtiment délabré.
Si l’on a toujours plaisir à regarder Unframed – la juxtaposition d’images anciennes et d’environnements hypermodernes s’y entrechoquent à merveille –, la série Ballet lui vole la vedette. JR présente un Paris onirique, plein d’expectative dans une époque apparemment sans espoir, et fait la démonstration d’une prouesse photographique, au-delà de son travail d’art de rue, en combinant l’ancien et le nouveau.
Par Christina Cacouris
Christina Cacouris est journaliste et commissaire d’expositions. Elle vit entre Paris et New York.
L’exposition « Contretemps » est présentée à Perrotin Tokyo jusqu’au 20 novembre 2021.
