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Vies et résilience de l’image

Vies et résilience de l’image

Explorant la notion de reproduction, l’exposition « L’image et son double » du Centre Pompidou à Paris, présente une soixantaine d’œuvres modernes et contemporaines issues de la collection du Musée. Ou quand l’image sort de ses sentiers battus.
Sara Cwynar, Girl from Contact Sheet II, 2013 © droits réservés/Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Audrey Laurans/Dist. RMN-GP

La photographie se distingue de nombreuses autres disciplines par son caractère reproductible. Cette propriété est le point de départ de l’exposition « L’image et son double » présentée à la Galerie de photographies du Centre Pompidou rassemblant une soixantaine d’œuvres issues de la collection du Musée national d’Art moderne. Articulé en trois chapitres – « La grammaire du double », « La copie imparfaite » et « Posséder le réel » –, le parcours réunit une vingtaine d’artistes internationaux d’hier et d’aujourd’hui examinant la notion de multiple selon différents axes. 

Ainsi la visite commence par un portrait signé Man Ray de 1937 représentant le mécène Edward James se cachant la face avec un tirage photographique où s’affiche son propre visage. Un pied de nez pour commencer, donc, qui pose l’idée du double au sein même de l’image. Ce principe de la répétition est décliné de différentes manières dans deux œuvres de Pierre Boucher de 1935 et 1942. D’une part via le collage d’un portrait d’enfant dont le visage est démultiplié une trentaine de fois, en entier ou fragmenté. D’autre part via une image représentant une main et son ombre. 

Man Ray, Edward James, 1937 © Man Ray Trust/Adagp, Paris, 2021
© Centre Pompidou, MNAM-CCI/Service de la documentation photographique du MNAM/Dist. RMN-GP
Pierre Boucher, Portraits d’enfant, vers 1935
© Fonds Pierre Boucher/Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Audrey Laurans/Dist. RMN-GP
Pierre Boucher, Main et son ombre sur le sable, 1942
© Fonds Pierre Boucher/Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Philippe Migeat/Dist. RMN-GP

La deuxième partie de l’exposition réunit des artistes ayant recours à des outils insolites comme la photocopieuse. Dès 1967, Timm Ulrichs joue en effet la carte de l’humour en proposant une œuvre ainsi légendée : « Walter BenjaminL’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique. Interprétation par Timm Ulrichs : La photocopie de la photocopie de la photocopie de la photocopie ». Il s’agit d’un assemblage de 100 photocopies dont le contenu est de moins en moins identifiable au fur et à mesure du processus. Timm Ulrichs répond ainsi à sa manière à Walter Benjamin qui, dans son célèbre ouvrage publié en 1936, interroge le statut de l’œuvre d’art qui perd selon lui son « aura » quand elle est reproductible. 

En 1974, la Française Nicole Metayer pose, quant à elle, son visage sur la vitre de la photocopieuse pour une surprenante série d’autoportraits. Et, en 1991, l’Italien Bruno Munari joue avec les fonctionnalités de l’outil bureautique pour obtenir ce qu’il affirme être des orignaux, et non des copies, puisque l’altération de l’image obtenue est à chaque fois différente, donc unique. 

Timm Ulrichs, Walter Benjamin. L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique. Interprétation par Timm Ulrichs : La photocopie de la photocopie de la photocopie de la photocopie, 1967 © Adagp, Paris, 2021/Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Philippe Migeat/Dist. RMN-GP
Bruno Munari, Xerografia originale, 1991 © droits réservés/Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Audrey Laurans/Dist. RMN-GP

Autre « appareil photo » surprenant, le scanner. L’Américaine Pati Hill s’en sert dès la fin des années 1970 pour faire des natures mortes, scannant directement les objets. Si ce genre artistique est un classique de l’histoire de l’art, elle opte en revanche pour des objets de l’ordinaire : denrée alimentaire, cassette audio et autre bidon en plastique. 

Intitulée « Posséder le réel », la dernière partie de l’exposition s’intéresse à la manière dont la photographie s’inscrit dans le réel et est diffusée. Illustration avec l’installation monumentale de Philipp Goldbach intitulée « Lossless Compressions » constituée de 200 000 diapositives empilées et rangées les unes contre les autres. Ici, c’est l’objet diapositive qui fait œuvre, et non les images puisque le spectateur ne peut les voir. Datant de 2013-2017, ce travail est une réflexion autour de la notion de recyclage et d’obsolescence. Quant au contenu de ces diapositives, il a été numérisé, et est donc accessible autrement que par le support originel.

Éric Rondepierre, Loupe / Dormeur Livre 8, 1999-2003 © Adagp, Paris, 2021/Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Georges Meguerditchian/Dist. RMN-GP

Enfin, il faut citer The Life of an Image (2018), une installation de Susan Meiselas autour de sa célèbre image Molotov Man réalisée au Nicaragua en 1979. De l’originale, en planche-contact, diapositive et tirage, à ses avatars – dessinés sur des murs ou imprimés sur un tee-shirt –, en passant par la publication dans des magazines ou sous forme d’affiche, on prend la mesure de son statut d’icône. Preuve supplémentaire qu’une image peut avoir plusieurs vies.

Par Sophie Bernard

Sophie Bernard est une journaliste spécialisée en photographie, contributrice pour La Gazette de Drouot ou le Quotidien de l’Art, commissaire d’exposition et enseignante à l’EFET, à Paris.

« L’image et son double »Centre Pompidou Galerie de photographies. Du 15 septembre au 13 décembre 2021.

Vue d’exposition, au centre : Lossless Compressions de Philipp Goldbach © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Hélène Mauri

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