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La prison entre taulardes et matons

La prison entre taulardes et matons

La Friche la Belle de Mai à Marseille présente une importante exposition sur l’univers des prisons. Sous le regard de deux photographes, un homme et une femme, la Friche réunit des visions opposées sur ces lieux d’enfermement. D’un côté, des surveillants qui cachent leur visage, de l’autre des détenues d’une prison de femmes qui posent face à l’objectif.

Vanessa Bareck,​​​​​​ novembre 2014, Lyons Corbas, de la série Détenues © Bettina Rheims

Situé sur l’ancien site d’une usine de tabac et d’allumettes, la Friche est loin des ruelles pittoresques du Panier et des reflets d’azur de la Corniche Kennedy qui font le charme de la cité phocéenne. C’est là, un peu en hauteur de la ville, que la Friche a investi l’un des quartiers les plus pauvres de Marseille : la Belle de Mai. Ancien quartier ouvrier peuplé longtemps d’immigrés italiens. 

Sur ces 45 000 m2, la Friche réunit un terrain de skate, un autre de basket, une librairie, un café, des salles de projections, des expositions, un jardin partagé, une crèche… Autrement dit, la Friche est un lieu incontournable pour tous les marseillais, nombreux à être attirés par l’émulation qu’elle génère été comme hiver. Cet espace d’échanges a su, au fil du temps, changer les habitudes d’une population en marge et les sensibiliser à l’art et aux activités culturelles. Évoquer l’univers carcéral avec ce public, c’est leur montrer que l’art a sa place partout, qu’il peut émerger en toutes circonstances et surtout qu’il est souvent une échappatoire, une fenêtre vers la liberté. 


La coursive aux dragons, de la série Un oeil sur le dos © Arnaud Théval

De l’autre côté

Avec la vidéo de Caroline Caccavale réalisée de nuit dans la prison des Baumettes, le ton est posé : Prison miroir invite à passer de l’autre côté de ces grands murs froids qui sépare, dit-on, les « bons » des « mauvais ». Mais qu’y a-t-il à voir derrière les grilles et les barbelés ? Des surveillants qui surveillent et des détenus qui ont appris à vivre loin des regards extérieurs mais sous l’oeil omniprésent du personnel pénitentiaire. Car oui, « en prison, l’art de voir est aussi celui d’être vu », comme on peut lire à l’entrée de l’exposition. 

De part et d’autre de la vidéo, il y a deux portes. Prendre à gauche, c’est se retrouver derrière les verrous avec Bettina Rheims. Prendre à droite, c’est se retrouver du « bon » côté de l’oeilleton avec Arnaud Théval. Deux parcours différents, deux chemins de vie qui se croisent et se regardent. 

Faces cachées

Un homme corpulent, torse nu, la boule à zéro, arbore un vaste tatouage de dragon qui lui mange presque tout le dos. Contre toute attente, cet homme n’est pas un détenu mais un surveillant de prison. Avec sa série Un oeil sur le dos, le photographe Arnaud Théval a choisi d’aller à l’encontre des préjugés et de représenter le quotidien du personnel pénitentiaire, de leur formation à l’exercice de leur métier dans les prisons. 


Sans titre (Le tigre et le papillon), de la série Un oeil sur le dos © Arnaud Théval

En mêlant photographies et témoignages, il révèle toutes les difficultés et les ambiguïtés de leur fonction. Surveiller, contrôler, punir : les tâches qu’ils exercent au quotidien se teintent souvent d’un sentiment mêlé de fierté et de honte. Leur volonté de servir l’Etat se retrouve fréquemment malmenée par la violence qu’ils côtoient au quotidien : celle qui survient entre détenus, celle générée par l’enfermement et celle dont ils sont souvent victimes, eux qui incarnent l’autorité. 

La difficulté de leur travail les entraîne parfois au-delà de leurs convictions, de leur raison, au-delà d’eux-mêmes. Une ambiguïté savamment représentée dans les images d’Arnaud Théval qui met en avant la puissance de l’uniforme – celui qui permet de différencier l’homme de la fonction – et les corps qui le portent, dont les nombreux tatouages révèlent ce qu’ils sont au fond d’eux-mêmes. « Tout voir sans rien montrer de soi », tel est le dilemme des personnels de surveillance. 


Niniovitch II, novembre 2014, Roanne, de la série Détenues © Bettina Rheims

Face à face

A côté de Léa, la vingtaine, petite brune en robe bleu, il y a Brigitte, la cinquantaine, cheveux court, le regard droit. Et à côté de Brigitte, il y a Samia, Virginie, Anita, Claudine et tant d’autres. Toutes sont des femmes, toutes sont en prison et toutes sont passées un jour de l’automne 2014 devant l’objectif de la photographe Bettina Rheims. 

C’est à la demande de l’ancien ministre français Robert Badinter et avec le soutien de l’administration pénitentiaire que la photographe parvient à réaliser en moins de deux mois ce projet d’une puissance singulière : faire le portrait de détenues anonymes. 


Vaiata, novembre 2014, Rennes, de la série Détenues © Bettina Rheims

À ce propos, à quoi ressemble une prisonnière, une taularde, une délinquante, une criminelle ? C’est toute la question du travail de Bettina Rheims et, à regarder ces quelques cinquante portraits, la réponse est d’une évidence déconcertante : à nous, à vous, à votre voisine, votre mère, votre soeur, votre grand-mère. À toutes ces femmes qui partagent notre quotidien, de près ou de loin. « Une femme détenue est une femme, non une détenue. Elle ressemble à n’importe quelle femme » explique l’historienne de l’art Nadeije Laneyrie-Dagen en préambule du livre qui accompagne ce travail.  

En les photographiant de la même manière, face à l’objectif, sur fond blanc, l’artiste parvient à révéler leur singularité, leurs peurs, leurs espoirs, toutes ces émotions trop souvent gommé par l’univers carcéral et la vie en communauté. Toutes ces émotions qui traversent la vie d’une femme, quelle qu’elle soit. 


Le mur rouge, de la série Un oeil sur le dos © Arnaud Théval

Par Coline Olsina

Prison miroir,

Du 26 octobre 2019 au 23 février 2020

La Friche la Belle de Mai, 41 Rue Jobin, 13003 Marseille

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