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La vie au-delà des ruines

Dans son livre, La ruine de sa demeure, le photographe français Mathieu Pernot refait le voyage que son grand-père avait effectué en 1926 au Moyen-Orient.
Album de René Pernot, Syrie, 1926 © Mathieu Pernot
Album de René Pernot, Syrie, 1926 © Mathieu Pernot

Feuilleter le nouvel ouvrage du photographe français Mathieu Pernot, c’est avoir le cœur qui se serre en traversant les drames qui se sont abattus sur le  Liban, la Syrie et l’Irak ces dernières années. Pourtant, ce n’était pas le but initial de son projet. Mathieu Pernot voulait avant tout refaire le voyage touristique que son grand-père avait effectué en 1926 et dont les traces ont été conservées dans un album de famille. « Je suis parti de rien avec ce projet, sans la moindre idée des difficultés que j’allais rencontrer et de la possibilité de me rendre dans certains territoires. La seule matière que j’étais sûr de posséder était les archives familiales. » Sur la première page de l’album publié au début de son ouvrage, La ruine de sa demeure, édité par l’Atelier EXB, sont inscrites les villes que son grand-père a visitées : « Beyrouth. Tripoli. Baalbeck. Damas. Homs. Kalaat el Hosn. Palmyre. »

Tout commence à Beyrouth, dans l’appartement où le père de Mathieu Pernot avait vécu et que le photographe a pu louer à son tour pour y séjourner. « Mon père a grandi dans un appartement loué par ses grands-parents dans le quartier de Sanayeh, à Beyrouth, de 1940 à 1958 (…) J’ai pu y passer quelques nuits lors de mon premier voyage. » On est en 2019, la capitale libanaise garde encore les stigmates de la guerre civile de quinze ans (1975-1990) qui a traversé son histoire. Mathieu Pernot photographie l’intérieur ordonné de l’appartement. En parallèle, il montre d’anciennes photographies de famille en noir et blanc, des prises de vue sur le balcon de l’appartement où son père, âgé de quelques années prend la pose avec ses parents.

Tripoli, 2019-2020 © Mathieu Pernot
Beyrouth, 2020 © Mathieu Pernot

Moins d’un an plus tard, en août 2020, Mathieu Pernot revient à Beyrouth mais l’immeuble n’est plus accessible. Une explosion chimique, aussi appelée l’explosion du 4 août, a dévasté Beyrouth. Le photographe se rend alors dans le port là où l’explosion a eu lieu et dans les appartements avoisinants. Bateaux calcinés, carcasses de voitures entassées, intérieurs dévastés, la ville est méconnaissable, elle a encore changé de visage. Beyrouth est de nouveau détruite. « Le garde-corps du balcon, devant lequel mon père posait enfant, était tombé dans la rue et servait à condamner l’entrée de l’immeuble. » Mathieu Pernot photographie cette scène. « La grande et la petite histoire se trouvaient entremêlées et une boucle se refermait. Cette histoire-là était finie. »

Entre ces deux séjours, Mathieu Pernot a suivi les traces du voyage de son grand-père. Tout d’abord dans le nord du Liban, à Tripoli, la deuxième plus grande ville du pays, là où un conflit lié à la guerre en Syrie s’est tenu de 2011 à 2014 entre les alaouites et les sunnites. Au milieu des immeubles criblés de balles, le photographe se met à prendre des portraits des habitants, ce qu’il n’envisageait pas au départ. « Je pensais ne photographier que le bâti et n’imaginais pas faire de portraits, mais la présence des habitants s’est vite imposée comme une nécessité. Je les ai photographiés dans leur environnement avec une certaine distance et en regardant la façon dont les personnes habitent l’espace. » 

Stade Al-Idara Al-Mahalia, qui servait de dépôt d’armes aux combattants du groupe État islamique, Mossoul, 2019 © Mathieu Pernot
Alep, 2021 © Mathieu Pernot
Palmyre 2021 © Mathieu Pernot

Cette façon de travailler, il la poursuivra en Syrie. Mis à part le centre-ville de Damas qui a été épargné, Mathieu Pernot découvre une Syrie détruite par plus de dix années de guerre. À côté des bâtiments ravagés et des portraits des habitants, un visage se retrouve presque sur chaque photo, celui du dictateur syrien. « Le portrait de Bachar Al-Assad est partout et se déploie de toutes les façons imaginables sous formes d’autocollants, de peintures au pochoir, d’affiches dans la rue ou de pare-soleil à l’arrière des voitures. Il n’est pas possible de faire un pas sans tomber sur son portrait et se sentir surveillé. D’une certaine façon, la démesure du déploiement de son image constitue la symétrie inversée du projet iconoclaste de Daech de faire disparaître toutes les formes de représentation. » 

Après la Syrie, Mathieu Pernot étend son voyage un peu plus loin que son grand-père. Il se rend en Irak, là où Daech a tout rasé sur son passage comme à Nimroud ou à Mossoul. Ruines contemporaines, ruines antiques et ruines de ruines se succèdent dans l’ouvrage du photographe. « Les ruines photographiées dans cet ouvrage couvrent une période de plus de 3000 ans d’histoire. Il n’y a pas d’effet recherché mais juste le constat de ce qui est, dans cette région du monde où semblent cohabiter à la fois l’origine de notre histoire et sa fin tragique. »  C’est parmi les débris du centre-ville de Mossoul qu’il tombe sur une photographie d’un jeune garçon qui tient dans ses bras une jeune fille. « Cette image qui a survécu aux bombardements de la ville m’a bouleversé » (…) Il me semblait important de convoquer des images faites par ceux qui avaient vécu dans ces lieux et qui en montraient une sorte de normalité. » Cette image et d’autres d’anonymes concluent son ouvrage comme une volonté de témoigner que la vie sera toujours plus forte.

La ruine de sa demeure de Mathieu Pernot est publié par Atelier EXB, 216 pages, 45 €. Avec un texte de la grand reporter Hala Kodmani et un entretien entre Mathieu Pernot et le critique d’art Etienne Hatt.

Exposition : La ruine de sa demeure, exposition de Mathieu Pernot à la Fondation Henri Cartier-Bresson, 79 rue des Archives, Paris III, du 8 mars au 19 juin 2022.

Alep, 2021 © Mathieu Pernot
Homs, 2020 © Mathieu Pernot
Karamless, plaine de Ninive, 2019 © Mathieu Pernot

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