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L’âge d’or du hip-hop, en images

L’âge d’or du hip-hop, en images

T.Eric Monroe nous fait redécouvrir un trésor tout droit sorti des années 1990 avec The Notorious B.I.G., Tupac Shakur, Wu-Tang Clan, Nas, Erykah Badu ou encore les Fugees.
RZA, Rings, 1996, NY, NY

Tout au long des années 1980, les médias vont penser que le hip hop n’est qu’une simple mode, dénigrant une culture issue de la rue et qui ne requiert pas d’apprentissage formel de la musique – simplement un peu de rythme et de vécu. Il faudra attendre 1989 pour que la catégorie rap soit intégrée aux Grammy Awards, après dix ans de mépris et le ras-le-bol des artistes. Bien qu’ils aient remporté le premier Grammy pour la meilleure performance rap, DjJazzy Jeff et Fresh Prince boycottent la cérémonie, tout comme Salt-N-Pepa, LL Cool J, Slick Rick et Public Enemy.

À l’aube de la décennie suivante, le hip-hop est profondément ancré dans l’underground et fait les grands titres, suivi de près par le FBI et le Sénat, notamment lors d’audiences organisées sous la houlette de la Deuxième dame Tipper Gore. Le hip hop est en plein âge d’or, bien qu’il faudra encore des années pour que le public blanc transforme cette street culture noire et métisse en industrie mondiale génératrice de milliards de dollars.

Tupac Shakur, Looking Through, 1994, Harlem,NY
The Original Roots Crew, Subtle,1994, Ny, NY

Durant les années 1990, l’ancien skateur T. Eric Monroe, devenu photographe, est dans la place, occupé à photographier les icônes du hip hop comme Biggie Smalls, Tupac Shakur, Wu Tang Clan, Nas, Lil’ Kim, les Fugees et The Roots. À travers l’exposition 90’s Hip­Hop Art Tour, installée dans le Lower East Side, à New York, et sa trilogie Rare & Unseen Moments of 90s Hip Hop, Monroe raconte ces années passées à couvrir la scène pour les labels et les magazines du milieu, dont The SourceXXLThrasher et Transworld Skateboarding.

Le combat quotidien

T.Eric Monroe fait ses débuts de photographe professionnel en 1992, alors qu’il assiste à un événement de skate au MTV Beach Bash. Il réussit à obtenir une carte de presse auprès d’un ami, photographie un concert et se tourne vers Thrasher, qui avait déjà publié ses clichés en 1988 alors qu’il était encore au lycée. « Je ne savais pas encore comment qualifier ma démarche, mais je savais qu’il me fallait le soutien d’un magazine », explique t-il. « En travaillant avec Thrasher, j’ai trouvé mon rythme et j’ai compris les rouages de l’industrie musicale à New York. »

Redman, Pizza, 1997, NY, NY
Ol’ Dirty Bastard, Barbershop Chair Stare, 1995, Harlem, NY

En 1994, T. Eric Monroe passe le plus clair de son temps avec des artistes tels que Digable Planets, alors qu’ils travaillent sur leur second album, Blowout Comb, tout en sillonnant la ville pour vendre ses photos à des magazines et des labels. Quoique passionnant, le métier d’indépendant est alors difficile – ce qui n’a d’ailleurs pas changé. Pour payer ses factures, Monroe fait des photos de mariage.

« C’était pareil pour tout le monde au début des années 1990 », se souvient-il. « Pour survivre, il fallait multiplier les petits boulots. Ça ne me dérangeait pas parce que je ne me projetais pas dans une carrière professionnelle à l’époque. Ce qui m’intéressait, c’était de photographier des artistes différents et de découvrir une nouvelle ère. »

Lauryn Hill, The Moment

Avec seulement un beeper et une poignée de pièces pour passer des appels en cabine téléphonique, Monroe est sur le qui-vive et doit toujours avoir trois coups d’avance. Il réseaute, distribue des cartes de visite et fréquente les plateaux de tournage de clips pour rencontrer les labels. Parfois, soucieux de ne pas se montrer invasif pendant les tournages, Monroe propose à l’artiste de le photographier, ce qui lui permet de faire sa connaissance.

Depuis son appartement, T.Eric Monroe examine une photo prise en 1997, un portrait de Lauryn Hill en pause sur le tournage de Retrospect for life de Common. Il se souvient ainsi du moment précis où il l’a prise. « L’équipe venait de terminer une scène et Lauryn est arrivée de mon côté, pour respirer un peu et se détendre. Il y avait beaucoup d’agitation derrière elle mais elle est restée très calme, et j’ai pu prendre cette photo, où on la voit telle qu’elle est. »

Everything is everything

Wyclef Jean, Architect

Tout en parcourant ses archives, T.Eric Monroe revient sur les années passées aux côtés des plus grands artistes du hip-hop. « Je ne cherchais pas à me faire de l’argent, tout ce qui comptait pour moi, c’était de faire quelque chose que j’aimais. Je ne me rendais pas compte à quel point ces photographies allaient devenir importantes ou à quel point mon amitié ou lien avec ces artistes étaient précieux. À l’époque, c’était la scène émergente. »

Il noue même des liens intimes, se souvient de Wyclef Jean, qui lui propose de photographier son mariage. « Je n’avais jamais pris de photos pour un mariage Haïtien. À la fin, j’ai donné à Wyclef les clichés qu’il avait choisis, avec tous mes négatifs, excepté un, pour en garder une trace. Je ne les ai jamais partagés et je crois que lui non plus, parce que c’est très personnel. »

Fat Joe & Big Pun, Blue, 1997, Shea Stadium, Queens, NY

Il évoque alors un autre moment, cette fois, en 2006. Sans le moindre billet, il a réussi à s’infiltrer dans un concert donné pour les 25 ans de Loud Records. Arrivé en coulisse, il se glisse dans la loge de Fat Joe et attend que tout le monde soit parti. Dès qu’il remarque sa présence, le regard du musicien s’éclaire.

« Joe m’a serré dans ses bras, avant de s’adresser à mon associé en lançant ‘tu n’as pas idée à quel point ce type sort du lot !’ », raconte le photographe avec fierté. « Joe a prononcé un véritable panégyrique à mon sujet, et moi je pleurais. Je ne m’y attendais pas, je ne savais pas que je pouvais compter autant pour quelqu’un, qu’on pouvait apprécier mon travail à ce point. »

Le monde t’appartient

Biggie Smalls, Hoodshock, 1996, Harlem, NY

Les photographies réalisées par T.Eric Monroe au cours de cette décennie, mémorable, sont autant de documents historiques sur une période clé de l’histoire du hip-hop. Les artistes qu’il a photographiés n’étaient pas encore des produits préfabriqués par l’industrie musicale, ils conservaient leur âme de la rue, une certaine essence même du hip hop.

L’un de ses clichés, pris en 1996, immortalise The Notorious B.I.G., à Hoodshock, un festival caritatif organisé sur la 125e rue à Harlem, en face du Harlem State Office Building. On y voit bien plus qu’une légende dans la dernière année de sa vie. On y voit un portrait de New York dans toute sa splendeur, avant que la gentrification ne commence à gommer l’univers dand lequel le hip-hop est né.

Ghostface Killah, RZA, Method Man, Whatcha Wanna Do, 1995, Staten Island, NY

« Ce matin, je parlais à un gamin d’une photo que j’ai prise en 1995 et il s’est exclamé qu’il était né cette année-làOn parle en face à face, au sein de la communauté, pas sur Instagram. On apporte l’art et les livres dans les lieux que fréquentent les jeunes, pour qu’ils puissent vraiment se projeter dans les années 1990 et retrouver leurs racines. Je passe beaucoup de temps dans la rue, à les encourager, à leur dire qu’eux aussi, ils peuvent y arriver. »

Par Miss Rosen

Miss Rosen est une journaliste basée à New York. Elle écrit sur l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres, des magazines, notamment TimeVogueAperture, et Vice.

Rare & Unseen Moments of 90s Hip Hop, trois tomes et une édition collector. À partir de $29.95. Disponible ici.

Guru & LadyBug Mecca, That Moment, 1994, NY, NY
Erykah Badu, Power, 1997, NJ

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