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Le festival Visa pour l’image retrouve son souffle

Le festival Visa pour l’image retrouve son souffle

Après une édition 2020 sans public, la 33e édition du festival international de photojournalisme de Perpignan ouvre de nouveau ses portes au public et continue de montrer un monde en souffrance.
Kleidy a fui l’instabilité du Venezuela. Comme Valeria et Denise, elle a trouvé refuge à Casa Isabel, un foyer d’urgence pour mineurs étrangers en Équateur. Avec la pandémie de Covid-19, les capacités d’accueil du centre ont diminué mais Kleidy a tout de même pu y être hébergée avec son bébé. Quito, Équateur, 1er février 2021. © Agnès Dherbeys / MYOP pour la Commission européenne

Visa a retrouvé son public. Après une édition 2020 tronquée par la pandémie, le festival international du photojournalisme de Perpignan reprend des couleurs. Les visiteurs ont de nouveau investi les lieux d’expositions, les photographes sont aussi là pour enchaîner les visites, les conférences et les interviews. Les projections des reportages sur écran géant et en plein air sont aussi de retour.

Évidemment, quelques photographes étrangers n’ont pas pu faire le déplacement en raison des mesures sanitaires encore en vigueur. Mais Perpignan vibre de nouveau au rythme de l’actualité et des soubresauts du monde. Le cauchemar arménien, avec le précieux travail de Stéphane Agoudjian, le soulèvement populaire en Birmanie couvert par un photographe resté anonyme pour sa sécurité, la double peine des réfugiés pendant la crise sanitaire par l’agence Myop… Tous ces photojournalistes nous rappellent par la force des images que le virus n’a pas stoppé les conflits, les déplacements de populations ou les catastrophes naturelles.

Distribution de nourriture et de vêtements organisée par les autorités de l’Artsakh et diverses ONG dont la Croix-Rouge. Stepanakert, capitale de l’Artsakh. © Antoine Agoudjian pour Le Figaro Magazine

Hommage à Danish Siddiqui

Les retrouvailles auraient été idéales si cette édition n’avait pas été endeuillée par un drame. Danish Siddiqui se faisait une joie de venir présenter son travail sur la crise sanitaire en Inde. Le photojournaliste indien a été tué en juillet dernier en Afghanistan alors qu’il couvrait l’offensive des talibans. Ses photos en Inde exposées témoignent de son engagement total dans son métier de rapporteur d’images. « Une photo d’actualité, c’est saisir le moment pour raconter une histoire. Mais elle doit aussi respecter le sujet », déclarait-il à propos de ses photos prises à New Delhi, pour documenter l’épidémie de Covid, cet « ennemi invisible ».

Un homme réconforte un proche dont le père est mort du coronavirus. New Delhi, Inde, 16 avril 2021. © Danish Siddiqui / Reuters
Des bûchers funéraires de victimes du coronavirus dans l’enceinte d’un crématorium. New Delhi, Inde, 22 avril 2021. © Danish Siddiqui / Reuters

Éric Bouvet, 40 ans à arpenter le monde

Respecter la dignité des sujets photographiés, c’est la ligne de conduite appliquée par Éric Bouvet durant toute sa carrière. Le photographe de 60 ans expose ses 40 années passées dans le « news ». De l’Afghanistan, couvert dès le début des années 1980 avec l’agence Gamma, jusqu’au mouvement des gilets jaunes, Éric Bouvet a arpenté le monde pour couvrir les grands évènements de notre récente histoire. Ses clichés de Kaboul sont terriblement d’actualité, comme cette femme en burqa seule au milieu des ruines, prise en 2001. 

L’étrange impression que l’histoire se répète, que les images se ressemblent, 20 ans après. Les photos de Somalie et de Tchétchénie nous plongent dans l’insondable. Terrible vision de la famine : cette mère qui tente d’allaiter son nouveau-né, mais dont sa poitrine ne possède plus que la peau. Parfois, l’horreur empêchera à Éric Bouvet d’appuyer sur le déclencheur. « La censure en étendard, l’objectif en berne. » Il continue pourtant encore aujourd’hui de témoigner, « au service de la stricte documentation de l’humanité ».

Tchétchénie, février 2000. Je suis venu à Grozny cinq fois lors de la première guerre en 1995-1996, mais je ne reconnais pas la place Minutka, la grande porte d’entrée sud de la capitale. Tout a été rasé. Je viens d’arriver, c’est ma première image. Cette femme a été chassée de chez elle par les Russes qui dynamitent tous les immeubles de peur que les combattants tchétchènes reviennent s’y cacher. Son mari et ses deux fils sont morts, il ne lui reste que le portrait de son mari et deux tapis. © Éric Bouvet
Kaboul, Afghanistan, octobre 2001. © Éric Bouvet

Syrie : une décennie de guerre

Pendant 10 ans, eux aussi ont couvert inlassablement l’agonie de leur pays. Seize photographes syriens sont mis à l’honneur par l’Agence France Presse (AFP) dans une grande retrospective qui revient sur cette décennie de guerre en Syrie. Des jeunes syriens qui n’avaient pour la plupart jamais touché un appareil photo avant le début du conflit. Elle reste peut-être l’image la plus marquante, celle d’Aeref Watad, de cet enfant appuyé sur un pile d’obus rouillés, le regard rempli de colère et de souffrance. Elle a été prise dans la Province d’Idlib en mars 2021.

Un homme portant un enfant dans sa valise marche vers Hamourieh, où un couloir d’évacuation a été ouvert pour quitter la Ghouta orientale. Beit Sawa, Ghouta orientale, mars 2018. © Omar Sanadiki pour UNOCHA
Près de Ras al-Aïn, des familles fuient la zone d’affrontements entre les forces dirigées par la Turquie et des combattants kurdes des Forces démocratiques syriennes. Tell Tamer, Hassaké, dans le nord-est de la Syrie, 15 octobre 2019. © Delil Souleiman / AFP

L’idéal républicain qui vacille

Il y a des séries qui retiennent l’attention, qui font réagir. Celle-ci en fait partie. Soulignons le merveilleux coup d’œil de Guillaume Herbaut. Son travail sur la Ve République, « La Ve », est un portrait plein d’ironie et de malice de cette France qui vacille, touchée par la crise économique, les mouvements des gilets jaunes, la menace terroriste et d’un idéal républicain tremblant. Les institutions peuvent-elles apporter des solutions à ces crises que le pays traverse ? C’est la question que pose son travail. La photo d’un sénateur, affalé sur son siège, roupillant pendant une séance de questions d’actualités au Gouvernement, apporte une réponse. Détail savoureux, une photo de De Gaulle recouvre l’envers du téléphone portable de ce sénateur. Le pauvre général ne s’en remettrait pas.

Sénateur durant la séance des questions d’actualité au Gouvernement. Sénat, Palais du Luxembourg, Paris, 24 juin 2020. © Guillaume Herbaut / Agence VU’

Gun bless America!

A en voir la réaction des spectateurs dans la salle d’exposition, le travail de l’Italien Gabriele Galimberti ne laisse lui non plus pas indifférent. Il avait déjà fait le coup en photographiant les enfants du monde entourés de leurs jouets. Il récidive pour National Geographic, mais cette fois-ci avec les mordus d’armes à feu aux Etats-Unis. Gabriele Galimberti connaît bien le pays. Ce travail part d’une statistique : il y aurait plus d’armes à feu détenues par des particuliers que d’habitants aux Etats-Unis. Pourtant ses connaissances n’ont pas d’armes chez eux. « Mais alors, à qui appartiennent toutes ces armes ? », se demande-t-il. Via les réseaux sociaux, dans les armureries, les clubs de tir, il parvient à dénicher ces Américains qui possèdent plus de 50 armes sous leur toit. « The Ameriguns » est une série à la mise en scène hallucinante.

Stephen F. Wagner (66 ans) – Municipalité de State College, Pennsylvanie Jusqu’à l’âge de 50 ans, Stephen ne nourrit que des espoirs : il rêve, il jauge, il étudie l’histoire et les modèles. Les armes le fascinent depuis son enfance. © Gabriele Galimberti / National Geographic

Seuls, en couple, en famille, de tous les âges, ces citoyens fermement attachés au deuxième amendement de la Constitution, posent fièrement au milieu de collections insensées de flingues (du pistolet porte-clé au lance-flammes), disposés géométriquement. Un portrait délirant, pour ne pas dire effrayant, de la culture des armes au pays de la démesure. On préfère peut-être finir par un autre visage de l’Amérique : les portraits touchants des séniors du sport par David Burnett. Des hockeyeurs de 95 ans qui forcent le respect. Des rides mais surtout des sourires. Une belle histoire humaine et une note d’espoir dans un monde qui souvent ne tourne pas rond.

Brandon Brown (35 ans), Ashtan (5 ans) et Carson (3 ans) – Harvest, Alabama Brandon Brown est plutôt laconique : « J’ai 35 ans, je suis de Huntsville et j’adore les armes. » Célibataire avec deux enfants, il vit et travaille près de sa ville natale où il a passé toute son enfance. © Gabriele Galimberti / National Geographic

Récompenses

Samedi 4 septembre, la traditionnelle semaine professionnelle s’est terminée par la cérémonie de remise des Visas d’or. C’est une première à Visa pour l’image: le festival a décerné le Visa d’Or News à un photographe resté anonyme pour des raisons de sécurité, récompensant son travail sur la « révolution du printemps » en Birmanie. « Quand j’ai appris qu’un coup d’Etat venait d’avoir lieu en Birmanie le 1er février, c’était une évidence de faire appel à lui, c’est probablement le meilleur photographe dans le pays », a déclaré à l’Agence France-Fresse (AFP) Mikko Takkunen, éditeur photo pour l’Asie au New York Times qui collabore avec le photographe birman depuis des années. « Garder l’anonymat d’un photographe n’est pas une décision que nous prenons à la légère, et elle est toujours liée à la sécurité de nos collaborateurs qui est notre priorité. »

Des milliers de partisans de la Ligue nationale pour la démocratie manifestent. Certains exhortent les policiers à rejoindre leur mouvement. Rangoun, Birmanie, 6 février 2021. © Photographe anonyme en Birmanie pour The New York Times

Lors de cette 33e édition, le festival a également souhaité rendre hommage au célèbre photographe franco-brésilien Sebastião Salgado, en lui remettant le Visa d’or d’honneur du Figaro Magazine« C’est un immense plaisir et honneur », a déclaré le photographe aujourd’hui âgé de 77 ans. Un prix qui récompense une carrière passée à documenter la condition des plus pauvres et la dégradation de leur environnement.

© Sebastião Salgado

Par Michaël Naulin

Michaël Naulin est journaliste. Passé par les rédactions de presse régionale et nationale, il est avant tout passionné de photographie et plus particulièrement de photoreportage.

Festival Visa pour l’image de Perpignan, tous les jours jusqu’au 12 septembre puis les 18-19 et 25-26 septembre 2021. Entrée libre.

Couverture: Originaire de Mai-Kadra, au Tigré, Habrehaley (21 ans) a été frappé avant d’être laissé pour mort par des miliciens amharas alliés au gouvernement fédéral. Il a été attaqué, dit-il, parce qu’il est tigréen. Amnesty International dénonce un « massacre de civils » dans la région du Tigré. Hamdayet, Soudan. © Olivier Jobard / MYOP Lauréat du Prix Camille Lepage 2020

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