
C’est à travers la rencontre des envies du mécène Tancrède Besnard d’aider la photographie et les photographes, et de Léna Mauger, rédactrice en chef des revues XXI et 6Mois, de produire des séries photographiques, que le Prix 6Mois du photojournalisme s’est mis en place pour la première fois en 2020. « Du rôle d’éditeur que nous sommes généralement avec la revue 6Mois, nous sommes devenus producteurs d’histoires », raconte Léna Mauger. Ce prix s’adresse à tous les photographes, de tous âges, nationalités et lieux de résidence confondus. Il vise à accompagner et soutenir les « photographes qui aiment raconter des histoires par l’image ». En leur accordant 10.000 euros, la revue leur permet de développer un projet qu’ils ont déjà débuté. Après avoir accordé le Prix en 2020 à l’italien Marco Zorzanello pour sa série sur le tourisme climatique, le jury réuni par Martina Bacigalupo, directrice de la photographie de 6Mois et composé de différentes personnalités du monde de la photographie (dont Gilles Favier, directeur du festival ImageSingulières ou Lars Lindemann, directeur de la photo chez Geo) a choisi de récompenser en 2021 deux lauréats : Fabiola Ferrero et Seif Kousmate. Ils racontent de l’intérieur leurs communautés respectives au Venezuela et au Maroc, « deux photographes qui expérimentent de nouvelles écritures », dit Léna Mauger.

La gardienne de ceux qui sont partis

Journaliste de formation, Fabiola Ferrero est une photographe née à Caracas en 1991. Dans sa série « I can’t hear the birds », Fabiola Ferrero mêle des photographies de familles vénézuéliennes à l’actualité de son pays. Pour raconter la chute du Venezuela, où, sur 28 millions d’habitants, plus de 5 millions ont été contraints à l’exil, elle a choisi une écriture intime. Léna Mauger raconte que Ferrero était « la gardienne de ceux qui sont partis, elle allait faire fermer les maisons de ceux qui s’en allaient, elle couvrait de draps les lits, les canapés, les fauteuils ». Ferrero qui a vu partir ses parents, ses frères et ses amis les plus proches a décidé, elle, de rester et de documenter ce pays qu’on déserte. « Il est important de continuer à documenter l’impact de notre crise maintenant, car même s’il ne fait plus la une du monde, l’effondrement continue et la pandémie n’a fait qu’aggraver les luttes quotidiennes des citoyens. » affirme la photographe.
La disparition des oasis

Fondateur de Koz, un collectif de quatre artistes visuels marocains, qui cherche à raconter des histoires photographiques dans des formats hybrides, Seif Kousmate pose une réflexion sur le changement climatique dans son projet Waha. Né en 1988 à Essaouira, il raconte la disparition des oasis marocaines, dont les deux tiers ont été rayées de la carte à la suite des changements environnementaux de ces dernières décennies. « J’ai veillé à ne pas reproduire une représentation orientaliste des oasis afin que mon travail exprime plus fidèlement la réalité de la détérioration que j’ai observée » écrit Seif Kousmate. « J’ai cherché à expérimenter de nouvelles voies en ajoutant à mes photographies des éléments extérieurs et organiques (telles que des dattes sèches, des peaux mortes de palmiers, de la terre…) qui sont intimement liés aux espaces que j’ai choisi de photographier. J’ai également utilisé l’acide et le feu comme symboles de détérioration qui permettent un aller-retour entre la réalité du présent et le processus de dégradation à venir. »
Par Sabyl Ghoussoub
Né à Paris en 1988 dans une famille libanaise, Sabyl Ghoussoub est un écrivain, chroniqueur et commissaire d’exposition. Son deuxième roman Beyrouth entre parenthèses est sorti aux éditions de l’Antilope en août 2020.

