Avec son dernier ouvrage, Sorry for the War, le photographe Peter van Agtmael propose un regard à la fois déconcertant et dissonant sur la guerre. Violence, spectacle et perception s’y confrontent.
Cette année marque un anniversaire douloureux pour les États-Unis, celui des attentats du 11 septembre, survenus il y a maintenant 20 ans. Cet événement historique allait précipiter l’invasion américaine de l’Irak et de l’Afghanistan, deux pays qui ne figurent qu’en filigrane dans la conscience collective de ce pays. Leur soif de vengeance étanchée par l’extermination d’Osama Ben Laden et de Saddam Hussein, peu d’Américains ont retenu que le 21 mai prochain, les troupes américaines auraient fini de se retirer du territoire afghan, mettant fin à la guerre la plus longue qu’ait connu l’Amérique. Peu à peu relégués dans l’oubli, ces combats ne marquent plus les citoyens, qui n’ont qu’une compréhension diffuse de leur incidence sur la conduite de ce pays.
Pourtant, l’impact de ces conflits résonne toujours à travers le monde, dans un enchevêtrement étourdissant de causes et d’effets. C’est ce labyrinthe que Peter van Agtmael, photographe membre de Magnum Photos, cherche à explorer dans son livre Sorry for the War (publié par Mass Books). « Il est dédié à toutes les vies anonymes prises au piège des conflits de l’Amérique. Vingt ans plus tard, visages et noms se sont effacés des mémoires », écrit Peter van Agtmael dans ses remerciements, un bouleversant rappel du prix incalculable de la guerre.
Le photographe couvre les guerres américaines depuis 2006, qu’elles se déroulent sur leur propre territoire ou à l’étranger. Son portrait de la nation, qui se soumet de plein gré à la paralysie et à l’illogisme le plus absolu, est hallucinant. Tout en nous faisant visiter les entrailles du monstre, il établit de terribles parallèles entre les atrocités de la guerre et le bonheur puant que procure l’ignorance. Alternant photos documentaires et images tirées des médias populaires, il explore la rupture vertigineuse entre réalité et spectacle, tout en contextualisant ses séries, surréalistes, au moyen de commentaires parfois déconcertants.
« Une photo est un document bien mince, témoin d’un instant qui ne représente qu’une fraction de seconde au sein d’un véritable bouillonnement d’événements», explique Peter van Agtmael. « Certes, elle fournit un certain éclairage et suscite des questionnements. Au-delà du visible, il faut aussi savoir distinguer l’invisible, et c’est cela que je décris avec mes textes. »
Ce livre est plus qu’un simple portrait de la guerre. C’est un regard long et pénétrant, sur une scène de crime qui suscite un tsunami d’émotions. Choc, déni, rage et dépression s’emparent du lecteur, qui ne peut que céder au désespoir : pourra-t-on jamais appréhender toute la portée de ces 15 années de guerre ? Elles ont généré destruction, dislocation, militarisme, terrorisme et nationalisme, sans compter la propagande, ce nuage toxique omniprésent. L’ouvrage est émaillé d’images créées à partir de séquences télévisées, ainsi que de prises réalisées en coulisse des plateaux hollywoodiens. Van Agtmael souligne ainsi clairement son message : au 21è siècle, les luttes idéologiques sont d’importance cruciale.
L’un de ses clichés montre des jeunes filles blanches, postées devant une grande affiche du World Trade Center en flammes, au 9/11 Museum de New York. Elles semblent trop jeunes pour avoir vécu ces attentats, et nous rappellent que notre connaissance des événements dépend étroitement de nos sources. C’est un point important, qui transparaît d’un bout à l’autre de l’ouvrage. On ne peut en effet accepter le message sans tenir compte des motivations du messager.
Ainsi Peter Van Agtmael accepte t-il son rôle de photographe de guerre. « J’ai beaucoup réfléchi à mon parcours et à ce que je souhaite transmettre. En fin de compte, je me suis rendu compte que je tenais absolument à montrer ma vision des choses et à être reconnu. C’est un peu compliqué. Dans ce contexte, le fait de travailler pour le New York Times et d’être chez Magnum représente un marqueur fort de légitimité et d’autorité, sur lequel je me suis naturellement appuyé, car je brûle de raconter des histoires. En même temps pourtant, je me méfie du pouvoir que cela me confère. »
Miss Rosen est journaliste spécialisée en art, photographie et culture, et vit à New York. Ses écrits ont été publiés dans des livres, des magazines et des sites web, dont Time, Vogue, Artsy, Aperture, Dazed et Vice, entre autres.