
Pieter Hugo a fait du portrait son domaine de prédilection. Certes, quelques paysages ou natures mortes viennent se glisser ici ou là dans ses séries mais, indéniablement, la figure humaine est le fil conducteur de son travail depuis plus de quinze ans. Un signe qui ne trompe pas, sa première récompense est un World Press Photo catégorie Portrait en 2005. C’est par ce prisme que le photographe a choisi d’analyser le monde qui nous entoure. Qu’il photographie ses proches ou des inconnus, ses compatriotes d’Afrique du Sud ou d’ailleurs dans le monde, il cherche à capter autant l’individu que le collectif, le particulier que l’universel, insufflant un caractère documentaire à son travail.
A l’image de ses partis pris esthétiques tout en sobriété donnant à voir les gens au naturel et posant la plupart du temps frontalement, sans effet d’éclairage ni de mise en scène, la scénographie de l’exposition arlésienne est épurée. Elle laisse de la place au vide, alternant d’un côté assemblage de petits formats, de l’autre grands tirages espacés les uns des autres. Certaines images sont présentées en série tandis que d’autres sont isolées, rythmant la visite. Et le caractère intime des salles du Palais de l’Archevêché, avec ses cheminées, sied particulièrement bien à ce travail.


Dans les images du photographe âgé de 45 ans, accessoires et décors sont rares si bien que l’œil du spectateur ne se disperse pas : on est à chaque fois confronté à l’autre, et ainsi à son alter ego humain. Ce n’est pas un hasard si la plupart des portraits sont légendés avec l’identité de la personne et qu’il privilégie les fonds neutres. Nadar en vantait déjà les mérites au XIXe siècle, trouvant là le meilleur moyen d’aller au plus profond de l’être, de réaliser des portraits psychologiques. Et, en effet, ce qui frappe chez Pieter Hugo, c’est l’authenticité des êtres et de l’instant saisis.
Laissant de côté les séries réalisées in situ comme « Hyène et autres hommes » (2005-2007) et « Nollywood » (2009) qui l’ont fait connaître, Pieter Hugo a privilégié les portraits en buste. La série « Détourner le regard » (2004-2005) rassemblant des gens « à part » (albinos, aveugles, malvoyants ou personnes âgées), place le spectateur face à ceux que, bien souvent, il ne veut voir. Comme l’explique le photographe : « Dans ce premier travail, j’ai explicitement adopté une position de confrontation, une attitude qui est répétée dans beaucoup de mes travaux ultérieurs ». Et de fait, nous sommes contraints de soutenir ces regards, jusqu’à parfois être mal à l’aise.

Dans une autre salle, « Le voyage » nous transforme en voyeur. La série surprend par ses 48 petits tirages avec cadres et Marie-louises blanches regroupés sur quatre rangs. A l’inverse de la précédente, elle est en noir et blanc, plus précisément conçue avec la fonction infrarouge de l’appareil photo. Pieter Hugo l’a improvisée lors d’un voyage en avion où, pour tuer l’ennui, il a photographié les passagers endormis. Cette fois, l’étrangeté vient du relâchement des modèles, en état d’abandon dans leur sommeil. « …Nous n’avons presque plus de vie privée, et nous sommes presque toujours sous surveillance », analyse Pieter Hugo, pointant ce travers de notre société contemporaine où l’image est omniprésente, notamment via la vidéosurveillance dans l’espace urbain. Avec leurs yeux cachés, leur bouche ouverte, etc. ces “gisants“ sont eux aussi troublants, semblant être quelque part entre la vie et la mort.
Le clou de l’exposition est sans doute, « Solus » (2019-2021) rassemblée dans une petite salle. La série brille par sa simplicité. Ici, Pieter Hugo a choisi des mannequins aux physiques « atypiques », leur proposant le protocole suivant : « Venez dans vos propres vêtements avec le moins de marques possible, des couleurs monochromes et en blocs de préférence. […] Présentez-vous simplement et regardez-moi dans les yeux. ». En choisissant de les saisir sans maquillage ni artifice, il ne photographie plus des mannequins mais une génération, comme l’indique le sous titre de la série, « Sur la jeunesse et la beauté atypiques ». Alignés sur les quatre murs de la pièce, serrés les uns contre les autres, les tirages nous encerclent. Et nous sommes cernés par les regards. Effet garanti. Oui, Pieter Hugo a raison, « il y a de la beauté à être tenu dans le regard de l’autre ».
Par Sophie Bernard
Sophie Bernard est une journaliste spécialisée en photographie, contributrice pour La Gazette de Drouot ou le Quotidien de l’Art, commissaire d’exposition et enseignante à l’EFET, à Paris.
Pieter Hugo, « Être présent », Palais de l’Archevêché, Arles, 52e Rencontres d’Arles, jusqu’au 26 septembre 2021. Expositions dans la ville et la région Sud-Paca.
