
Il y a ce jeune homme arrimé au bord d’une fenêtre. Il regarde devant lui d’un air las, désespéré, comme si l’horizon n’était qu’un mur, le ciel une porte fermée à double tour. Comme lui, nombreuses sont les personnes photographiées par Tish Murtha qui offrent le visage d’une détresse palpable. Souvent désœuvrées, aux chômages, elles errent dans les rues à la recherche d’une occupation, d’une évasion pour l’esprit. Des enfants jouent dans les gravats d’une maison tandis que des mères, d’énormes tatouages aux bras, regardent d’une manière contrariée le paysage d’asphalte qui s’ouvre devant elles. De jeunes gens zonent, une cigarette au bec, les yeux dans le vague. Le monde capturé par Tish Murtha est celui d’une réalité sociale terrible où les classes populaires payent la dure loi du marché instaurée par Margaret Thatcher dans les années 1980. La photographe s’est immiscée dans la vie d’un quartier de sa ville, Newcastle, le quartier d’Elswick, dont elle dresse le portrait des habitants, amis, famille et gens du coin. Elle y jette un regard doux, fait de bienveillance et de complicité, non sans révéler toute la dureté des conditions de vie qu’elle-même subissait puisqu’elle était inscrite à un programme d’aide aux chômeurs à cette période.

« Avec amour »
Troisième d’une lignée de dix enfants, elle a grandi dans ce quartier pauvre de Newcastle et savait reconnaître les difficultés économiques et sociales de cette communauté. À l’âge de 20 ans, en 1976, elle se forme à l’école de photo documentaire du Newport College of Art, école créée par David Hurn, photographe membre de l’agence Magnum. Elle en ressort deux ans plus tard avec l’intention de documenter la vie qu’on mène dans son quartier d’origine, de photographier les classes marginalisées. Elle fera des images avec « amour, mais également avec colère » comme elle l’a dit elle-même. De fait, les photographies de Tish Murtha dénoncent autant qu’elles forment le témoignage d’une connaisseuse des lieux et d’une grande amie de ces gens-là. Les portraits de la photographe apportent une couleur vivante à une population stigmatisée par les chiffres, les statistiques et la paperasse administrative. Elle donne un visage à la détresse, mais n’oublie pas de souligner qu’il y reste toujours de la joie. Comme sur cette photographie où un père de famille tient sa fille dans les bras et ne peut s’empêcher de faire un immense sourire.


Par Jean-Baptiste Gauvin
Tish Murtha, Festival Portrait(s)
Du 14 juin au 8 septembre 2019
Centre Culturel de Vichy 15 Rue Maréchal Foch, 03200 Vichy