Blind Magazine : photography at first sight
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Un demi-siècle dans l’objectif de Burt Glinn

Après avoir servi dans l’armée pendant la Seconde Guerre mondiale et travaillé pour le magazine LIFE, le photographe Burt Glinn rejoint Magnum Photos en 1951. Cet ouvrage récemment paru met en lumière son talent extraordinaire pour capturer des scènes emblématiques de la seconde moitié du XXe siècle. C’est la première monographie couvrant l’étendue de la carrière de Glinn.

Sarah Stacke a connu le photographe Burt Glinn pendant les huit dernières années de sa vie, jusqu’à son décès en 2008. Dans son introduction à Burt Glinn: Half a Century as a Magnum Photographer, elle se remémore l’influence qu’il a eue sur elle, comment cela a changé sa vie, ainsi que des souvenirs de l’homme lui-même et de sa carrière de plus de cinquante ans.

« Je me souviens de l’humour de Burt et de son sourire en coin quand il racontait des histoires, ce qui était fréquent. Il aimait les belles choses, surtout les vêtements. Il avait des opinions tranchées, des exigences élevées, et il était doué d’une compréhension incroyable des aspects narratifs, techniques et administratifs de la photographie… Pendant plus d’un demi-siècle, Burt a couvert tous les sujets : conflits, célébrités, faune, science, entreprises, voyages, société, culture. Pourtant, en parcourant ses archives, l’on voit clairement que des sujets l’intéressaient plus que d’autres. »

Glinn est né à Pittsburgh en 1925. Après avoir servi dans l’armée de 1943 à 1946, il s’inscrit à Harvard, où il étudie la littérature. Pendant ses études à l’université, il devient photographe et rédacteur photo pour le Harvard Crimson, le journal des étudiants. Son travail attire l’attention de LIFE, qui l’embauche comme photographe en 1949. En 1950, il devient membre de l’équipe du magazine, mais continue à travailler comme pigiste pour des publications telles que Holiday, Esquire, Paris-Match et Newsweek.

CUBA. La Havane. 1959. Un jeune "guerillero" sorti de la clandestinité s'adresse à sa première dame civile.
CUBA. La Havane. 1959. Un jeune “guerillero” sorti de la clandestinité s’adresse à sa première dame civile. © Burt Glinn

Voir le monde

« La vision éditoriale de Burt est la clé de tout. Il savait vraiment comment voir le monde en s’y mettant lui-même en situation. »

Susan Meiselas

En 1951, Glinn devient membre associé de Magnum Photos, aux côtés d’Eve Arnold et Dennis Stock, tous trois étant les premiers Américains à rejoindre l’agence. Glinn devient membre à part entière en 1954 ; puis il va exercer la fonction de président de Magnum de 1972 à 1975, et sera réélu à ce poste en 1987.

Glinn se fait connaître du public par sa couverture de la Révolution cubaine et ses séries en couleur explorant la situation dans les mers du Sud, au Japon, en Russie, au Mexique et en Californie. A chacune d’elles est consacré un numéro entier de Holiday.

« La vision éditoriale de Burt est la clé de tout. Il savait vraiment comment voir le monde en s’y mettant lui-même en situation. Il faisait partie de la génération qui a eu la chance de travailler lorsque les missions pour les magazines étaient encore nombreuses et longues. Il est issu de cette tradition, ce qui signifie qu’il se rendait dans tel ou tel endroit, y séjournait, et documentait ce qui s’y passait au fil du temps. Ses photographies de la construction du mur de Berlin sont un exemple de son excellent travail », déclare la photojournaliste Susan Meiselas dans une interview avec Stacke, qui accompagne le livre.

Tout au long de sa carrière, Glinn va régulièrement couvrir des événements historiques nationaux et internationaux, photographier des icônes culturelles et des personnalités politiques pour des publications de premier ordre – et ceci le conduit à voyager dans le monde entier.

Ses sujets vont du groupe d’étudiants afro-américains, « Little Rock 9 », à la Révolution cubaine, en passant par les conséquences de l’assassinat de Martin Luther King Jr. Il documente également la construction du mur de Berlin, la visite de la reine Elizabeth II à New York, des événements sportifs, et réalise des portraits de musiciens, de célébrités, de leaders de communautés religieuses dont il illustre les événements et rituels – et il tentera, autant que possible, de continuer à photographier celles-ci tout au long de sa carrière.

ÉTATS-UNIS. New York City. 1957. La reine ÉLIZABETH II lors de sa visite en Amérique.
ÉTATS-UNIS. New York City. 1957. La reine ÉLIZABETH II lors de sa visite en Amérique. © Burt Glinn
USA. Washington D.C. 1968. Scène de rue au lendemain de l'assassinat de Martin Luther King, leader du mouvement des droits civiques.
ÉTATS-UNIS. Washington D.C. 1968. Scène de rue au lendemain de l’assassinat de Martin Luther King, leader du mouvement des droits civiques. © Burt Glinn

Une carrière dictée par la diversité

Comme le relate Elena Prohaska Glinn, veuve du photographe et détentrice de ses archives, dans son texte, « Burt a commencé à établir chaque année des listes de ses reportages en 1948 et a continué durant cinquante ans. Ces listes révèlent à quel point ses intérêts ont été diversifiés tout au long de sa vie. Par exemple, en 1959, l’une des années que Burt a particulièrement appréciées, il a couvert plus de trente sujets différents. Cela a commencé lorsqu’il a quitté subitement une fête du Nouvel An après avoir appris que le président cubain Fulgencio Batista était envoyé en exil et que Fidel Castro avait pris rênes du pays. Burt a embarqué sur le dernier vol Yellowbird de New York à Miami, puis a pris un charter à 20 $ pour se rendre à Cuba, où il a passé neuf jours sur la route avec Fidel et ses soldats, documentant leur triomphale procession à La Havane. Après un peu de repos et des missions aux États-Unis, il a photographié la société des ultra-riches et presque célèbres, souvent ridicules, au Badrutt’s Palace Hotel à St. Moritz, dans les Alpes suisses. De retour à New York, il a réalisé des portraits de Sammy Davis Jr., puis des beatniks. »

Dans les années 1960, il devient l’un des premiers photographes à s’aventurer dans le domaine des rapports d’entreprise. Et au cours des quatre décennies suivantes, Glinn réalise un enregistrement visuel de la croissance rapide des entreprises américaines. Tout au long de sa carrière, il va couvrir régulièrement des événements historiques nationaux et internationaux, et photographier des icônes culturelles et des personnalités politiques pour des publications de premier ordre.

ALLEMAGNE, BERLIN, 1961. Des Occidentaux observent le mur alors qu'il est encore assez bas pour qu'on puisse voir par-dessus.
ALLEMAGNE, BERLIN, 1961. Des Occidentaux observent le mur alors qu’il est encore assez bas pour qu’on puisse voir par-dessus. © Burt Glinn

Comme le relate Meiselas, ce travail n’était pas seulement une opportunité pour Glinn d’explorer de nouvelles perspectives professionnelles, mais aussi pour Magnum de se développer dans de nouveaux domaines.

« En réalisant des photos d’entreprise, il a compris l’importance de saisir une opportunité ; c’est l’une des clés de son succès, et cela lui a donné le sens des affaires. Et cette opportunité, d’autres membres de Magnum ont pu la saisir à sa suite. Il n’était pas initialement spécialisé dans ce travail. Mais on peut l’imagine entrer dans la banque Goldman Sachs avec l’idée de la documenter visuellement, et l’on comprend pourquoi c’était particulièrement précieux pour une entreprise, à cette époque, et pourquoi ils ont continué à faire appel à ses services durant des années. Il a documenté la croissance et le changement de cette institution au fur et à mesure de sa transformation, jusqu’à ce qu’elle devienne un acteur important dans le monde financier. Je pense que son attention aux changements découle de sa formation photojournalistique, et explique son succès dans ce genre de mission. »

ÉTATS-UNIS. New York City. 1957. David Amram se produit au Five Spot Cafe.
ÉTATS-UNIS. New York City. 1957. David Amram se produit au Five Spot Cafe. © Burt Glinn

Un credo : la générosité

Burt Glinn: Half a Century as a Magnum Photographer est le premier ouvrage à couvrir l’ensemble de sa carrière. Le livre présente cent photographies classées en cinq thèmes majeurs du travail de Glinn. Mais quel que soit le sujet qu’ait illustré le photographe, le livre fait apparaître la profondeur de ces illustrations, la maîtrise technique de Glinn, son exceptionnelle qualité de vision, son sens du timing et sa capacité à créer des images dynamiques.

Dans un échange d’e-mails Stake a décrit la carrière diversifiée de Glinn en ces termes : « Je pense qu’il est important de donner aux photographes, qu’ils soient émergents ou expérimentés, l’occasion d’observer le flux et le reflux de la longue carrière de Glinn. Certaines années il s’est consacré à l’illustration, d’autres au travail commercial, et il a parfois combiné les deux. C’est ce qui se passe souvent au cours des longues carrières : on se consacre tantôt à un type de projet, tantôt à un autre (éditorial, commercial, à but non lucratif, commissariat d’exposition, écriture, réalisation de livres, etc.), et c’est une bonne chose. Dans le cas de Burt, le travail éditorial l’a aidé à devenir un meilleur photographe commercial, et vice versa. »

En manière de clin d’œil à Glinn, et pour le rendre physiquement présent dans le livre, chaque chapitre s’ouvre par une photographie de lui ainsi qu’une couleur, rappelant son sens du style. Glinn était célèbre pour ses costumes et ses cravates et en possédait une grande variété. Stacke a conservé une boîte de cravates de Glinn, que l’équipe de conception a utilisées pour étudier la palette personnelle du photographe. Ainsi ont-ils sélectionné cinq couleurs pour les cinq chapitres.

Surfeurs sur la plage. Malibu, Californie, États-Unis. 1965.
Surfeurs sur la plage. Malibu, Californie, ÉTATS-UNIS. 1965. © Burt Glinn
USA. New York. Fire Island. Invité dans un hôtel pour célibataires cherry grove.
ÉTATS-UNIS. New York. Fire Island. Invité dans un hôtel pour célibataires cherry grove. © Burt Glinn

L’autre constante qui apparaît dans le livre, en particulier dans les textes et les notes de ses collègues (dont Gilles Peress et Larry Towell) était la générosité de Glinn. Les souvenirs de Stacke de sa collaboration avec Glinn, tels qu’elle me les a racontés, sont un témoignage de plus de cette qualité : « Burt était généreux envers moi comme l’est un mentor. Il partageait son expérience et ses connaissances avec moi, me présentait à des gens et m’encourageait à créer et à montrer mon travail photographique. Et s’il était extrêmement généreux envers la jeune photographe que j’étais, il est bon de savoir aussi qu’il l’était envers ses pairs. Je pense que cela peut être plus difficile car la photographie est un domaine compétitif, mais il est clair que Burt partageait son temps, ses connaissances, son expérience, ses compétences en leadership, et même son argent avec ses pairs. »

« Burt était l’un des membres les plus généreux de Magnum. Il trouvait toujours le temps d’aider à négocier des situations difficiles, tant internes qu’externes. »

Susan Meiselas

Glinn était un photographe polyvalent et talentueux, dont le regard pouvait éclairer certains des plus grands événements de la seconde moitié du XXe siècle ainsi que la vie quotidienne. Mais à bien des égards, sa générosité pourrait être sa plus grande contribution, aux yeux de ceux qui le connaissaient. Il était toujours prêt à aider les jeunes photographes, et dans sa mort elle-même, il a aidé la génération à venir : ceux qui assistaient à l’événement commémoratif organisé en 2008 ont fait de petits dons qui ont contribué au financement de la création de Magnum Foundation, une organisation à but non lucratif qui œuvre pour développer la créativité et la diversité en photographie documentaire grâce à des bourses et des prix.

Comme le relate Meiselas dans son interview : « Burt était l’un des membres les plus généreux de Magnum. Il trouvait toujours le temps d’aider à négocier des situations difficiles, tant internes qu’externes. Je suis certaine qu’il a présenté certains photographes à ses connaissances, qu’il les a fait profiter de ses contacts et les a connectés à ses réseaux. C’est mon impression, et je pense que c’est son héritage. Ce type de générosité devrait inspirer beaucoup de gens à suivre son exemple. »

USA. Montana. 1954. La vie dans une réserve indienne Assiniboine.
ÉTATS-UNIS. Montana. 1954. La vie dans une réserve indienne Assiniboine. © Burt Glinn
ÉTATS-UNIS. Little Rock, Arkansas. 1957. Premiers adolescents noirs à fréquenter le lycée de Little Rock.
ÉTATS-UNIS. Little Rock, Arkansas. 1957. Premiers adolescents noirs à fréquenter le lycée de Little Rock. © Burt Glinn

Burt Glinn: Half a Century as a Magnum Photographer est disponible sur le site web d’Elena Prohaska Fine Arts.