
Pour être champion du monde, il faut être un guerrier sur le ring et dans la vie, un sportif chevronné qui use, en même temps, de la psychologie pour dominer son adversaire. Mohamed Ali, dit « The Greatest of All Time » (Le Plus Grand de Tous les Temps), a compris cela dès le début de sa carrière, tandis qu’il se convertissait à l’islam et se confrontait à la presse grand public, dans les heures les plus chaudes du mouvement des droits civiques américains.
Le 28 avril 1967, en pleine guerre du Vietnam, Ali refuse d’être enrôlé dans l’armée pour des motifs religieux. Le lendemain, le gouvernement américain lui ôte son titre de champion du monde des poids lourds, et suspend sa licence de boxeur. Condamné à cinq ans de prison et à une amende de 10 000 $, il fait ce que tout combattant aurait fait – en appeler à la Cour suprême, où son jugement est annulé par une décision unanime, en 1970. Ali entreprend immédiatement de reconstruire sa réputation et sa carrière, s’entraînant plus que jamais et affrontant tous ceux qui, sur le ring, prétendaient à la victoire.

La même année, sans le savoir, il croise la route de Michael Brennan, une après-midi tranquille où le photographe britannique était assis dans un aéroport, à la périphérie de Glasgow. « Soudain », raconte Brennan, « les portes de la salle d’embarquement se sont ouvertes et cinq ou six Noirs baraqués, Ali en tête, ont traversé l’aéroport en courant et psalmodiant des chants de victoire. lls sont sortis [sur le tarmac] et montés dans l’avion. La porte s’est refermée, et l’avion a décollé. »
Brennan a, pour voisin, un membre de l’équipe d’Ali, et ils font connaissance. Celui-ci donne sa carte de visite au photographe, et l’invite à le contacter lorsqu’il viendrait aux États-Unis. Trois ans plus tard, c’est ce que fait Brennan lorsqu’il déménage à New York. « A l’époque », se souvient-il,« je n’avais pas beaucoup de travail, et je savais que si je prenais le bus pour Pottsville, en Pennsylvanie, que je marchais jusqu’au quartier général d’Ali et que je frappais à la porte, il ouvrirait . Prendre une photo de lui me permettrait de payer le loyer le mois suivant. »

« J’ai fait cela deux ou trois fois, et il m’a toujours bien accueilli. Ali était extrêmement ouvert, se livrait complètement au public. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un tel que lui. Il m’a dit: ‘Vous avez déjà essayé de frapper à la porte de Frank Sinatra ou de Barbra Streisand?’Je lui ai répondu que non, et que je n’avais pas, d’ailleurs, l’intention de le faire. »
Vole comme le papillon, pique comme l’abeille
Ali, qui nomme plaisamment Brennan « l’Angliche », est passé maître dans l’art d’assurer sa promotion, et comprend l’enjeu que représente la presse : c’est elle qui peut lui attirer des spectateurs lors des combats. « Il n’en voulait jamais à personne », dit Brennan, « et faisait bon accueil même à ceux qui l’avaient critiqué dans leurs articles. Il s’entendait bien avec tout le monde. »
Ses adversaires, cependant, deviennent les cibles privilégiées de ses célèbres moqueries et propos humiliants. Ses attaques dévastatrices qui, en prélude au combat, font monter la tension, sont truffées de trouvailles de langage. Il surnomme Sonny Liston « le gros ours moche», Joe Frazier le « gorille », Floyd Patterson « Oncle Tom », et encourage le peuple zaïrois à chanter Ali, bomaye (« Ali, tue-le ») lors du légendaire « Rumble in the Jungle » de 1974 qui l’oppose à George Foreman.

Retraité en 1977, Foreman devient pasteur. Peu de temps après, Brennan le photographie dans sa maison de Houston, et refuse courtoisement l’offre de « Big George » de le baptiser. Dans l’avion, au retour, Brennan réfléchit aux coups du sort qui peuvent transformer une médaille d’or olympique en homme de Dieu.
« Voilà ce que fait George, et qu’en est-il des autres adversaires d’Ali? » se demande Brennan. Le lendemain, le photographe commence son enquête à propos de ceux qui ont affronté Ali sur le ring, et réalise ce qui deviendra un reportage de 14 pages qui sera publié dans un numéro de 1980 de Sports Illustrated. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. La redemption d’Ali se manifeste en 1996, lorsqu’il allume la flamme aux jeux olympiques d’Atlanta – montrant, pour la première fois, les symptômes de la maladie de Parkinson dont il est atteint. Et c’est alors que cet homme, vilipendé par la presse durant des années, devient emblématique de la nation.


La chasse est ouverte
Brennan poursuit son travail, accumulant les photographies et les témoignages qui constituent un récent ouvrage intitulé They Must Fall: Muhammad Ali and the Men He Fought (ACC Art Books). Aux adversaires de légende tels que Joe Frazier, George Foreman, Floyd Patterson ou Larry Holmes s’ajoutent des figures moins connues qu’à affrontées Ali aux premiers temps de sa carrière, lorsqu’il se faisait connaître sous le nom de Cassius Clay.
Telle celle de Foreman, la vie de nombreux adversaires d’Ali a pris une tournure inattendue. Certains, comme Buster Mathis, Tony Esperti, Herb Siler purgent des peines de prison, tandis que la médaille d’or olympique Leon Spinks travaille dans un McDonalds. De tous ces hommes, le plus difficile à retrouver sera “Sweet Jimmy” Robinson, défait au premier round en 1961. En 1979, Robinson vit tant bien que mal des rentes d’un vétéran, dans un hôtel bon marché d’Overton (Floride).

Après l’avoir suivi pendant deux mois, Brennan le rencontre enfin, un vendredi soir de novembre. Robinson sent l’alcool et la cigarette. Ils se retrouvent le lendemain matin sur la voie ferrée, où Brennan prend quelques clichés. Au moment où Robinson va partir, le photographe lui glisse un billet de 20 dollars dans la main. « J’ai », dit-il, « une photo de lui marchant sur les voies ferrées. Plus personne ne l’a vu ensuite. »
L’ouvrage de Brennan se conclut par des portraits d’Ali après sa retraite, alors qu’il affrontait le plus grand adversaire qu’il ait jamais connu : la maladie, qui finirait par l’emporter. Afin de rattraper les années injustement volées à sa vie par le gouvernement américain, Ali est allé au bout de lui-même, combattant après son apogée, et se désignant comme victime de choix à la maladie de Parkinson. Mais c’est précisément son dévouement, sa détermination et son sacrifice qui ont fait d’Ali le plus Grand de tous les « Durant sa vie entière, ses proches n’ont cessé de le mettre en garde », dit Brennan, « et pourtant, il a bravé brillamment le destin. »

Par Miss Rosen
Michael Brennan, Muhammad Ali and the Men He Fought
ACC Artbooks
£35.00
Livre disponible ici