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Vivre LGBT en Afrique de l’Est

Vivre LGBT en Afrique de l’Est

Dans un ouvrage publié par Neus, Frédéric Noy conclut un travail au long cours sur la communauté – qu’il préfère appeler minorité – LGBT en Afrique de l’Est. Le livre sort à point nommé, alors que les candidats à l’élection présidentielle de janvier en Ouganda font de l’homosexualité un argument politique en l’accusant de tous les maux du pays.
Collins porte encore sur le corps de nombreuses traces de brûlures suite à une agression. © Frédéric Noy

Pendant « 7 ans, 5 mois et 25 jours », Frédéric Noy a documenté la communauté LGBT et son combat en Ouganda, au Burundi et au Rwanda. « J’ai voulu aborder cette question sous l’angle des droits humains en me limitant à un territoire dont la culture et l’histoire sont assez proches. Travailler à la manière d’un anthropologue, avec une surface de couverture peu étendue mais profonde », explique-t-il.

La seule chose qui diffère entre les trois pays, c’est la loi. Ainsi, des articles de lois introduisent son livre, Ekifire, publié par Neus. Si au Rwanda seul le mariage monogame civil entre  un homme et une femme est reconnu, en Ouganda la relation charnelle avec une personne de meme sexe est mise au meme niveau que celle avec un animal, jugée contre nature et passible de prison. Mais quoi que dise la loi, l’homosexualité y est immanquablement rejetée par la société.

En coulisses de la Journée du Souvenir Trans, un groupe d’artistes attend en costume de pouvoir entrer en scène. © Frédéric Noy 
Dans une banlieue reculée de Kampala, une femme transgenre fait le grand écart, durant une pendaison de crémaillère. La maison est aussi un refuge où habitent plusieurs transgenres. © Frédéric Noy

« La loi donne l’appui des tribunaux, c’est bien, mais la vraie prison c’est la prison sociale, celle de la famille, du stigma. C’est ça qui te marque et te tuera, c’est la petite mort », raconte Frédéric Noy. Face à cette réalité, le photographe disparaît au profit de ceux qu’il documente. Les témoignages de ces personnes, sur un papier fin en milieu d’ouvrage, s’étalent sur une trentaine de pages. Les légendes sont quant à elles compilées dans un autre cahier en fin d’ouvrage, pour laisser la place aux images et montrer ces gens tels qu’ils sont, sans étiquette. « Les vrais combattants, ce sont eux », dit-il.

Dans les textes, on apprend comment ils ont réalisé qu’ils étaient homosexuels, comment leur entourage l’a vécu, comment ils vivent, ou survivent dans certains cas, ce qu’ils ressentent. Ils décrivent le rejet, le secret, la violence physique, la traque d’une ville à l’autre. Il y a ceux qui se battent, ceux qui abandonnent et se renient, ceux qui se marient pour tromper les voisins, ceux qui sont heureux. L’arc narratif des images comme témoignages suit une trajectoire qui rappelle les propos d’un des protagonistes, Nicolas Opiyo. Avocat des droits de l’homme qui a plaidé avec succès a plusieurs contestations constitutionnelles de haut niveau, notamment la lutte contre la loi anti-homosexualité (AHA), Opiyo est « un indécrottable optimiste, alors qu’il est en première ligne », note Frédéric Noy.

Bilal et Queen Jimmy, deux amis gays, se chamaillent dans la chambre que loue un ami à Bujumbura.
Régulièrement, ils se réunissent pour parler, se confier, échafauder des plans et des projets, à l’abri des regards. © Frédéric Noy
Pauline, jeune lesbienne dans la maison d’une amie à Kigali, préfère vivre cachée malgré l’absence de loi criminalisant l’homosexualité au Rwanda. © Frédéric Noy

« Je crois fort que les gens changeront si nous donnons un visage humain au débat et si nous continuons à en parler », écrit Opiyo. De fait, le livre s’ouvre sur les tragédies, sur les gens qui sont obligés de fuir pour échapper à la mort ou à l’enfer : « Il ne se passe pas trois mois sans que je ne finisse en prison », confie Brinch, au Burundi. « Ekifire », qui donne son titre à l’ouvrage, est la façon dont on appelle la communauté LGBT en Ouganda. Littéralement, le mot signifie « à demi-morts », et cette appellation prend un double sens inquiétant à la lecture des témoignages. La mort physique ou psychologique guette sans relâche.

« Alors que tu éclabousses ton visage avec cette eau, je me perds, dissolue dans les égouts », écrit Poison Ivy dans un poème qui l’aide à « exorciser ce moment de dépression » survenant quand elle enlève le maquillage avec lequel elle se sent vraiment elle-même. L’eau, pourtant, celle du lac Victoria, conclut l’ouvrage avec optimisme. Après le rejet, l’exclusion, l’exil et la violence vient en effet la possibilité de vivre ouvertement. Et les photos s’en font l’écho – les visages sont fièrement affichés et ces corps tournés vers l’horizon du lac, en fin d’ouvrage, évoquent celui, optimiste, imaginé par Shakira : « Même une enfant qui viendra après nous, née comme nous, ne pourra pas continuer à se cacher. Elle viendra, sereine après qu’on ait lutté, pour nos droits. »

Durant la Journée internationale contre l’homophobie 2015, un jeune gay se prélasse sur la rive du lac Victoria, à Entebbe. En ce jour, ils sont des dizaines de membres de la communauté à se rassembler pendant une fête organisée par l’organisation Youth On Rock Foundation. © Frédéric Noy
Un couple de jeunes gays danse dans une maison louée par un activiste dans le quartier excentré de Nansana, à Kampala. Cet endroit sert de bureau et de refuge. Le taux de sans-abri LGBT croît à cause de la généralisation des évictions, du chômage et de l’abandon par les familles sur la base de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre. Créé en 2017, le refuge accueille aujourd’hui quinze membres de la communauté. © Frédéric Noy

Par Laurence Cornet

 Laurence Cornet est directrice éditoriale de l’association Dysturb, journaliste spécialisée en photographie, et commissaire d’expositions indépendante, à Paris.

Frédéric Noy, Ekifire
Neus éditions
264 pages, 18 x 23,3 cm
Sortie en janvier 2020
36 €

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