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Zambia Belonging, redécouverte d’un héritage visuel africain

Zambia Belonging, redécouverte d’un héritage visuel africain

En 2018, la photographe Sana Ginwalla s’est rendue aux Fine Art Studios, à Lusaka, la capitale de la Zambie, pour acheter des batteries d’appareils photo argentiques. Là, elle a découvert des armoires pleines de tirages, de diapositives et de négatifs oubliés datant de l’époque où le studio était dirigé par Ratubhai Somabhai Patel et Hirabhai Lalbhai Patel.

© Zambia Belonging

« Les œuvres de photographes de renom comme Malick Sidibé et Seydou Keita me sont immédiatement venues à l’esprit », raconte-t-elle. « J’étais aux anges en constatant que la Zambie disposait de sa propre collection d’images. En voyant combien ces photos exceptionnelles avaient été abîmées par la lumière, j’ai voulu sauver ces raretés – retrouver les négatifs ou, au moins, en scanner les tirages. Je n’avais pas la moindre idée de ce que j’allais faire de ces clichés, et pour qui ou quoi je m’attelais à cette tâche. »

Deux ans plus tard, grâce à une subvention du Fonds d’adaptation ANT de Pro Helvetia Johannesburg, Sana Ginawalla les a rassemblées pour les exposer à Lusaka et ailleurs. Intitulé Zambia Belonging, le projet a pour ambition de créer une « contre-archive » en identifiant les photographes, les modèles et les thèmes pour raconter de nouvelles histoires à partir de ces découvertes.

© Zambia Belonging

Ces images constituent un apport précieux à la culture visuelle vernaculaire de la Zambie. En vous rendant sur le site The Africa in the photobook, vous trouverez cinq ouvrages répertoriés dans la section Zambie. Deux sont des recueils dans lesquels la Zambie n’est qu’une note de bas de page, et quatre sont l’œuvre de photographes européens (dont The Afronauts de Cristina de Middel. Un excellent livre mais réalisé en Espagne et sans aucun modèle Zambien). Les seules images qui pourraient être de Zambiens sont celles des « divers photographes » cités dans Helping Ourselves, un ouvrage publié pour célébrer l’indépendance du pays en 1964.

Ce livre est accompagné d’un court texte qui commence ainsi :

Le soleil se couche.
Sur la pauvreté, l’ignorance et le désespoir
L’espérance fleurit
Le passé n’est pas oublié
Et l’avenir à affronter sans crainte
L’entraide est la clé du progrès

© Zambia Belonging

Helping Ourselves cumule les principales métaphores des livres d’images sur l’indépendance. Il la célèbre via l’agriculture, l’industrie, l’éducation et l’armée. Un genre où la visibilité est primordiale (tout comme l’invisibilité l’était dans les livres de photos coloniaux). Au lieu de médecins blancs soignant des patients noirs, avec comme messages sous-jacents : les sauveurs blancs de Noirs sans défense (l’imagerie classique des livres de photos de l’époque), on y voit des médecins noirs s’occuper de patients blancs. On y trouve des ingénieurs, scientifiques et enseignants noirs et, dans les salles de classe, les écoliers noirs et blancs se côtoient sur un pied d’égalité. Visibilité et représentation sont importantes dans ces livres.

Les archives du Fine Art Studios reprennent ces thèmes de l’indépendance en y ajoutant des éléments liés aux traditions plus larges des studios mentionnées ci-dessus, ainsi que des thèmes propres aux développements politiques et culturels de la Zambie.

© Zambia Belonging
© Zambia Belonging

Il y a des images liées à la musique, la mode ou aux luttes pour le développement. Propagande, recoupements par classes, et ethnicité se mêlent au désir premier de faire en sorte que le sujet semble et se sente bien grâce à la photographie (ce que Sidibe et Keita ont magistralement accompli. Être beau, ça compte!).

Des hommes d’affaires prennent la pose assis, élégants avec leurs épingles à cravate et boutons de manchette. De jeunes couples se témoignent leur amour, lui, transi en passant son bras autour de ses épaules, elle, plus dubitative. Des musiciens posent pour des clichés publicitaires ; un couple se tient debout, tout sourire, la jeune fille resplendissante sous son serre-tête et sa permanente des années 1980. Sur une autre image, un groupe de musiciens en chapeaux et queues-de-pie. Des femmes importantes, toutes vêtues de noir, et un groupe d’hommes : des musiciens, des adeptes des arts martiaux, ou une combinaison des deux.

© Zambia Belonging
© Zambia Belonging

La diversité ethnique de Lusaka est aussi au rendez-vous (les propriétaires des Fine Art Studios étaient d’origine indienne). On y voit des familles d’origine indienne, des couples blancs et un Indien qui est le double de Malkhan Singh, le brigand romancé de l’Inde des années 1980.

Une série d’images montre une famille de Blancs fêtant Noël sur ses terres. Ils sont assis dehors, tandis qu’un domestique se tient debout sur le côté. On y voit le père, la mère, la fille et un homme qui semble être de passage. Les hommes portent des shorts longs et des chaussettes jusqu’aux genoux, la femme une robe à manches longues boutonnée jusqu’au cou, mais qui laisse apparaître son ventre. Tous sont coiffés de couronnes en papier comme on en porte à l’occasion de Noël, sauf le domestique. Le cliché suivant montre ce dernier à son tour coiffé du même attribut, mais il ne semble pas plus joyeux pour autant. C’est ce genre d’images qu’a utilisées Sarah Waiswa pour sa série Lips Touched with Blood, immédiatement reconnaissable. Inviter les domestiques sur une photo de famille donne rarement de bons résultats.

© Zambia Belonging
© Zambia Belonging

Beaucoup de ces images ont été oubliées, orphelines, elles n’ont jamais été récupérées par leurs commanditaires. Elles ne sont pas parfaites, pas seulement parce qu’elles n’ont été ni réclamées ni payées, mais aussi à cause de leur composition et de leurs conditions de conservation. Brutes de décoffrage à bien des égards, leur attrait réside dans l’inexpérience de l’expression photographique et dans les ravages que le temps et le climat ont fait subir aux tirages et aux négatifs.

Ce caractère rugueux est renforcé par les images liées à des fonctions photographiques plus larges. Des clichés de mariage jamais réclamés ; un couple à l’air sérieux sort de l’église, du riz dans les cheveux, un enfant regarde fixement la banquette arrière de la Mercedes blanche qui viendra les chercher, deux religieuses rient sur le parvis de l’église.

© Zambia Belonging

Images d’infrastructure – casernes ou cimenteries – côtoient celles de la vie politique zambienne et témoignent de la manière dont la photographie se mêla aux luttes africaines pour l’indépendance. Les plus belles sont sans doute une série de portraits peints à la main de Kenneth Kaunda, leader de l’indépendance et premier président de la Zambie, de Mainza Chona et de Simon Kapwepwe (le Fine Art Studios s’enorgueillit d’avoir immortalisé des figures clés du mouvement d’indépendance du pays).

Sana Ginawalla espère que ces images ne sont que la partie émergée d’un iceberg photographique, et que d’autres vont apparaître, dont celles d’Alick Phirri, ancien photographe des Fine Art Studios, installé à son compte dans un township où il a réalisé de magnifiques clichés – malheureusement pas encore disponibles.

D’ici la fin de l’année, ces photos seront exposées à Lusaka, et à partir de 2022 dans d’autres villes et pays, pour servir de rampe de lancement au développement de nouvelles voix photographiques locales. Afin d’encourager l’engagement culturel et photographique et de découvrir de nouvelles histoires visuelles sur la Zambie, ses habitants et sa grande histoire.

Par Colin Pantall

Colin Pantall est un écrivain, photographe et conférencier basé à Bath, en Angleterre. Sa photographie traite de l’enfance et des mythologies de l’identité familiale.

Voir plus d’images sur le site et l’Instagram de Zambia Belonging.

© Zambia Belonging
© Zambia Belonging
© Zambia Belonging
© Zambia Belonging
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