
Sur la place Jean-Michel Basquiat dans le XIIIème arrondissement de Paris, se dresse un bâtiment qui, coïncidence, abrite lui-même des œuvres du célèbre artiste américain. Ici, se presse une cohorte de curieux, intrigués par ce nouvel espace dédié à l’art contemporain et au regard d’une grande collectionneuse.
Tout respire le geste de la reine des lieux. Du Picabia cocasse à l’entrée à la scénographie de l’exposition actuelle baptisée La hardiesse, agnès b. pose délicatement son empreinte. À la surprise de son équipe, elle n’a pas hésité à réaliser un accrochage spontané à partir d’une myriade d’œuvres amenées sur les lieux et qui n’ont pas pu être toutes présentées. La créatrice, hardie, va même jusqu’à colorer le verre d’un cadre qui protège un dessin de Jean-Michel Basquiat.
Il faut dire que celui-ci était accroché des années dans sa maison, sans protection, dans la simplicité qui la touche chez les artistes dont elle collectionne les œuvres et qu’elle a connu souvent personnellement, comme Basquiat. Le fruit d’années de rencontres, de hasards, de cadeaux, qui l’ont petit à petit amené à constituer ce qui forme aujourd’hui pas moins de 5000 œuvres.

Pas d’art de prédilection
« 50% de la collection est constituée de photographies », explique Judith Wollner en charge de la communication et de la médiation, « mais cela ne veut pas dire que la photographie est privilégiée par rapport à un autre art. Agnès n’a pas d’art de prédilection ». De fait, les clichés se mêlent aux peintures, les images aux sculptures. Dans la partie consacrée au féminisme, des photographies de Nan Goldin répondent aux dessins tourmentés de Louise Bourgeois.
Plus loin, c’est la photographie elle-même qui interroge la pratique du peintre : le tout premier polaroïd couleur de Walker Evans représente ainsi une palette de peintures. Preuve des ponts discrets entre les arts. Autre exemple : l’artiste Man Ray, d’abord célèbre pour ses photographies, se fait aussi dessinateur avec ce croquis exposé à l’étage, à côté du polaroïd d’Evans.

Écorchés vifs
Mais en plus de ces classiques, la photographie chez agnès b. est surtout une question d’affection. Elle semble rechercher des reflets de son amour de la liberté qui se traduit notamment par de nombreux portraits de la jeunesse. Des jeunes qui font preuve d’une vie à la marge, indépendante et sauvage. C’est ce très grand tirage d’une photographie de Massimo Vitali représentant des fêtards dans une boîte de nuit. C’est ce mur de photographies dédiés à des grandes figures du rock’n roll : Bob Dylan, Joy Division et Alain Bashung. C’est ce portrait troublant d’une jeune femme androgyne dans son bain, capturée par Nan Goldin. Une ode à la beauté des écorchés vifs.
Cette soif de la jeunesse se retrouve aussi dans l’intérêt qu’agnès b. a pour la jeune création. Elle fonde dès les années 1980 une galerie d’art, la Galerie du jour, dans laquelle elle sera la première à présenter des photographes aujourd’hui très célèbres. Parmi eux, le britannique Martin Parr et plus récemment, le russe Dmitry Markov. Leurs oeuvres sont d’ailleurs exposées côte à côte.
Quand la visite prend fin, on a le sentiment d’avoir passé un moment avec la maîtresse des lieux tant sa collection reflète sa personnalité et la singularité de ses goûts. Une respiration bienvenue face aux propositions plus classiques de la plupart des institutions. La cocasserie de Picabia dans le hall résonne comme un pied-de-nez à la bien pensance : « Pour que vous aimiez quelque chose, il faut que vous l’ayez vu et entendu depuis longtemps, tas d’idiots ».




Par Coline Olsina & Jean-Baptiste Gauvin