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Belonging, le roman de deux soeurs

Belonging, le roman de deux soeurs

Belonging met en scène deux sœurs, deux tantes vivant dans une maison délabrée de la banlieue de Kolkata, en Inde. C’est une histoire de rejet, de frustration et d’enfermement. Mais plus que tout, c’est une histoire d’amour, celui de deux sœurs, qui se sont toujours soutenues l’une l’autre, et l’amour que le photographe ressent pour elles.
© Debsuddha Banerjee

Gayatri et Swati Goswami ont vécu ensemble durant presque toute leur vie. Elles ont fait des études, travaillé, mais sont restées célibataires en raison de leur albinisme. Leur maison est un sanctuaire, qui les protège du monde extérieur, un monde parfois cruel et hostile à l’égard de ceux qui sont différents, d’une manière ou d’une autre.

Le photographe est leur neveu, Debsuddha Bannerjee – et, pour l’anecdote, j’ai découvert ces images lorsque Debsuddha Bannerjee était l’un de mes mentors, dans le cadre du programme Catalyst. Lorsqu’il était enfant, ses tantes prenaient soin de lui tout en respectant son regard d’enfant ; et adulte, à présent, il les a photographiées dans leur confinement.

© Debsuddha Banerjee

Il y a de la tendresse dans ces photographies, en raison de la complicité des deux sœurs. Swati est plus forte et plus extravertie. Elle s’occupe parfois de Gayatri, et toutes deux trouvent du réconfort dans la compagnie l’une de l’autre, que ce soit en lisant le journal ou en regardant la télévision. Leur tendresse s’exprime également dans leurs gestes – voir l’inclinaison de la tête de Gayatri sur l’épaule de Swati, leurs deux mains liées contre un mur peint en bleu, ou encore, la courbe du bras de Swati sur une rampe d’escalier.

Ces images sont également imprégnées de réflexion – celle-là même que l’on voit dans les yeux des deux sœurs. Swati regarde par la fenêtre, et l’on se demande comment elle perçoit le monde extérieur, ce que la séparation entre le privé et le public signifie pour elle et sa sœur. Elle ouvre et ferme les yeux, elle se met en scène devant l’objectif de son neveu, mais c’est toujours elle-même qui s’exprime, et l’on est entraîné dans un monde qui n’appartient qu’à elle.  Ainsi, ces photographies sont une incursion dans l’imaginaire des deux sœurs. Ce que celles-ci montrent d’elles-mêmes, peut-être, c’est ce qui ne peut trouver sa place dans le monde extérieur. Elles donnent libre cours à leurs élans créatifs et artistiques, et leurs mains, leurs bras, leurs corps se meuvent à l’aise, dans ce lieu où elles sont– en partie, du moins – confinées.

© Debsuddha Banerjee
© Debsuddha Banerjee

Le décor du spectacle que nous livrent les deux sœurs, c’est cette maison dans laquelle elles vivent, où l’on découvre des embrasures de portes humides, des fenêtres à rideaux, des piles de vieux papiers devant des murs peints en bleu et en vert. La créativité est partout, aussi bien dans les petites œuvres d’art, le tricot – un passe-temps des deux sœurs – que dans les tissus colorés empilés sur les étagères des placards.

C’est une maison ancienne, avec un toit en terrasse d’où les sœurs peuvent observer le monde, mais tout n’est pas rose. Le plâtre, par endroits, se décolle du mur, les escaliers semblent branlants, il y a des fissures au plafond, et l’on peut sentir l’humidité des coins sombres. Mais en même temps, cet espace est chaleureux : c’est une maison qui a une âme, et qui est aimée.

© Debsuddha Banerjee
© Debsuddha Banerjee

Ce sentiment que le lieu est réellement habité, qu’une histoire personnelle et familiale y est enclose est perceptible dans les images. Une photographie peut être chaleureuse et froide à la fois, montrer l’intelligence émotionnelle, la gentillesse, la compréhension, la rigueur, les douleurs, les humiliations, les défaites, les succès, les célébrations et les joies de l’existence.

C’est le cas de ces images. Elles traversent l’espace, le temps, pour exprimer la totalité de la vie. Belles, créatives, joyeuses, elles sont également empreintes de tristesse. C’est ça, la vie. Chaque fois que je regarde ces images, je redécouvre la même chose : l’esprit et l’âme de Swati et Gayatri, qui habitent l’une des plus belles séries photographiques que je connaisse.

© Debsuddha Banerjee

Par Colin Pantall

Colin Pantall est un écrivain, photographe et conférencier basé à Bath, en Angleterre. Sa photographie traite de l’enfance et des mythologies de l’identité familiale.

Ce projet a été financé par une bourse National Geographic.

© Debsuddha Banerjee
© Debsuddha Banerjee

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