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Byker d’hier et d’aujourd’hui

Le nord-est de l’Angleterre a inspiré de grands chroniqueurs visuels de la Grande-Bretagne postindustrielle. Sirkka-Liisa Konttinen est l’une de ces photographes. Ses images portent un regard chaleureux, en même temps qu’acerbe, sur la démolition du quartier de Byker.

En 1969, Sirkka-Liisa Konttinen découvre Byker, dans le nord-est de l’Angleterre. « Je marchais sur Janet Street, le matin du premier samedi de l’automne, il faisait doux, et j’ai été ensorcelée », écrit-elle dans l’introduction de son livre, récemment réédité. « Cette magie devait durer dix ans… »

Originaire de Finlande, et après des études à l’école de cinéma de Londres, elle s’installe à Byker, à l’est de Newcastle guidée par une quête d’aventure, autant que d’un foyer. D’une vie authentique.

Fête de rue à l'occasion du jubilé d'argent de la Reine, Byker, 1977.
Fête de rue à l’occasion du jubilé d’argent de la Reine, Byker, 1977. © Sirkka-Lissa Konttinen
Deux garçons assis sur des landaus avec des chiffons, Byker, 1974
Deux garçons assis sur des landaus avec des chiffons, Byker, 1974. © Sirkka-Lissa Konttinen

Portrait affectueux

Et c’est ce qu’elle va trouver à Byker. En ville, on considère comme une curiosité cette femme finlandaise, vivant seule dans une communauté ouvrière. L’étonnement qu’elle suscite ne lui échappe pas. Dans l’introduction, elle note les réactions des habitants à son égard :

Ils l’ont accueillie, ils ont fait en sorte qu’elle se sente chez elle.

« “Elle a quitté la maison (négligeant ses devoirs envers ses parents). Elle vient de Finlande, c’est si beau là-bas, agréable et propre, et elle a choisi de vivre à Byker.” (Qu’est-ce qui lui a pris ?) Et un an plus tard : Elle n’a pas encore mis de clôture. Elle joue du piano ; elle conduit une camionnette (un tas de ferraille pétaradant, couvert de poussière), elle a un vélo rouillé (elle se déplacerait avec n’importe quoi, elle !). Elle se promène en prenant des photos, et elle les donne pour rien (elle préfère être au chômage, ou bien elle est un peu simplette ?) … Et puis, on ne comprend pas un mot de ce qu’elle dit. Mais elle est chouette, ouais. Pauvre gosse, si loin de chez elle… Et même pas mariée…” »

Ceux qui ont dit cela, elle les a pris en photo. Ils l’ont accueillie, ils ont fait en sorte qu’elle se sente chez elle. On peut passer de bons moments dans les pubs, les cafés, les rues de Byker.

Mme Potter à Mason Street, 1975
Mme Potter à Mason Street, 1975. © Sirkka-Lissa Konttinen
Deux des "Jolly Girls" chantent, Byker, 1973
Deux des “Jolly Girls” chantent, Byker, 1973. © Sirkka-Lissa Konttinen

Le livre (une réédition bienvenue de l’original, avec une couverture cartonnée et toilée) s’ouvre sur le portrait d’une femme âgée, debout au coin d’une rue. Derrière elle, on peut voir des maisons en briques rouges, des fenêtres aux volets fermés (ce qui est inhabituel à cette heure), ou peut-être barricadées par des planches. La femme porte un cardigan, un tablier de ménagère, un bonnet en laine, des collants filés et des chaussures noires bien cirées. C’est un portrait affectueux, mais qui s’inscrit dans un propos : la femme, l’observatrice du quartier, est elle-même observée par l’objectif de Konttinen.

La fermeture du lavoir de Shipley Street, 1971
La fermeture du lavoir de Shipley Street, 1971. © Sirkka-Lissa Konttinen

Sur la page suivante, deux femmes en manteaux font la conversation. L’une d’elles tient un chien en laisse – un chien ordinaire, un bâtard, comme en avaient les gens à l’époque. Il reste patiemment assis auprès des femmes, dont la conversation est retranscrite à côté de l’image, sur la page de droite : il est question d’un chien qui s’est égaré sur la voie ferrée et qui a peut-être été entraîné sur les rails par le vent du train qui passait.

Tournons une autre page. Une femme observe à nouveau Konttinen, de sa fenêtre – puis des femmes apparaissent encore, assises sur leur seuil, fardant leurs cils dans un miroir au-dessus de l’évier, s’occupant des bébés sur la terrasse.

Salle de billard de Byker Byte, 1981 © Sirkka-Lissa Konttinen
Salle de billard de Byker Byte, 1981. © Sirkka-Lissa Konttinen
© Sirkka-Lissa Konttinen
© Sirkka-Lissa Konttinen

A l’espace des femmes succède l’espace des enfants, les lieux où ils vivent, les terrains vagues où ils construisent leur univers. L’une des photos les plus célèbres de Konttinen représente un groupe d’enfants, principalement des filles, assis parmi des objets ménagers au rebut – une poussette, une cage à perruches, une vieille chaîne hi-fi et un téléviseur. Le texte d’accompagnement raconte ce à quoi l’on s’occupait lorsqu’on n’avait pas de téléviseur, et qu’on collait du papier d’emballage de soda sur les télés noir et blanc pour en faire des télés couleur.

L’image de la fillette sur un ballon sauteur, cheveux au vent, vêtue d’une robe à paillettes scintillant sous le ciel gris, rend hommage à la joie de vivre et à la personnalité des habitants de Byker.

Enfants avec des déchets ramassés près du pont de Byker, 1971. © Sirkka-Lissa Konttinen
Enfants avec des déchets ramassés près du pont de Byker, 1971. © Sirkka-Lissa Konttinen
© Sirkka-Lissa Konttinen
© Sirkka-Lissa Konttinen
Bingo de Raby, 1975 © Sirkka-Lissa Konttinen
Bingo de Raby, 1975. © Sirkka-Lissa Konttinen

Le nouveau Byker

L’on voit des femmes chez elles, en train de laver leur chien ou de repasser des draps. Des chambres, des salons, des pubs, des clubs, des colombophiles, et ceux qui transforment le cinéma local en salle de bingo. Puis, lentement mais sûrement, c’est la destruction de la ville, sous prétexte de réhabilitation, qui entre en scène.

La photographe ne nous épargne aucun détail. Les murs sont abattus, révélant l’intérieur des maisons. Les rues semblent ravagées par la guerre – tas de gravats, bâtiments abandonnés, vidés de tous les objets de valeur. Et c’est bel et bien une guerre, menée contre les habitants, leur droit au logement, guerre qui continue de nos jours.

« En 1976, le nouveau Byker ne comptait plus que 20% de ses habitant »

Les gens déménagent, la communauté se fragmente et la vie des derniers habitants est devenue un enfer. « Ils entrent par le toit », écrit un locataire. « Ce que les urbanistes et les architectes s’efforcent de faire », lit-on dans un journal, « est de préserver un mode de vie, de garantir la présence des mêmes visages et l’unité des familles, qui seront seulement délocalisées. »

Démolition de la rue Mason où vivait Sirkka, 1975
Démolition de la rue Mason où vivait Sirkka, 1975. © Sirkka-Lissa Konttinen

La réalité est toute autre.  « Plus de 17 000 personnes vivaient à Byker, avant les travaux de réhabilitation », lit-on dans la postface de l’ouvrage. « En 1976, le nouveau Byker ne comptait plus que 20% de ses habitants. Notons que cela aurait pu être pire, sans les consignes de préserver la communauté. »

Les portes remises régulièrement à neuf, les ruelles où les enfants jouaient ont disparu, tout comme la géographie du quartier ou les connexions entre une zone et une autre que Konttinen met en évidence dans son livre. De la même manière qu’Helen Levitt a illustré la vie des enfants dans les rues et les espaces publics de New York, Konttinen accorde une juste place aux briques et au bitume dans lesquels une communauté s’est construite. Cet environnement est de grande valeur.

Joseph Henry et Charles Wetherall, Raby Street, 1975
Joseph Henry et Charles Wetherall, Raby Street, 1975. © Sirkka-Lissa Konttinen
Réparations de chaussures de Jack Strickson © Sirkka-Lissa Konttinen
Réparations de chaussures de Jack Strickson. © Sirkka-Lissa Konttinen

Les dernières images du livre présentent le nouveau Byker, le Byker dont les anciens résidents ont été exclus. « Les habitants actuels appartiennent à une classe différente, ils ne sont jamais contents. Si quelqu’un achète une bouteille de lait, l’autre en achète deux. C’est leur manière de vivre… Si vous restez chez vous, on vous en veut : Ça me rend malade, ils ne sortent jamais.” Et si vous sortez : “Mais comment est-ce possible, ils ne sont jamais chez eux !Ce n’était pas la même chose autrefois – mais à l’époque, personne ne possédait rien. »

Kendal Street, Byker, 1969
Kendal Street, Byker, 1969. © Sirkka-Lissa Konttinen

Byker est disponible sur le site des éditions Dewi Lewis. 45,95 €.

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