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CE JOUR-LÀ - « Flash de fin de soirée » par Tod Papageorge

CE JOUR-LÀ – « Flash de fin de soirée » par Tod Papageorge

Avec Ce jour-là, les photographes sont invités à raconter les coulisses d’une de leur photographie. Aujourd’hui, le photographe Tod Papageorge raconte sa nuit singulière du Nouvel An 1977.

« A la fin de l’année 1977, j’ai eu la chance de prendre des photos au Studio 54, qui venait de devenir, en très peu de temps, la discothèque la plus excitante et décadente de New York. On m’avait dit que les meilleures soirées, là-bas, étaient celles que le club organisait dans des occasions spéciales, comme la veille du Nouvel An. Donc ce jour-là  – conscient de ma chance, vu qu’il était toujours difficile d’entrer au Studio 54 si on n’était pas une célébrité ou qu’on n’en connaissait pas une  -, j’ai mis mon lourd appareil Fujica 6 X 9 cm et son flash, encore plus lourd, dans un sac, avec de nombreuses pellicules 120, et je suis sorti de mon appartement pour aller au club, sur la 54e rue.

Là-bas, j’ai photographié fiévreusement durant toute une longue nuit jusqu’au petit matin, passant de la piste de danse au bar surplombant les danseurs, à l’étage, où les fêtards se retiraient pour se reposer – et souvent, prendre de la drogue – sur des sièges en gradins (le Studio 54 était à l’origine un théâtre). J’étais là, regardant ce qui se passait sous le balcon, exactement à minuit, quand l’ancienne année s’est jetée dans la nouvelle au son des applaudissements et des cornes bruyantes, et j’ai pris une bonne photographie des groupes de fêtards en bas, serrés les uns contre les autres, levant les bras au plafond, oscillant dans une joie commune.


© Tod Papageorge

Je n’en étais pas même, alors, au milieu de ma soirée. Comme je l’ai mentionné, j’ai continué à travailler toute la nuit jusqu’au petit matin de 1978, quand, vers 6 heures, je me suis rendu compte que la batterie de mon flash était presque morte, déchargée, sans parler du fait que je l’étais aussi, tout comme les derniers fêtards qui rassemblaient leurs manteaux et se dirigeaient vers la sortie. Cependant, en approchant de la porte, j’ai remarqué un beau couple – lui noir, elle blanche et blonde – assis par terre, encore plein d’entrain et de joie bien qu’il fût tard/tôt, après cette fête qui avait dû être merveilleuse pour eux. Niché derrière eux, à leur droite, un homme barbu somnolait, la tête dans la main, tandis qu’à côté, deux jeunes femmes étendues l’une derrière l’autre dormaient d’un profond sommeil. J’ai levé mon appareil…

Et j’ai réalisé que je ne pouvais rien faire avant que le signal de mon flash ne s’allume, m’indiquant que j’avais suffisamment de batterie pour une prise de vue. J’ai donc attendu et attendu – au moins 30 ou 40 secondes – et le signal s’est allumé enfin, alors que la femme blonde venait de ramasser un ballon au sol et de se renverser en souriant dans les bras de son ami, et j’ai levé mon appareil pour prendre une photo.

Puis, de manière inattendue, elle a lancé le ballon en l’air, et il est venu se poser légèrement sur la hanche de la fille endormie à côté d’elle … au moment même où un autre ballon, voyageant librement par la seule force de l’hélium, a atterri (c’était incroyable ! ) sur la hanche de la seconde fille somnolente, et y a trouvé une niche parfaite. Comme si ce n’était pas assez, la Dame aux ballons en a ramassé un autre devant elle et l’a lancé en l’air – alors que j’étais à quelques mètres, torturé par l’attente du signal lumineux m’indiquant que je pourrais tenter de fixer la scène sur la pellicule. Le moment ne venait pas. Tandis que je me demandais si la batterie était totalement morte, le ballon a atterri lentement et, une dernière fois, la femme blonde s’est allongée dans les bras de son ami, puis a renversé théâtralement la tête, menton pointé vers le plafond, et a gracieusement levé le bras pour toucher le ballon, comme il atteignait le bout de ses doigts tendus. Une pose de déesse, ou du moins un geste assez éloquent pour qu’un ange ou une divinité de second rang surplombant la scène aie pitié de moi et de ma frustration, et envoie une étincelle qui a rallumé le signal. Cette nuit-là, j’ai levé mon appareil pour la dernière fois (après laquelle la batterie est morte pour de bon), et j’ai appuyé sur le déclencheur.

D’où l’image que vous voyez ici, dans laquelle (convoquant l’esprit du grand Brassaï) les miroirs reflètent et multiplient bien d’autres éléments que la femme et sa majesté, le groupe autour d’elle, et l’arrangement heureux des ballons. »

Par Tod Papageorge

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