De part et d’autre de la chambre photographique, une mère et sa fille. Jessie, les yeux clos, se soumet au regard attentif, sensible et scrutateur de sa mère, Sally Mann. La photographe, férue d’histoire et de métaphysique, a entrepris sa série la plus intime et la plus touchante : What Remains rassemble ces étonnants portraits de famille au format monumental. Penchée sur les visages de ses enfants comme si elle veillait sur leur sommeil, Sally Mann cherche à capter leur essence propre, à attraper leur souffle dans l’image comme un papillon dans un filet.

What Remains © Sally Mann
Pour ce faire, Sally Mann a recours au collodion humide. Complexe à maîtriser, cette technique centenaire tire son charme de ses irrégularités : des tâches, du flou par endroit, et une grande richesse dans les nuances de gris. L’image produite est organique, pleine d’aspérités, unique parce qu’imparfaite. Comme la jeune fille, la photographie au collodion présente ses tâches de rousseur, ses grains de beauté.
Si les photos numériques n’ont pas d’odeur, comme l’affirme à raison la photographe, quel est ce parfum troublant qui s’émane des clichés de What Remains ? On y devine le souffle léger de l’enfant cher … à moins que ce ne soit son dernier soupir. En immobilisant sa fille sous l’objectif, en la cadrant en ultra gros plan, Sally Mann la préserve dans toute sa pureté et la soustrait à l’action du temps, quitte à la faire basculer dans l’autre monde. Blanche comme une statue grecque ou livide comme un spectre, Jessie est figée pour l’éternité. La mort n’est jamais loin dans les photographies de Sally Mann.
Par Camille Balenieri
Sally Man, Mille et un passages
Du 18 juin au 22 septembre 2019
Jeu de Paume 1 Place de la Concorde, 75008 Paris