Le gisant se tient là, à même le sol, baignant dans son propre sang. Il a les jambes liées et des outils qui auraient pu servir comme armes se trouvent à côté de lui : un fer à repasser, un couteau et un marteau. Tout autour de cette scène de crime, des petits chiffres disposés sur une règle viennent indiquer la grandeur réelle des éléments qui se trouvent à l’intérieur. C’est ce qu’Alphonse Bertillon a baptisé une « photographie métrique », ce qui le rendra célèbre dans l’histoire de la police scientifique. Il est l’un des premiers à avoir systématisé l’utilisation de la photographie dans les scènes de crime en France. Mieux : il a inventé un dispositif pour capter ces images étonnantes. À l’aide d’un immense trépied de plus de deux mètres de haut – on voit justement les pieds du trépied sur la photographie – il a installé un appareil capable de prendre l’ensemble de la scène de crime, le corps et les éléments qui se trouvent autour.

Cette photographie a été réalisée le 1er octobre 1910. Si on ne sait pas quand Alphonse Bertillon a réellement inventé la « photographie métrique », nous savons qu’à cette époque-là, il la pratique depuis un certain temps et qu’il est sans doute rodé à l’exercice. Nous savons aussi, à l’aide des informations inscrites au-dessus de la photographie, qu’il s’agit d’un certain « Monsieur André Garson » et que la scène a été prise au 75 boulevard de la Villette à Paris.
Elle est une « photographie métrique » typique d’Alphonse Bertillon, en ce sens qu’elle permet de « figer une scène de crime » comme le fait remarquer le commissaire de l’exposition Pierre Piazza. Avec cette image, en effet, la police scientifique pouvait enquêter de façon détaillée, bien plus qu’avant la photographie. Des détails qui apparaissent sur le cliché permettent d’orienter l’enquête vers tel ou tel acte criminel. « La flaque de sang, par exemple, en dit long sur la technique du meurtrier pour tuer sa victime. Alphonse Bertillon s’en servait pour éluder un crime », explique Pierre Piazza. En prenant une dizaine de clichés à chaque affaire criminelle, Alphonse Bertillon pouvait aussi dresser un plan du lieu qui servait ensuite à l’enquête. Non seulement il prendra au début du XXe siècle systématiquement en photographie les scènes de crime de Paris et sa banlieue – parfois aussi en province – mais il ira jusqu’à capturer en image les scènes de catastrophe comme les explosions d’usines par exemple ou les accidents de voitures, ce qu’évoque à merveille le catalogue de l’exposition publié aux Éditions de la Martinière.
Par Jean-Baptiste Gauvin
La science à la poursuite du crime
Du 14 septembre 2019 au 18 janvier 2020
Archives nationales, site de Pierrefitte-sur-Seine, entrée libre
La science à la poursuite du crime, d’Alphonse Bertillon aux experts d’aujourd’hui
de Pierre Piazza et Richard Marlet
Éditions de La Martinière
35 euros, 336 pages