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En immersion au George Brown’s Bar

En 1971, un jeune photographe et barman réalise une série de photos des clients d’un bar fréquenté par la classe ouvrière. Ses clichés nous apprennent beaucoup sur la condition humaine – et sur l’art délicat du portrait.
John Banasiak
George Brown’s Bar © John Banasiak, avec l’aimable autorisation de la Galerie Joseph Bellows

Bien avant de devenir professeur de photographie à l’université du Dakota du Sud, dans la ville de Vermillion (où il enseigne depuis 42 ans), John Banasiak a été ouvrier, gardien de nuit et barman au George Brown’s Bar, un établissement situé dans l’un des quartiers polonais et ukrainien de Chicago. C’est là qu’en 1971, à seulement 21 ans, Banasiak réalise une série de clichés immortalisant une communauté fière et laborieuse – sa propre communauté – lors de fêtes d’anniversaires, de mariages, de départs à la retraite, de funérailles et autres. 

Banasiak a toujours pensé qu’il finirait par travailler dans une usine, tout comme son père et les autres hommes de la communauté. Quand son paternel décède, laissant derrière lui une femme et cinq enfants, il semble inéluctable que Banasiak reprenne le poste de teinturier de son père à l’usine Maremont Muffler. Mais le destin en décide autrement : un professeur d’art du lycée l’incite à s’inscrire au prestigieux Art Institute of Chicago. Banasiak suit ses conseils et décroche une bourse. 

John Banasiak
George Brown’s Bar © John Banasiak, avec l’aimable autorisation de la Galerie Joseph Bellows

Tout en étudiant à l’Art Institute, John Banasiak passe ses week-ends derrière le bar, à servir shots et canettes de Hamm’s, à écouter les histoires de guerre racontées par des ouvriers aux surnoms évocateurs comme Dinky, Stork, Boots, et Jigs (Mignon, Cigogne, Bottes et Guigue). Et à prendre des photos. 

Lors d’une interview, Banasiak se souvient qu’il était « un peu prisonnier » derrière le bar et qu’il ne pouvait pas « arranger les choses parfaitement » – ce qui constitue, outre le point de vue unique du barman, tout l’intérêt de ses clichés. « Je faisais des portraits très simples, en essayant de capturer la beauté de ces gens. » L’éclairage est un atout : « Les lumières étaient assez vives autour du bar, et beaucoup plus sombres au-delà », se remémore Banasiak. « La piste de danse, dans le fond, dégageait une énergie avec les polkas non-stop, et parfois certains s’arrachaient de la piste vers le bar et lançaient : “Sers-moi une bière”. Ce qui rendait le tout quelque peu théâtral. »   

John Banasiak
George Brown’s Bar © John Banasiak, avec l’aimable autorisation de la Galerie Joseph Bellows

Théâtral, c’est le mot. De fait, en observant ces fascinantes images – la Joseph Bellows Gallery, située à La Jolla, en Californie, possède une collection de plus de 70 tirages –, on pense à la pièce de Thornton Wilder, Notre petite ville, avec ses décors dépouillés, ses personnages humbles et sa capacité à définir l’expérience même d’être en vie. Quand on sait que le George Brown’s Bar a brûlé il y a une quinzaine d’années et que, comme le dit Banasiak, « la plupart de ces gens étant décédés aujourd’hui », cela ne fait qu’ajouter au caractère émouvant de cette série.

Au début de sa carrière de photographe, John Banasiak occupe des emplois à temps partiel en tant qu’assistant pour les couvertures de Playboy ou photographe médical, et plus tard, il voyage à l’étranger grâce à une bourse. Mais ce sont les longues nuits passées au George Brown’s Bar dont il se souvient aujourd’hui avec émotion. « La façon dont les gens entraient en contact les uns avec les autres. Observer l’étincelle d’un amour naissant. Et les vieux couples mariés – on comprenait comment ils s’accordaient. La poésie était omniprésente : Les gens tombaient amoureux sous mes yeux. »

John Banasiak
George Brown’s Bar © John Banasiak, avec l’aimable autorisation de la Galerie Joseph Bellows
John Banasiak
George Brown’s Bar © John Banasiak, avec l’aimable autorisation de la Galerie Joseph Bellows

Banasiak utilise à l’époque un vieux Kodak Retina (« J’ai travaillé avec ce que je pouvais m’offrir ») et la simplicité à la fois de son approche et du décor nous rapproche au plus près du cœur battant de l’instant. « Je n’aimais pas particulièrement les photos naïves », explique-t’il. « J’aime que les gens me regardent. Cela me permet de voir ce qu’il y a derrière ces yeux et de me souvenir de ce à quoi ressemblent les individus. » Il les immortalise donc de face, en imaginant que lorsque les spectateurs regarderaient les images, « ce serait comme s’ils fixaient ces clients au bar, en ressentant un lien particulier ».  Une touche de la série télévisée Cheers, une autre de Thornton Wilder, mêlée d’un style à la August Sander : les photos de John Banasiak prises dans ce modeste bar de Chicago reflètent l’essence même de l’être humain.

John Banasiak
George Brown’s Bar © John Banasiak, avec l’aimable autorisation de la Galerie Joseph Bellows
John Banasiak
Sans titre © John Banasiak, avec l’aimable autorisation de la Galerie Joseph Bellows
John Banasiak
George Brown’s Bar © John Banasiak, avec l’aimable autorisation de la Galerie Joseph Bellows

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