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Keith Haring et la photographie, une histoire intime

Dans les années 1980, l’artiste Cey Adams rencontre Keith Haring. Il deviendra un ami, un collègue et la figure centrale de la scène artistique new-yorkaise de l’époque. La photographie fut un précieux outil pour documenter leurs vies.
© Keith Haring Foundation. Licensed by Artestar, New York

Keith Haring se fait connaître dans les rues de New York au début des années 1980, lorsqu’il se rend dans les gares, un morceau de craie blanche à la main, pour rédiger des lettres d’amour à la ville dans les espaces traditionnellement réservés à la publicité. Utilisant les quais du métro comme un « laboratoire », il développe une iconographie simple mais évocatrice, faite de soucoupes volantes, de chiens qui aboient et, surtout, du célèbre « Radiant Baby ». Dans un paysage rempli de graffitis magistraux, son œuvre attire l’attention des New-yorkais et du monde de l’art.

Keith Haring, qui a compris la stratégie de marque bien avant qu’elle ne devienne un enjeu pour tous, se hisse rapidement au sommet avec des projets tels que la série de panneaux d’affichage Public Art Fund’s One Times Square Spectacolor, des collaborations avec le chorégraphe Bill T. Jones, ainsi qu’avec les créateurs de mode Willi Smith et Vivienne Westwood, et l’exposition de son travail à la Whitney Biennial et à la Biennale de Venise. À travers tout cela, Haring maintient son engagement à créer un art pour le peuple, produisant la première œuvre majeure du désormais célèbre Houston Bowery Wall et la fresque Crack is Wack (« Le crack c’est de la merde ») à Harlem – qui lui vaut une arrestation pour vandalisme en 1986.

Keith Haring Edition © Audrey Shtecinjo – @audrey.stecinj
© Keith Haring Foundation. Licensed by Artestar, New York

En authentique populiste – au sens noble du terme – qui croit au pouvoir de l’art, Keith Haring met un point d’honneur à ce que son travail soit accessible à tous. Il applique l’ethos même de la photographie en créant un objet pouvant être reproduit à l’infini et  ainsi rendu abordable. En avril 1986, il ouvre le Pop Shop au cœur de Soho, proposant t-shirts, posters, autocollants, boutons et autres objets éphémères représentant ses œuvres – une initiative qui est d’abord critiquée, avant d’être massivement copiée.  « Je pourrais gagner plus d’argent en me contentant de peindre quelques objets et d’en augmenter le prix », explique alors Keith Haring. « Ma boutique est le prolongement de ce que je faisais dans les stations de métro, brisant les barrières entre le grand et le petit art. »

Demolition Man

Bien que Keith Haring soit mort en 1991 à seulement 31 ans – victime de l’épidémie de sida – son héritage continue d’inspirer des générations d’artistes et de militants. Au cours d’une existence aussi brève que flamboyante, 42 expositions personnelles lui ont été consacrées, il a peint sur le mur de Berlin, créé des affiches pour soutenir le mouvement anti-apartheid et les causes liées au sida, et même peint sur le corps d’une diva : Grace Jones.

© Keith Haring Foundation. Licensed by Artestar, New York
© Keith Haring Foundation.Licensed by Artestar, New York

Tout au long de sa carrière, la photographie a joué un rôle central dans la préservation et la diffusion de son œuvre. Le 6 juin dernier, The Guardian rapportait qu’une de ses fresques exécutée dans une boîte de nuit de Barcelone en 1989 pourrait être détruite. « Keith Haring ne l’a pas peinte pour de l’argent, mais en témoignage d’amitié, par amour pour ce club et pour Barcelone », explique Cesar de Melero au quotidien britannique, en dévoilant un Polaroïd de Keith Haring peignant un homme à tête de fleur sur le mur du Ars Studio. Polaroïd daté et signé par l’artiste, avant d’ajouter un « A » au dos de son tee-shirt, geste élégant soulignant le caractère populaire du Polaroïd.

Bien avant que la photographie numérique ne rende les images plus accessibles, le Polaroïd fut ainsi l’appareil préféré des artistes, des photographes et des amateurs qui appréciaient sa capacité à rendre l’instantanéité. Pour célébrer sa contribution à la photographie et à l’art, la Fondation Keith Haring s’est associée à Polaroid pour lancer l’appareil photo Polaroid x Keith Haring Now et la pellicule i-Type. Récemment, le New-yorkais Andrew Tess a photographié certains des plus proches amis de Keith Haring pour le projet, notamment l’artiste Cey Adams, le photographe Christopher Makos, ainsi que des artistes et les habitués du club Pyramid, Dany Johnson et Ande Whyland.

Cey Adams © Andrew Tess

L’amour c’est la drogue

« En tant que graffeur, on remarque le travail des autres graffeurs », se souvient Cey Adams en évoquant sa première rencontre avec les fresques de Keith Haring au début des années 1980. « Puis un jour, j’ai été invité dans son studio et nous avons immédiatement sympathisé. Keith savait comment créer un environnement. Au milieu de ses œuvres et entouré de ses amis, il aimait la musique dansante et son studio débordait d’énergie. Chaque fois que j’y passais, j’y découvrais de nouvelles œuvres. Travailleur acharné, Keith s’interrompait pour me montrer sa dernière création ou pour jeter un coup d’œil à mon boulot. Nous partagions cette amitié artistique. »

Propulsé au firmament, Keith Haring est resté simple et en phase avec la rue. « Si vous savez qui vous êtes et d’où vous venez, le succès ne vous change pas », explique Cey Adams. « Je ne pense pas que tout cela l’ait perturbé. En fait, je crois que le succès lui a permis d’en faire davantage pour les plus démunis. Je me souviens qu’il n’était jamais avare de cadeaux. Nous échangions des œuvres mais il en achetait également parce qu’il voulait partager l’argent qu’il gagnait non seulement avec sa communauté, mais aussi avec ses collègues artistes. »

Keith Haring Edition © Sergey Filimonov @sergefilimonov
Keith Haring Edition © Bonnin Studio @bonninstudio

Parmi ses innombrables qualités, l’une des plus notables fut sans doute sa capacité, comme Andy Warhol, à comprendre le rôle d’icône de l’artiste et à intégrer avec succès sa marque dans toutes les composantes de son œuvre. « Keith a créé une trame », détaille Cey Adams. « Imité aujourd’hui par une ribambelle d’artistes. Il créait des t-shirts et des affiches, autant d’objets accessibles et bon marché. Son travail se prêtait à tous les supports ou presque – et c’est rare, car tout le monde n’est pas capable de s’adapter ainsi. »

Documents historiques

Pour Keith Haring et Cey Adams, la photographie documentaire a joué un rôle central dans la préservation de leurs travaux, leur fournissant une trace d’œuvres aujourd’hui disparues. « Sans des gens comme Martha Cooper, je ne pourrais pas montrer le travail que j’ai fait dans les années 1980 », déclare Cey Adams interviewé dans son studio de DUMBO, un quartier de Brooklyn. « J’ai des boîtes d’archives dans lesquelles je pourrais dénicher quelques polaroïds qu’Andy Warhol a pris de moi, de Keith Haring et de Patti Astor lors d’une fête chez lui. J’avais 19 ans, et je ne me rendais pas compte qu’Andy me prenait en photo. C’était une superstar, mais quand on se retrouve dans la même pièce, on n’est qu’un artiste qui partage ses idées et apprécie la compagnie de ses semblables. »

Par Miss Rosen

Miss Rosen est une journaliste basée à New York. Elle écrit sur l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres, des magazines, notamment Time, Vogue, Aperture, et Vice.

Polaroid x Keith Haring. Appareil photo instantané Polaroid Now i-Type – Édition Keith Haring. $119.99
Film i-Type couleur – Édition Keith Haring. $17.99
Set de démarrage Polaroid Now Keith Haring Edition. $169.99
Disponible ici.

© Keith Haring Foundation. Licensed by Artestar, New York
© Keith Haring Foundation. Licensed by Artestar, New York

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