Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

La photo de rugby, le regard dans la boue

Alors que la coupe du monde de rugby 2023 se déroule en France, l’ancien rédacteur en chef de L’Equipe Magazine Jean-Denis Walter, aujourd’hui galériste spécialisé dans la photo de sport, raconte l’âme de la photographie de rugby.

Le rugby est toujours un régal pour le photographe, je parle là de photogénie que ce sport, de par les affrontements, les courses, les « rendez vous » réguliers (mêlées, touches) offre comme variété de situations et de matière pour s’exprimer. Malgré tout, il y a moins de photographes vraiment spécialisés qu’en tennis ou en sports mécaniques où la densité du calendrier fait qu’ils n’ont guère le temps de faire autre chose.

Mais il y en a et le plus célèbre d’entre eux est Français. Michel Birot venait de la photo de mode et de reportages (Réalités, Dépêche Mode, Biba, 20 ans ou le Figaro Magazine). Mais dès le début des années 1990, il commence un travail personnel en suivant son beau-fils à l’école de rugby. Ce travail générera sa première exposition sur ce thème.

Jeux d’enfants, Ecole de rugby de l’Hay les roses, 1990
© Michel Birot / Galerie Jean-Denis Walter. Tirage disponible ici.

Dès 1995, il couvre la coupe du monde en Afrique du Sud pour le journal Libération ainsi que plusieurs éditions du Tournoi des V nations. Le virage est pris, sa nouvelle carrière commence. Elle connaîtra son apogée avec la création d’Attitude Rugby en 1998, un luxueux trimestriel noir et blanc de grande dimension qui devient l’écrin qui met en valeur son propre travail ainsi que celui de tous les grands photographes qu’il y convie.

Men II, Le Cap (Afrique du Sud), 4 juillet 1998. Springboks/Angleterre (18-0) © Michel Birot / Galerie Jean-Denis Walter. Tirage disponible ici.
Mêlée III, 7 février 1998, Stade Jean Bouin. Championnat de France, Stade Francais / Colomiers © Michel Birot / Galerie Jean-Denis Walter. Tirage disponible ici.

Michel Birot a inventé un style, une nouvelle manière de raconter ce sport, de parler de la férocité des combats, de l’intimité des vestiaires et de la force des relations qu’il génère. Il laisse une œuvre, un hommage éternel à ce jeu et aux hommes qui le pratiquent.

Frères, 26 novembre 2005 au Stade de France, Test match France/Afrique du Sud (26-10). Dimitri Szarzewski dans les bras de Yannick Nyanga à la suite de hymnes.
© Michel Birot / Galerie Jean-Denis Walter. Tirage disponible ici.
Samoa, Avant la coupe du monde 1999, Michel Birot fait un grand trip “rugby” dans l’hémisphère sud,
un voyage au long cours qui le mènera de Nouvelle-Zélande aux Iles Samoa en passant par l’Australie les iles Fidji et Tonga. © Michel Birot / Galerie Jean-Denis Walter. Tirage disponible ici.

Il a laissé un héritage et deux héritiers. Isabelle Picarel a grandi dans une famille carcassonnaise – cela aide – et qui après avoir collaboré régulièrement à la revue est aujourd’hui photographe officielle de la Fédération française de rugby et qui consacre, quand elle y trouve le temps, ses travaux personnels… au rugby.

Ecosse. 17 mars 2013, Stade Amédée Domenech à Brive, Tournoi des VI nations des – de 20ans, France -Ecosse
© Isabelle Picarel / Galerie Jean-Denis Walter. Tirage disponible ici.
First one. 9 février 2003. Racing/Toulon. Stade Yves du Manoir Colombes
© Isabelle Picarel / Galerie Jean-Denis Walter. Tirage disponible ici.

L’autre hériter se nomme Julien Poupart, qui avait rencontré Michel Birot sur un terrain de rugby et presque immédiatement intégré Attitude. Ce fut comme une évidence, tant il était porté par son admiration pour le travail du maître et cette philosophie partagée. Il va rapidement grandir sous son égide discrète et se nourrir des peu de mots de Michel qui était plus ours que rossignol. Comme une sorte de mentor mutique qui ne dit presque rien mais transmet beaucoup.

Aujourd’hui la chrysalide est devenue papillon. Il fait du Julien Poupart, il est un photographe différent mais qui partage la même philosophie sur le jeu et l’image que le fondateur de la revue. Il peut ainsi perpétuer une œuvre et enrichir chaque jour un patrimoine photographique incomparable sur un jeu qui l’est tout autant.

The Last Waltz. Finale de la Coupe d’Europe 2014. Derniers matches pour Jonny Wilkinson. © Julien Poupart / Galerie Jean-Denis Walter. Tirage disponible ici.
Brennus. Stade de France, 9 juin 2012, Finale Top14. Stade Toulousain/Toulon (18-12)
Thierry Dusautoir, capitaine du Stade Toulousain montrant le bouclier de Brennus à ses supporters
© Julien Poupart / Galerie Jean-Denis Walter. Tirage disponible ici.

A l’étranger, et bien naturellement, c’est la formidable école anglo-saxonne de photographes de sport qui marque son territoire. Tous s’y frottent à un moment ou à un autre de leur carrière, y compris les plus célèbres. Gerry Cranham « the pionneer », bien sûr, mais aussi et avec encore plus d’assiduité son fils spirituel, Mark Leech, fondateur de l’illustre agence Offside sports photography. Tous deux ont une approche complète du sport et particulièrement du rugby,  se nourrissant du jeu mais aussi du contexte et de sa dimension sociale. 

Gareth Edwards. 27 mars 1969, Stade de Colombes. Tournoi des cinq nations, France – Pays de Galles.
Gareth Edwards plonge dans l’en but français pour marquer malgré le retour de Pierre Villepreux.
© Gerry Cranham / Galerie Jean-Denis Walter. Tirage disponible ici.
French Flair. Demi finale de la coupe du Monde 1999, France Nouvelle-Zélande à Twickenham
Christophe Dominici dépose Andrew Mehrtens pour aller marquer le premier essai français.
© Mark Leech / Galerie Jean-Denis Walter. Tirage disponible ici.

Il y aussi bien sûr les cadors de l’agence Getty, avec parmi eux la « légende » Bob Martin. Avec lui on est dans l’efficacité, son territoire est le terrain, rien d’autre, mais comme un tireur qui ne raterait jamais sa cible, quand l’action spectaculaire se présente, elle est dans le cadre. End of the story!

Défense. USA – Angleterre, Coupe du Monde 2007 © Bob Martin / Galerie Jean-Denis Walter. Tirage disponible ici.

Pour qu’une iconographie soit riche, il faut aussi que les non spécialistes y apportent leur touche et leur savoir-faire. Le rugby est un sujet excitant même pour les plus grandes signatures. A la demande de la fédération néo-zélandaise qui souhaitait laisser une trace, créer un patrimoine, Nick Danziger, grand photojournaliste anglais est convié à suivre et partager la vie des All Blacks durant cinq semaines à l’automne 2010. Le rêve.

Team Talk. Vestiaires des All Blaks au Waikato stadium (Hamilton, Nouvelle Zélande) après un match contre le Pays de Galles. (29-10) © Nick Danziger / Galerie Jean-Denis Walter. Tirage disponible ici.

Soucieuse d’apporter quelque chose de différent, la fédération n’a ainsi pas choisi un photographe néo-zélandais, ni même un spécialiste de rugby. Son choix s’est porté sur la formidable capacité d’un homme à raconter les hommes, leurs vies et leurs histoires. Accompagné du journaliste James Kerr, Nick ne va pas se contenter de suivre l’équipe, il va aussi, porté par son inextinguible curiosité, parcourir le pays et passer des écoles de rugby aux paysages rudes et profonds. Le tout fera « Mana » un formidable reportage qui a donné lieu à un livre. Un témoignage pour les années futures.

Runaway. Ecole de rugby dans la campagne néo-zélandaise © Nick Danziger / Galerie Jean-Denis Walter.
Tirage disponible ici.

Jodi Bieber, photographe sud-africaine multi primée (World Press à plusieurs reprises), est née, a grandi et vit au pays des Springboks, triple vainqueurs de la Coupe du Monde (1995-2007 et 2019). Alors le rugby, elle en a entendu parler…

Elle s’est frottée au thème à plusieurs reprises notamment avec son formidable travail sur une école de Tananarive à Madagascar, « The Life Rugby School », qui sort les enfants des rues et essaye de leur donner une éducation et de les sortir de la délinquance par le rugby.

Mada III. Réalisé en 1999 ce reportage de Jodi Bieber pour la revue Attitude Rugby s’est assez rapidement centré sur une école de Tannannarive « the Life Rugby School » qui sort les enfants des rues et essaye de leur donner une éducation et de les sortir de la délinquance par le rugby © Jodi Bieber / Galerie Jean-Denis Walter. Tirage disponible ici.
Mada I. Réalisé en 1999 ce reportage de Jodi Bieber pour la revue Attitude Rugby s’est assez rapidement centré sur une école de Tannannarive « the Life Rugby School » qui sort les enfants des rues et essaye de leur donner une éducation et de les sortir de la délinquance par le rugby © Jodi Bieber / Galerie Jean-Denis Walter. Tirage disponible ici.

Jodi Bieber a aussi fait briller la sensibilité de son regard pour raconter les nuits chaudes de Cardiff qui succèdent aux matches du XV gallois. 

Cardiff by night. 22 février 2003, après Galles -Angleterre, une fan dans les rues de Cardiff
© Jodi Bieber / Galerie Jean-Denis Walter. Tirage disponible ici.

Pascal Maitre, collaborateur historique de National Geographic s’est aussi laissé tenter. Il avait joué pendant sa jeunesse et souhaitait rendre à un sport qui lui avait tant apporté. Le résultat d’un an de voyage sera  fera: « La France du Rugby », un livre malheureusement aujourd’hui épuisé, qui est plus qu’un propos, plutôt une chronique. Une chronique du terroir à travers un sport qui contribue pour beaucoup à son harmonie et au regroupement de ses membres.

Comité des Alpes, ville de Thônes © Pascal Maitre / Galerie Jean-Denis Walter. Tirage disponible ici.
Comité de la cote d’argent, Ychoux, sous une pluie fine, le buteur fais ses gammes après l’entrainement © Pascal Maitre / Galerie Jean-Denis Walter. Tirage disponible ici.

Reste le miracle, la photographie qui marque l’histoire, réalisée dans le cadre d’un reportage ordinaire et qui peut arriver à tous les photographes qui couvrent l’actualité du monde. Ian Bradshaw, Irlandais aujourd’hui installé à New York, travaillait pour AP (Associated Press) et il avait été désigné ce jour de l’hiver 1974 pour un Angleterre-France ordinaire à Twickenham. Il en ramènera cette pépite, cette image incroyable du premier streaker de l’histoire, Michael O’Brien, qui avait,  à la suite d’un pari perdu, tenté de traverser le terrain entièrement nu. 

Stade de Twickenham, Londres. Angleterre vs France, 1974 © Ian Bradshaw / Galerie Jean-Denis Walter.
Tirage disponible ici.

Plusieurs photographes ont pu saisir la scène, mais leurs images sont banales à côté de celle-ci. Elle montre un streaker quasi christique, et raconte une ambiance décontractée, bon enfant, malheureusement si différente de notre époque, avec des bobbies décontractés qui raccompagnent gentiment l’impétrant. Le tout saupoudré de cet humour tellement anglais du policier qui masque l’objet du délit avec son casque.

Plus d’informations sur ces photographies, sur d’autres photographies de sport, et vente de tirages sur le site de la galerie, spécialisée dans le genre: www.jeandeniswalter.fr

Couverture: Jean-Pierre Rives ensanglanté, pendant un match du tournoi des V Nations contre le Pays de Galles, le 19 mars 1983 au Parc des Princes. © Mark Leech. Tirage disponible ici.

Vous avez perdu la vue.
Ne ratez rien du meilleur des arts visuels. Abonnez vous pour 6$ par mois ou 108$ 60$ par an.