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La photographie de tennis, une formidable école

La photographie de tennis, une formidable école

Ancien directeur de la photographie au journal L’Equipe, aujourd’hui galeriste spécialisé dans la photo de sport, Jean-Denis Walter lance sa chronique régulière pour Blind avec un premier volet consacré à la photographie de tennis.

John McEnroe et Jimmy Connors après le match qui les a opposés en demi-finale de Wimbledon et qui a vu la victoire de Connors, 30 juin 1977 © Gerry Granham

On peut dater l’arrivée des photographes spécialisés dans le monde du tennis avec les débuts de l’ère open, en 1968 et donc la possibilité donnée aux joueurs professionnels de disputer les tournois du Grand Chelem. Mais surtout avec l’arrivée des premières stars du jeu comme Bjorn Borg, qui ont fait qu’un photographe professionnel pouvait vivre en se concentrant sur ce sport et en suivant l’actualité tout au long de l’année. La demande était forte et pas seulement en Suède.

Les quotidiens anglais devenaient hystériques au moment de Wimbledon et on se souvient de la « Borgmania » lors de ses 5 passages victorieux à Roland Garros. Jimmy Connors et John McEnroe ont suivi et vu de France, la victoire de Noah a boosté tout ça. L’intérêt pour le tennis et dans la production photographie à même de nourrir cette passion. Gerry Cranham, un des premiers grands photographes de sport de l’histoire, surnommé « The Pionneer » par la nouvelle vague, a suivi tout ça et s’est intéressé de près au phénomène.

De jeunes fans attendent l’arrivée de Bjorn Borg à Wimbledon. C’est le début de la “Borgmania” qui va déferler sur l’Europe. 1er juillet 1973 © Gerry Granham 

Au début, la cohorte était toujours la même, les grandes agences de presse, AP, AFP, Reuters et les spécialistes issus des magazines de tennis du monde entier. Les autres venant par intermittence. Les habitués se retrouvaient, à Londres, à Melbourne ou n’importe où ailleurs et nouaient des liens, partageaient leur vie quotidienne et formaient comme une famille malgré la concurrence. En France par exemple, Serge Philippot de Tennis Magazine et Jean-Marc Pochat de Tennis de France étaient (et sont) les meilleurs amis du monde alors que leurs titres respectifs se livraient une guerre sans merci.

Pour la finale de Roland Garros 1983 (Noah contre Wilander) Serge Philippot savait où il fallait être : « Pour la fin du set et peut être du match, je m’étais posté sur les premières marches de l’escalier qui accède aux loges, pas loin de celle de la famille Noah. » Il savait que Yannick allait immanquablement se tourner par là et aussi connaissant Zacharie, le père, qu’un truc insensé était possible (Zacharie avait sauté des tribunes sur le court pour rejoindre son fils). Il était l’un des seuls à pouvoir être là, avec eux, comme un membre de la famille.

Yannick Noah, vainqueur de Roland Garros, retrouve son père Zacharie descendu sur le court central © Serge Philippot

L’actualité rebondissait sans cesse, le nombre de Tournoi se multipliait et avec eux le déplacement permanent de la caravane de suiveurs, parmi eux les photographes. Au niveau technique, durant ces années-là et jusqu’à l’apparition d’un système autofocus performant, (années 1990), sortir une bonne image, bien cadrée, nette, était un exercice difficile surtout au téléobjectif. Le sport constituait une formidable école, parce que la technique devait être tellement maîtrisée qu’elle en devienne naturelle pour sortir une « plaque », une photographie qui resterait.

C’est toujours le cas, même avec le secours de la technologie. Une balle de match est un moment où la tension est extrême, y compris pour les photographes. Tu as une bonne image où tu ne l’as pas, les joueurs ne vont pas rejouer le point parce que ton cadrage est imparfait.

On peut dire que si un photographe de presse est bon en sport, il sera bon partout. La réactivité, la concentration, la recherche permanente de la captation de l’instant décisif alors que les choses se déroulent à une allure folle, la compréhension et l’analyse immédiate de la dramaturgie d’un match, ou d’une course, tout ça est très formateur.

Bjorn Borg, Wimbledon 1977 © Gerry Granham

A l’époque de l’argentique, les grands fabricants de pellicules, Kodak, Fuji, avaient chacun une structure qui se déplaçait sur les grands tournois. Un stand où les photographes pouvaient déposer leur film, à la fin des matches et les récupérer développés le lendemain matin. La firme Kodak avait même pour Roland Garros une navette quotidienne avec la Suisse, seul endroit où était développé l’illustre « Kodachrome », une pellicule contraignante, mais dont le grain était inimitable.

Sur un Tournoi du Grand Chelem, la journée est d’une intensité folle, à courir d’un court à l’autre, là où quelque chose de grand ou d’improbable se passe, mais aussi si vous êtes français ou quoi que ce soit d’autre, à cavaler pour avoir des photos de tous vos compatriotes engagés dans les matches du jour. Il y a une vingtaine de courts dans les grands tournois où ça joue en même temps, en tous les cas pendant les premiers tours.

Roger Federer, Open d’Australie 2013 © Corinne Dubreuil

Mais une fois les pellicules déposées, il était temps de se regrouper et de tester un restaurant, de découvrir une ville, ensemble. Aujourd’hui, avec le numérique, c’est différent, une fois la dernière balle jouée, le photographe a encore plusieurs heures à passer pour éditer son travail et transmettre à son journal ou son agence ses meilleurs clichés du jour. Ils peuvent espérer dîner à minuit si tout se passe bien. Le nombre croissant de nouveaux photographes fait aussi que le groupe est plus large que les liens sont moins faciles à créer. La relation aux joueurs a aussi beaucoup changé avec l’armée des agents qui les surprotègent et coupent les fils de la relation.

Malgré tout, les plus anciens ont un temps d’avance et une expérience qui fait que loin de les condamner, elle leur donne un avantage. Le fait d’avoir vécu d’innombrables situations de tension extrême, de « money time » dans le cours d’un match est décontractant. De plus, les liens noués avec les joueurs dans le passé perdurent malgré tout. Ils se connaissent. Corinne Dubreuil, une française, un des plus beaux regards portés sur le tennis aujourd’hui a connu Roger Federer tout jeune, encore boutonneux, lorsqu’il brisait ses raquettes de rage dans les tournois juniors. 

Jamais, il ne manquera de venir la saluer s’il l’a voit ou au moins de lui faire un petit signe. Corinne Dubreuil,est une des seules à pouvoir décrocher son téléphone pour organiser un shooting au débotté avec lui pour répondre à la demande d’un magazine.

Roger Federer le lendemain de sa victoire à l’Open d’Australie qui marque sa vingtième victoire en grand chelem, Janvier 2018 © Corinne Dubreuil 

« Je devais faire un shooting avec lui pour la couverture du magazine suisse, l’Illustré », raconte t-elle. « Il m’a demandé gentiment de patienter quelques minutes parce qu’il avait un appel à passer. Un moment de calme, d’apaisement. Il téléphone, la Coupe pas loin de lui. Sa routine. Il ne s’est à aucun moment montré contrarié par ma présence et le fait que je commence à travailler. »

Après la finale qui a vu Rafael Nadal s’imposer pour la 7e fois à Roland Garros en Juin 2012. Un record. Il en est à 13 aujourd’hui © Corinne Dubreuil 

Corinne Dubreuil poursuit: « Pendant la remise du trophée j’avais été frappé par ses doigts pourris d’ampoules et recouverts de pansements. Le gros plan sur la coupe et ses mains était une manière de montrer la performance mais aussi la souffrance de l’athlète. En une image, tout est dit ».

Rafael Nadal, Open d’Australie 2013 © Corinne Dubreuil 

En matière de photographie de tennis et de sport en général, l’expérience est un atout irremplaçable pour une performance régulière. Avoir expérimenté tous les angles, toutes les positions, toutes les situations, par rapport à un court précis de Flushing, de « Wim » ou de « Roland » de savoir comment le soleil va se poser, la lumière arriver. Tout ça, quand vous n’avez pas à l’apprendre, mais que vous le savez, vous donne un avantage considérable.

C’est encore un métier ou l’enthousiasme et la motivation de la jeunesse ne suffisent pas. Un prodige peut éclore vite, un œil exploser à la face du monde et faire une image ou une série sublime. Malgré tout, la régularité dans la performance ne s’acquiert qu’avec une pratique répétée. On a vu des initiatives audacieuses comme la carte blanche donnée pendant plusieurs années à une grande signature de la photographie (issue d’un autre domaine, photographie d’art ou de mode) par la Fédération Française de Tennis, pour avoir un autre regard et au final, en faire un livre et une exposition.

Novak Djokovic, Roland Garros 2015 © Bruno Aveillan

Certaines des stars invitées se sont montrées à la hauteur et ont proposé quelque chose, comme Bruno Aveillan et Marcel Hartmann. Bruno Aveillan se souvient ainsi de ce reportage au long cours loin de son univers habituel: « L’exercice m’intéressait, je voulais proposer un regard plus intimiste, plus introspectif. Un complément à ce qui se fait comme images chaque année ». Et Marcel Hartmann, fou de sport, a pris un plaisir fou à s’immerger dans l’événement.

Roland Garros, 2018 © Marcel Hartmann

Les autres, du haut de leur immense talent ont eu plus de mal à sortir de la banalité. Le tennis avec ses codes et sa dramaturgie n’est pas une matière si facile à dompter.

Par Jean-Denis Walter

Jean-Denis Walter est un journaliste, ancien rédacteur en chef de L’Equipe Magazine et ancien directeur de la photographie au quotidien L’Equipe. Il dirige aujourd’hui la galerie Jean-Denis Walter.

Plus d’informations sur ces photographies, sur d’autres photographies de sport, et vente de tirages sur le site de la galerie, spécialisée dans le genre:

www.jeandeniswalter.fr

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