L’énigme perpétuelle de Roger Ballen

Rencontrer le photographe, c’est s’exposer à la troublante inquiétude de ses images. L’homme aime vous les montrer d’une façon franche et directe autour d’un déjeuner qu’il mange à peine, préférant vous dévoiler quelques secrets de fabrication…

Il a des yeux perçants, vifs. Un regard qui porte loin. Son long corps s’agite en tournoyant comme une anguille prise dans un filet quand il parle de son travail. « We have to do the work », dit-il avec gravité. Il avoue s’y consacrer tous les jours de la semaine, sauf le dimanche. Tous les jours dédiés à ses images qu’il façonne avec du temps et de la réflexion. Chez Roger Ballen, tout est pensé, tout est minutieusement préparé. « Il faut d’abord trouver un sujet » explique-t-il, « il peut s’agir d’une rencontre qu’on fait dans la rue. Un personnage. Un chien. Et puis, vous avez votre sujet. 5% du travail est fait. Il reste 95% à faire… ».

Des mises en scène qui reproduisent une certaine réalité qu’il a attrapée de son œil tranchant et qu’il prépare avec soin. Roger Ballen a acheté un entrepôt dans lequel il a fait construire une petite maison afin de réaliser ses images. « Il faut disposer les êtres et les objets d’une certaine manière » confie-t-il et d’ajouter, tandis qu’on lui évoque des propos du peintre Cézanne sur le dialogue secret que les objets ont entre eux, « les choses ont une âme ». Une âme que le photographe se fait fort de capter depuis plus de trente ans.

Discussion, 2018 © Roger Ballen
Mimicry, 2005 © Roger Ballen

Diplômé d’un master en géologie, rien ne le prédestinait pourtant à devenir l’artiste qu’il est. « Je n’ai jamais pensé que j’allais vivre de la photographie », assure-t-il tout en promettant qu’il n’a que faire du marché de l’art. « Je cherche le défi. Il faut se renouveler quand on crée, sinon on ne vaut plus rien ». 

« Au-delà des mots » 

Pour la première fois, il expose une série qu’il a réalisée en couleur tandis qu’il ne jurait que par le noir et blanc depuis ses débuts. « J’ai changé d’avis. La couleur est intéressante. Disons que je m’en suis tenu éloigné pendant longtemps parce qu’elle donne l’illusion au spectateur que l’image est plus vraie, qu’elle est plus proche de la réalité. Le noir et blanc est plus abstrait », tente-t-il d’étayer. Pas facile de parler de la photographie en elle-même. « Si je devais définir avec des mots mon travail, je crois que je pourrais dire que je suis un mauvais photographe », assène-t-il avant d’insister sur le manque de mots qui viennent au moment où on essaye de cerner ce qui fait son art. « La plupart du temps, ce qui se passe est au-delà des mots ».

Ainsi de ces dessins faits par des habitants de Johannesburg sur les murs de leurs maisons et que Roger Ballen capture avec un plaisir inouï depuis le milieu des années 1990. Jamais il ne leur a demandé d’où venaient ces dessins et pourquoi ils les faisaient. « Si je les questionne, ils se fermeront à moi et ne voudront plus être photographiés… » Ce qui est sûr, en revanche, c’est que l’artiste qu’il est s’émerveille de ces visages grossièrement réalisés à la craie noire, de ces personnages sortis tout droit d’un imaginaire, de ces peuples de fantômes qui viennent habiter les murs…

Disconnected, 2018  © Roger Ballen
Inevetable, 2013 © Roger Ballen
Roger Drawing 1, 2018 © Marguerite Rossouw

Pour lui, l’art brut possède la force d’être direct, franc, de ne pas mentir. Il est authentique, primitif et c’est pourquoi le photographe apprécie en rendre le témoignage visuel. Roger Ballen admet d’ailleurs que la photographie lui est venue parce qu’elle permettait de documenter des installations visuelles qu’il se plaisait à faire. Quand on lui demande s’il ne serait pas un metteur en scène de théâtre ou un cinéaste, il hésite, sourit et dit : « pourquoi pas ». Mais pour lui l’important n’est pas de le placer dans une case ni de catégoriser son art, c’est plutôt de bien regarder ce qu’il propose à voir. « Le monde est envahi d’images aujourd’hui » déplore-t-il, « il devient de plus en plus difficile de bien regarder les images ».

Une exposition est justement l’occasion d’une rencontre entre un visiteur et une œuvre. C’est ce qu’il souhaite et c’est pourquoi il a choisi d’exposer ici, à la Halle Saint-Pierre à Paris, un lieu dédié à l’art brut qu’il aime tant. C’est la plus grande exposition organisée autour de son travail en France. 

Le monde selon Roger Ballen
Du 7 septembre 2019 au 31 juillet 2020
La Halle Saint Pierre 2 Rue Ronsard, 75018 Paris 

Superman, 2018 © Roger Ballen

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