L’histoire de Marc Riboud au Vietnam semble débuter avec son cliché iconique, La Fille à la fleur, réalisé le 21 octobre 1967 à Washington lors d’une manifestation contre la guerre au Vietnam. Contre l’implication de l’armée américaine dans cet enchaînement de violence à l’est de la péninsule indochinoise.
En 1966, déjà, le photographe avait eu l’occasion de s’y rendre, au Sud. « Comme beaucoup d’hommes de gauche à l’époque, cette guerre l’intéressait », explique Catherine Chaine-Riboud, qu’il rencontre en 1978 et épouse quelques années après. Il se rend donc sur un porte-avions américain d’où décollent les bombardiers. Endoctrinés, persuadés de ne toucher que des cibles militaires, les soldats américains sont sûrs du bien-fondé de leur mission. Ne se laissant pas « mener en bateau » comme l’explique en rigolant Catherine Chaine-Riboud, il décide de couvrir cette manifestation d’octobre 1967.


Dans le même temps, Hô Chi Minh, alors président de la République démocratique du Viêt Nam, au Nord, conscient du poids de l’opinion américaine sur cette guerre, décide de lui donner accès au nord du pays. « Marc fut l’un des seuls à accéder à cette partie du pays. Hô Chi Minh cherchait des accords de paix », précise Catherine Chaine-Riboud. Le président vietnamien y voit une opportunité: celle d’influencer l’opinion du peuple américain.
La vie malgré la guerre
Arrivé au Nord-Vietnam, il documente le quotidien de ce peuple qui, malgré la guerre, les bombardements et la mort omniprésente, continue à vivre, souvent avec le sourire. Sourires que l’on retrouve dans les images de Riboud, presque aussi souvent que les roues des vélos, alors moyen de déplacement prisé des locaux. Sourires que gardent ces femmes, couvertes de boue jusqu’aux hanches, chargées de reconstruire un barrage que de précédents bombardements ont détruit et qu’il photographiera sur le vif, sans les faire poser.



En novembre 1968, il rencontre Hô Chi Minh et son ministre Pham Van Dông. Le cliché fait le tour du monde et la couverture de nombreux magazines. Lorsqu’il le reçoit, le premier évoque les « centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont souffert dans leur chair ». Le 2 septembre 1969, moins d’un an après, le président vietnamien meurt à Hanoï ; Marc Riboud y retourne, afin de documenter les réactions de la population.
Non seulement il photographie « la résistance, la résilience » du peuple vietnamien, mais c’était aussi « la première fois que les Américains voyaient les visages de leurs ennemis », précise Catherine Chaine-Riboud. Des visages que Marc Riboud regroupe dans son ouvrage Face of North Vietnam publié aux États-Unis en 1970.
Entre famille et reportages
En 1966, lors de son premier départ pour le Vietnam, Marc Riboud est marié à Barbara Chase, dont il divorce en 1980. Il a, de cette première union, deux enfants. Assez jeunes en 1966, ils devront composer avec un père parti documenter une guerre à l’autre bout du monde. « Il ne partait pas sur le front, mais à l’arrière. Il s’intéressait aux gens, pas aux soldats », précise Catherine Chaine-Riboud. « Il n’était pas reporter de guerre. »
Si l’inquiétude est ainsi moins grande, celle-ci reste de l’ordre de l’imaginable. Car la guerre, de près ou de loin, reste un élément marquant de la vie de Marc Riboud : celle du Vietnam, de 1966 à 1976, qu’il couvre et photographie, mais aussi la Seconde Guerre mondiale, qu’il subit de plein fouet – il n’a alors que 16 ans. Une guerre qu’il éprouve par deux fois : lorsqu’il la vit, depuis Lyon, et lorsqu’elle lui prend son père qui, traumatisé par la première, se suicide en novembre 1939.


« Dans les photographies du Vietnam, ce ne sont pas les combats que l’on voit, mais le quotidien dans les ruines, les corps qui tentent de se reposer dans les refuges de fortune, les amoureux qui se retrouvent près des abris anti-bombes, la vivacité des enfants, la grâce inchangée des femmes. On découvre aussi le désespoir des veuves dans les temples ou dans les églises, le courage de celles et ceux qui rebâtissent à mains nues, les digues ou des quartiers entiers en morceaux… » Des photographies qui, 50 ans après, prennent encore plus de sens face aux clichés des guerres actuelles.
« Marc Riboud. Photographies du Vietnam. 1966-1976 », à voir jusqu’au 12 mai 2025 au musée Guimet, à Paris.