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Paolo Roversi, best regards

Héritiers d’un temps suspendu, leurs images ne cessent d’enrichir l’histoire mondiale de la photographie et nos regards impatients. Souvenirs de quelques rencontres plus ou moins magiques avec ces virtuoses de l’objectif, solistes du noir & blanc ou de la couleur, artistes fidèles à l’argentique ou totalement envoûtés par le numérique. Aujourd’hui – avec une exposition à la galerie parisienne Camera Obscura – : Paolo Roversi face à l’énigme du portrait.

Il m’a fallu deux soirées pour retrouver mes carnets de notes sur Paolo Roversi, encore un carton égaré, ne jamais déménager pourrait être l’objectif de ma prochaine vie. Mais je me souviens parfaitement de nos rendez-vous dans cette rue sans charme du quatorzième arrondissement où j’ai habité dans ma jeunesse, près de la Porte d’Orléans, à Paris. 

Il avait – il l’a toujours – une voix enrouée, teintée d’un accent italien très doux, assez hypnotique. À l’époque où Paolo Roversi roulait en 2 CV, j’étais fan de Tina Modotti et de Rogi André ; j’avais aussi un faible pour les Hongrois de Paris, Brassaï et surtout André Kertész, sur lequel Agathe Gaillard*, sa galeriste, a écrit un livre incomparable paru chez Belfond en 1980.

Je crois, je n’en suis pas sûre, qu’avant de voir Paolo Roversi à son studio, à Paris, je l’ai croisé à Monaco et peut-être à Barcelone lors d’un festival de photographie. Mais, pour moi, il reste indissociable de son studio, le studio Luce, un lieu très plein (des livres, des livres, des livres) et dépouillé (aucun vampire), où l’on se sent instantanément chez soi, prêt à être immortalisé dans ce décor sur mesure. Au fil des années, le studio est devenu encore plus confortable, mais pas plus rutilant car Paolo Roversi, lui, n’a pas changé.

Il est né la même année que le Polaroid, en 1947, à Ravenne (Émilie-Romagne), le 25 septembre, où il fit son premier reportage dans la pinède, là où le réalisateur Michelangelo Antonioni a tourné Le Désert rouge. Surprise, au développement des bobines, rien : « Les chevaux sauvages, le vent, l’odeur des pins, tout ce que j’avais cru faire entrer dans l’appareil photo, tout avait disparu… La photographie est un langage qu’il faut apprendre, et moi, je ne savais que bafouiller. »

Paolo Roversi rêve d’être chef d’orchestre et s’entraîne avec des aiguilles à tricoter empruntées à sa mère. Après quelques études à Bologne (droit) et un long séjour à Venise (amour), destination Paris sur les conseils avisés de l’homme-orchestre Peter Knapp, en novembre 1973. 

Auprès du photographe de mode Laurence Sackman (1948-2020), « alors aussi connu que Bourdin ou Newton », il apprend l’essentiel : « Être un professionnel. Ne pas faire de concession à son œil, au client, à l’image. Être prêt à tout pour construire une photographie. Quand un amateur s’arrête au troisième obstacle, le professionnel va jusqu’au bout. Ce n’est pas une question d’argent ou de matériel, seulement d’éthique. »

Éthique, tout est dit de ce qui va constituer sa photographie dans l’univers qu’il a choisi « par hasard », ou qui l’a choisi « par hasard », la mode. Qu’il ne va pas mettre à ses pieds, ce n’est pas Cendrillon, mais soustraire à toute vanité. Pas de clinquant, pas de couleurs criardes, pas de corps embaumés ni martyrisés par les recadrages. 

Rien de prétentieux, mais une certaine agilité. On sait combien la mode hystérise parfois ceux/celles qui la font comme ceux/celles qui la portent ou la commentent, provoquant des métamorphoses dignes des Précieuses ridicules. Peu de photographes ont su résister à ce spectacle si séduisant.

« Toute photographie est un portrait », aime à rappeler cet héritier de Nadar, signifiant ainsi qu’il appartient à ce médium qui « sert à faire apparaître des choses ». Comme Nadar, ce qu’il poursuit, c’est « la ressemblance intime ». Au-delà des vestiaires sur papier taillés pour des magazines de mode, dont le fameux Vogue Italie, période Franca Sozzani, Paolo Roversi a ravi quelques jeunes femmes nues, des mannequins, qu’il a réunies dans son premier livre, Nudi, paru en 1999 aux éditions Stromboli. « Toute photographie est révélatrice, mais les portraits nus révèlent beaucoup de choses. Le portrait, ce n’est pas seulement un geste esthétique, il existe aussi une dimension psychologique. Nadar a bien montré ça ! Sans tomber dans le religieux, je pense que la photographie est surtout la représentation de l’inconnu, de l’irréalité. Pour moi, la photo, c’est du rêve. » 

Que cherchait Paolo Roversi ? « La vérité ! Ces filles sont toujours déguisées et je voulais les dévoiler, essayer de montrer leur âme. Je cherchais le vide, car c’est dans ce vide que l’on peut espérer voir apparaître un peu plus de vérité. Nous étions seuls dans le studio, elles n’étaient pas maquillées, pas coiffées, et je leur demandais de ne rien faire. Moi, j’appuyais quand il y avait une espèce de vide, de décompression, de désert et d’étincelle. L’étincelle, c’est l’émotion, ces ondes qui rebondissent entre modèle et photographe. S’il n’y a pas d’émotion à la prise de vues, il ne peut pas y avoir d’émotion pour celui qui regarde. »

Un temps considérée comme anecdotique, l’émotion est redevenue une valeur sûre de la photographie. On peut s’en réjouir publiquement. Existe-t-il une échelle visuelle de l’émotion ? Chez Paolo Roversi, elle est ce mystère qui enveloppe ses portraits et leur donne plus qu’un air d’étrangeté, une existence à part, à la lisière du songe. 

Pour celui qui « a une hantise de reproduire la réalité et la paranoïa de juste s’arrêter à la surface de son sujet », toute photographie se doit d’être en profondeur. « J’ai une vision un peu mystique », dit-il, prônant la sincérité, « une photo, ce n’est jamais un mensonge ». 

Parmi ses derniers shootings people, Catherine désormais princesse de Galles et, qui sait, future reine d’Angleterre ; « une personne merveilleuse », qu’il a immortalisée (peu maquillée) à Kew Gardens pour son anniversaire (40 ans), et qu’il voulait « intemporelle »

Le temps est aussi l’allié des photographes quand leurs images prennent le large. Paolo Roversi, à propos de son exposition à la galerie Camera Obscura, à Paris : « Mettre une photo au mur est la chose la plus exigeante et la plus précieuse. C’est une autre façon de s’exprimer, le statut de l’image change, et son histoire aussi. C’est comme une sorte de vérification de sa force, c’est un peu la consécration des photographies. Elles deviennent moins dépendantes des médias, elles sont plus abstraites. Plus libres. Plus pures. Pour celles qui tiennent sur les murs, c’est l’accomplissement d’une belle vie. »

Parmi les trente photographies exposées, ma préférée : un renne. Un vrai renne, totalement royal.

« Portraits », par Paolo Roversi à la galerie Camera Obscura, 268, boulevard Raspail, 75014 Paris. Jusqu’au 29 octobre 2022.

*Agathe Gaillard, Mémoires d’une galerie, Gallimard, 2013

*Paolo Roversi au studio Luce, Paris, 23 septembre 2022 © Clara Belleville

Photo de couverture: Paolo Roversi au studio Luce, Paris, 23 novembre 2022 © Clara Belleville

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