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Tony Vaccaro, ou la photographie comme antidote à l’inhumanité

Tony Vaccaro, ou la photographie comme antidote à l’inhumanité

A l’approche de ses 100 ans, l’Américain Tony Vaccaro revient sur son expérience singulière de la photographie, grâce à laquelle il a survécu à la bataille de Normandie aussi bien qu’à la COVID-19, et travaillé pour Flair, Look, et LIFE en plein âge d’or des magazines photo.

Tony Vaccaro, qui a consacré toute sa vie à la photographie, n’a rien perdu de son énergie. Après sa guérison de la COVID-19, cette année, le photographe italo-américain, qui fêtera ses 98 ans le 20 décembre, a repris ses séances d’exercice quotidiennes. En cette fin de novembre, par une matinée exceptionnellement chaude, il participe à une course de 20km, battant de 42 secondes son record de 1943, alors qu’il était lycéen. « A 100 ans, je prévois d’en accomplir un autre, sur 2km », raconte Vaccaro à son domicile de Long Island City, dans le Queens.

D’après Degas, Femme et fleurs, New York, 1960 © Tony Vaccaro / Courtesy Monroe Gallery of Photography

Cela va sans dire : Vaccaro est le survivant par excellence. Michelantonio Celestino Onofrio Vaccaro, de son vrai nom, est né en 1922 à Greensburg, en Pennsylvanie. A quatre ans seulement, au retour de sa famille en Italie, il perd ses deux parents. Maltraité par le frère de son père, les horreurs vécues dans son enfance le poursuivent encore.

« Mon oncle et sa femme n’avaient pas d’enfants », dit Vaccaro, « et ils ne savaient comment s’y prendre avec moi. C’est pour cela que j’étais puni tous les jours. J’ai été couvert de bleus pendant quinze ans, et lorsque je suis entré dans l’armée, on m’a demandé : ‘Qu’est-ce qui t’es arrivé, mon gars ?’ Je ne pouvais pas dire la vérité : que l’on me battait dès que je faisais quelque chose de mal. »

Dominique Sanda, Cannes, France, 1975 © Tony Vaccaro / Courtesy Monroe Gallery of Photography

Le temps des coups est loin, et ce souvenir est tempéré par un autre, celui d’une passion qui remonte à son adolescence. Après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en Europe, Vaccaro s’enfuit aux États-Unis et s’inscrit au lycée Isaac E. Young de New Rochelle (New York). Le jeune artiste qu’il est rêve d’être sculpteur, mais le destin va en décider autrement.

« Monsieur Louis, l’un de mes professeurs, m’a dit : ‘Tony, tes sculptures sont plutôt bonnes, mais tu es né pour être photographe.’ On ne m’avait jamais parlé de photographie auparavant. Il a ajouté : ‘Grâce à ça, tu auras une vie formidable. ’ Et il avait sacrément raison. J’avais alors 14, 15 ans. Je suis photographe depuis 85 ans et je me sens toujours très bien dans ma peau », raconte Vaccaro.

Portrait de l’artiste en jeune homme

Givenchy avec son appareil photo au bord de la piscine, sud de la France, 1961 © Tony Vaccaro / Courtesy Monroe Gallery of Photography

A voir actuellement à la Monroe Gallery de Santa Fe, l’exposition Tony Vaccaro at 98 retrace la carrière extraordinaire du photographe, qui commence véritablement lorsqu’il est enrôlé comme soldat en Europe, durant la Seconde Guerre mondiale, dans la 83e division d’infanterie surnommée « L’Eclair ». Vaccaro combat en Normandie, en Belgique, au Luxembourg et en Allemagne. Éclaireur sur le front, il réalise des photographies témoignant de l’horreur des champs de bataille. Montrant la mort, la destruction et la défaite, ses images sont un rappel poignant de l’inhumanité de la guerre et de la nécessité de survivre en dépit de tout.

« J’ai été blessé deux fois, mais je suis encore là », dit Vaccaro. « Tous les jours, je prenais des photos de GI qui se battaient, mouraient, étaient blessés, donc j’ai une collection d’images de ce temps-là, cette vie que j’ai vécue, et qu’aucun photographe, selon moi, n’aurait voulu vivre. » 

Le baiser de la liberation: le sergent Gene Constanzo s’agenouille pour embrasser une petite fille lors de célébrations spontanées sur la place de Saint Briac, France, 14 août 1944 © Tony Vaccaro / Courtesy Monroe Gallery of Photography

En septembre 1945, après sa démobilisation, Vaccaro reste en Allemagne où, durant quatre ans, il travaille comme photojournaliste pour Weekend, le supplément du dimanche de Stars and Stripes, journal de l’armée américaine. De retour aux Etats-Unis en 1949, en plein âge d’or des magazines photo, il est engagé par Flair, Look, et LIFE.

Bientôt, Vaccaro voyage dans le monde entier, des sources du Nil au pôle Sud. En 1963, se rappelle-t-il, une mission pour le magazine Venture le conduit à remonter le Nil durant 40 jours. Son périple prend fin à Alexandrie, où il rencontre le président égyptien Gamal Abdel Nasser. Debout sur le front de mer, Nasser désigne les ruines romaines et, évoquant César, dit à Vaccaro : « Regardez, votre peuple était là il y a 2 000 ans ! »

Trouver l’amour parmi les stars

Pablo Picasso, Mougins, France, 1967 © Tony Vaccaro / Courtesy Monroe Gallery of Photography

Durant 25 ans, Vaccaro va réaliser quantité de photos de mode et de célébrités, constituant des archives uniques – voir les célèbres portraits de Pablo Picasso, Georgia O’Keeffe, Alexander Calder, Jackson Pollock, W. Eugene Smith et Marcel Duchamp, entre autres artistes, et ceux de reines d’Hollywood telles que Marlene Dietrich, Lauren Bacall, Sophia Loren, Grace Kelly, ou encore Ali McGraw. 

Georgia O’Keeffe avec sa série de peintures intitulée “Pelvis”, Nouveau Mexique, 1960 © Tony Vaccaro / Courtesy Monroe Gallery of Photography

« J’ai toujours travaillé avec des gens faciles à vivre », se souvient Vaccaro, évoquant quantité de personnes, du designer de mode Hubert de Givenchy au réalisateur Federico Fellini. Sans aucune gêne, en riant, Vaccaro raconte sa rencontre avec la célèbre collectionneuse Peggy Guggenheim, à Venise. « Si vous entrez dans son palais, vous verrez la statue d’un homme sur un cheval, dont le pénis va du bout de mes doigts à mon coude. Le jour où j’ai photographié Peggy, des écoliers lui rendaient visite, donc elle est montée sur une échelle, a dévissé le pénis et l’a caché sous sa robe. »

Peggy Guggenheim, Venicse, Italie, 1968 © Tony Vaccaro / Courtesy Monroe Gallery of Photography

Mais sa mission la plus déterminante, peut-être, sera celle de photographier Marimekko, une entreprise finlandaise dans le secteur du design de mode et de la décoration intérieure: c’est là que Vaccaro rencontre Anja Kyllikki, un mannequin qui deviendra sa femme en 1963. « J’ai assisté à un défilé de mode et il y avait là vingt belles filles », se souvient-il. « L’une d’elles a croisé mon regard, nos yeux se sont rencontrés,  encore et encore, et je lui ai dit : ‘Je sens que je pourrais vous épouser.’ Et elle a répondu : ‘Vous m’ôtez les mots de la bouche, parce que je veux vous épouser’. Et c’est ainsi qu’elle est devenue ma femme. »

Un hommage photographique à la vie

Gwen Verdon pour le magazine LOOK, New York, 1953 © Tony Vaccaro / Courtesy Monroe Gallery of Photography

Véritable combattant, Vaccaro est l’une des rares personnes à avoir survécu à la fois à la bataille de Normandie et au COVID-19. Il attribue sa longévité à la combinaison gagnante de « chance aveugle, vin rouge et détermination ». Pour Vaccaro, l’art est l’antidote à l’inhumanité dont il a été témoin tout au long de sa vie. Son cœur est rempli de lumière et de joie, et d’une foi en notre avenir à tous.

« L’homme est un animal incroyable », dit-il. « Nous avons créé tant de choses : la télévision, la photographie, des monuments, de grandes routes. La terre est un paradis pour moi. Nous vivons au paradis, sans aucun doute. Mon désir est que l’humanité détruise les nations et en crée une seule dans l’univers, un seul monde. »

Leslie Uggams, Gold Metal, 1963 © Tony Vaccaro / Courtesy Monroe Gallery of Photography

Par Miss Rosen

Miss Rosen est une journaliste basée à New York, elle écrit sur l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres et dans des magazines, notamment Time, Vogue, Artsy, Aperture, Dazed et Vice.

Tony Vaccaro at 98
Jusqu’au 17 janvier 2021
Monroe Gallery, 112 Don Gaspar, Santa Fe, NM 87501, USA

https://www.monroegallery.com/

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