Blind Magazine : photography at first sight
Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Dans les yeux d’Ismail Ferdous

Ismail Ferdous est un photographe qui documente les questions sociales et humanitaires du monde contemporain. Pour Blind, il parle de son parcours, de sa curiosité pour le monde et les histoires des gens.

Photographe et réalisateur, Ismail Ferdous ne se destinait pourtant pas à la photo. À l’âge de 20 ans, alors qu’il est étudiant en commerce à l’East West University de Dhaka, il entame un voyage d’apprentissage à travers l’Europe, l’Amérique et l’Asie. Plus il découvre le monde, plus il commence à envisager sérieusement de faire de la photographie son métier. 

Originaire du Bangladesh, il y réalise de nombreux sujets témoignant de l’actualité sociale du pays. Dans ses deux séries « The Cost of Fashion » et « After Rana Plaza » il témoigne des conditions de travail dangereuses et inhumaines dans les ateliers de confection textile au Bangladesh. Bien au-delà du photojournalisme, Ismail Ferdous humanise ces problématiques et raconte les histoires individuelles de ceux qui ne peuvent s’exprimer. Il documente ainsi l’exode massif des populations Rohingyas vers le Bangladesh. Mais le photographe ne se limite pas aux frontières de son pays, et il met également en lumière les défis auxquels sont confrontés les réfugiés en Syrie, au Liban, en Turquie et en Méditerranée.

En 2021, Ismail Ferdous entre à l’agence VU. L’année suivante, il est lauréat du World Press Photo. Sa maîtrise de la photographie documentaire lui a valu de nombreux prix et il est régulièrement exposé à travers le monde, de New York à Genève, en passant par l’Italie, le Japon et la France. Aujourd’hui basé à New York, il continue à mettre en lumière les questions sociales et humanitaires du monde contemporain.

Pour Blind, Ismail Ferdous partage sa vision de la photographie, une vision qui transcende l’objectif de l’appareil photo pour donner une voix à ceux qui en ont le plus besoin.

After Rana Plaza © Ismail Ferdous
After Rana Plaza © Ismail Ferdous
Monpura Island, Bangladesh, 2019 © Ismail Ferdous
Monpura Island, Bangladesh, 2019 © Ismail Ferdous

Comment et pourquoi êtes-vous devenu photographe ?

Depuis que je suis enfant, j’ai toujours été curieux du monde et fasciné par les histoires des gens. Cette curiosité a joué un rôle important dans mon parcours de photographe. Avant de découvrir la photographie, je me sentais constamment insatisfait de tout ce que j’entreprenais en vue d’une carrière. J’ai commencé par étudier le commerce à l’université parce que je n’étais pas sûr de ce que je voulais vraiment faire de ma vie. Au cours de la deuxième année, j’ai découvert la photographie et j’ai senti que quelque chose se passait en moi. C’était une révélation silencieuse, comme trouver une pièce manquante à mon puzzle.

J’ai obtenu mon diplôme selon le vœu de mes parents, mais je me suis juré d’obéir à ma vocation de photographe par la suite. J’ai appris la photographie en autodidacte, en utilisant toutes les ressources à ma disposition – experts locaux, tutoriels en ligne, et surtout des numéros anciens du National Geographic que j’avais trouvés à Dhaka sur un marché du livre d’occasion. Les publications étrangères étaient difficiles à trouver, mais ces numéros vieux de dix ans sont devenus mes manuels. Plus tard, je me suis familiarisé avec le monde réel en étant assistant chez Magnum et au National Geographic, et j’ai gagné la confiance en moi nécessaire à faire de la photographie mon métier.

Victoria est arrivée à la gare de Chop en Ukraine. Elle a fui Kryvyi Rih avec son fils unique et son mari, resté au pays, travaille maintenant dans les défenses du territoire ukrainien. Sa ville a été bombardée par les avions russes. 15 mars 2022, Chop, Ukraine. © Ismail Ferdous
Victoria est arrivée à la gare de Chop en Ukraine. Elle a fui Kryvyi Rih avec son fils unique et son mari, resté au pays, travaille maintenant dans les défenses du territoire ukrainien. Sa ville a été bombardée par les avions russes. 15 mars 2022, Chop, Ukraine. © Ismail Ferdous

Comment définiriez-vous votre approche de la photographie ? Votre manière de raconter des histoires ?

Ma photographie est un miroir de ma curiosité innée. Quand je parle de « curiosité », je me réfère à des sujets spécifiques qui font naître en moi un désir irrésistible de les approfondir. La photographie est le médium grâce auquel je les explore. Je la conçois comme une forme d’art profondément symbolique qui facilite une compréhension plus profonde des sujets. Elle a la capacité de construire des récits significatifs à travers une pensée critique, et d’intéresser un public diversifié à ces sujets que l’on aborde.

Par exemple, bien avant l’effondrement tragique de l’usine de vêtements Rana Plaza au Bangladesh, j’ai été intrigué par la vie de ces travailleurs de la confection et leur rapport avec l’industrie internationale de la mode éphémère. Être sur place pour photographier les conséquences immédiates de l’effondrement du Rana Plaza a été une expérience charnière pour moi. Cela m’a donné l’occasion d’interroger plus profondément la relation complexe entre le consumérisme mondial dans le domaine de la mode éphémère et les conditions de travail au Bangladesh.

Au cours de la dernière décennie, mon exploration de ce sujet grâce à la photographie a pris diverses formes, du photojournalisme à l’activisme en passant par la production de contenus sur les réseaux sociaux, en passant par les expositions. Chaque plate-forme incite, à sa propre manière, le public à se poser les vraies questions. 

Je crois que la narration en photographie devrait être plus informelle, permettant au médium d’avoir une meilleure audience. J’adapte la méthode de la narration visuelle aux besoins spécifiques de telle ou telle histoire, afin qu’elle ait le plus d’impact possible.

Par exemple, ma série intitulée « The People Who Feed the United States » est différente, stylistiquement et conceptuellement de celle que j’ai appelée « Sea Beach ». D’abord et avant tout, je laisse le récit dicter sa propre forme et sa propre structure, en considérant les autres éléments comme secondaires. En tant que photographe, je sens qu’il est de ma responsabilité de présenter mes histoires aussi fidèlement et honnêtement que possible, pour favoriser la prise de conscience du public.

© Ismail Ferdous
© Ismail Ferdous

Quel est votre reportage le plus marquant, le sujet qui a été le plus difficile à couvrir ?

Dire qu’un reportage est plus mémorable, ou a représenté un plus grand défi qu’un autre serait injuste, car chacun comporte ses propres obstacles, et divers facteurs l’influencent, tels que le contexte et le timing. Prenons l’exemple du reportage d’un mois sur la tragédie du Rana Plaza : non seulement j’ai vu de nombreux morts et rencontré de nombreux blessés, mais j’ai aussi été confronté au fardeau émotionnel que portaient des familles en deuil.

Je crois sentir encore l’odeur des cadavres, c’est un souvenir émotionnel et sensoriel qui pèse lourd dans ma mémoire. « After Rana Plaza », un reportage sur les survivants et leurs familles deux ans plus tard, a apporté son lot d’émotions complexes, et m’a laissé un souvenir différent mais poignant, celui du traumatisme mental qu’avaient subi ces gens. Je fais la comparaison entre les deux séries pour souligner que la complexité d’un reportage n’est pas toujours immédiatement visible ou ouvertement dramatique. Les difficultés sous-jacentes sont souvent d’ordre émotionnel ou mental, ce qui peut être tout aussi éprouvant, sinon davantage, que les défis plus évidents que l’on doit relever.

Quels sont les photographes que vous admirez particulièrement ?

La photographie, pour moi, est à la fois un voyage et un mode de vie, qui s’enrichit constamment des expériences des artistes dans le domaine du photojournalisme, du documentaire ou de la mode. Leur travail ne révèle pas seulement leur talent, mais aussi leur vision du monde et d’eux-mêmes.

Pour répondre plus directement à votre question, mon admiration ne se limite pas à un seul artiste mais s’étend à divers projets. La liste est très longue, de « Satellite » de Jonas Bendiksen à « The Opioid Diaries » de James Nachtwey, en passant par la série de Hasan Chandan à propos de la gare de Kamalapur. Par ailleurs, des cinéastes tels que Satyajit Ray, Sergio Leone, Paweł Pawlikowski, Akira Kurosawa ou Andrei Arsenyevich ont façonné, eux aussi, ma vision créative.

Monpura Island, Bangladesh, 2019 © Ismail Ferdous
Lors d’une pause déjeuner de printemps dans les rues de la Nouvelle-Orléans : le jazz et la poésie de la volaille. © Ismail Ferdous

Quel matériel utilisez-vous habituellement ?

Au quotidien, j’utilise mon appareil numérique moyen format, avec un objectif de 40 mm ou 50 mm. Bien que les aspects techniques de la photographie ne me captivent pas particulièrement, je choisis des appareils spécifiques pour chaque projet en fonction de la manière dont ils me permettent de transcrire mes idées et mes émotions sous forme visuelle. Par exemple, il m’arrive de mélanger dans la même série des images réalisées avec un moyen format, un petit format et un micro-format quatre tiers. Mes marques préférées sont Leica, Nikon, Sony, Fujifilm, Hasselblad et il m’arrive d’utiliser mon Iphone – tout dépend du projet. 

La plateforme MPB est spécialisée dans l’achat et la revente de matériel photo et vidéo d’occasion. Que pensez-vous du concept ?

Je pense que la plate-forme MPB est une excellente idée, même si je n’ai pas encore eu, personnellement, l’occasion de l’essayer. D’après mes informations, elle fournit un équipement d’un très bon rapport qualité prix, tout en respectant la durabilité. Tout le monde a à y gagner.

Vous avez reçu le prix World Press 2022 pour votre série « The People Who Feed the United States ». Pourriez-vous nous parler de vos prochains projets ?

Il est vrai que « The People Who Feed the United States » a remporté le prix World Press Photo en 2022, mais il est important de noter que c’est un projet en cours pour moi. Je suis bien décidé à le poursuivre, car il soulève des questions importantes à propos des droits des travailleurs, de la politique d’immigration, et des formes contemporaines d’esclavage aux États-Unis. Bien que j’aie d’autres projets en cours, je ne suis pas prêt à en parler pour l’instant. Soyez sans inquiétude, je serai plus qu’heureux de les évoquer dans notre prochaine interview.

Un vendeur de barbe à papa sur la plage de Cox's Baza, série Sea Beach, 2020-2022 © Ismail Ferdous.
Un vendeur de barbe à papa sur la plage de Cox’s Baza, série Sea Beach, 2020-2022 © Ismail Ferdous

Retrouvez le travail d’Ismail Ferdous sur son site internet, et plus d’informations sur la plateforme de revente MPB à l’adresse suivante : www.mpb.com.