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Mode, art, imagination : le monde fascinant d’Erik Madigan Heck

Mode, art, imagination : le monde fascinant d’Erik Madigan Heck

« The Garden » de l’artiste Erik Madigan Heck, nous transporte dans un royaume magique où les photographies sont autant d’illustrations intemporelles d’un livre de contes.
Untitled, The Garden, 2019 © Erik Madigan Heck

À l’heure où nous sommes nombreux à avoir fui les villes en quête d’un refuge de verdure rassurant, et où nous réalisons des photos de famille pour nous égayer en dépit de la distanciation sociale qui nous est imposée, l’artiste et photographe de mode Erik Madigan Heck semble avoir des coudées d’avance.

The Garden, qui est le titre d’une exposition de Heck dans quatre galeries ainsi que celui de son livre à paraître, rassemble des œuvres en cours représentant l’épouse de l’artiste et ses deux fils au sein d’un paysage évoquant la majestueuse mythologie des contes de fées de notre enfance. Se décrivant comme « un peintre qui utilise un appareil photo », Erik Madigan Heck transforme les photographies originales en illustrations de livre, grâce à l’ajout méticuleux de lumineuses couches de couleur et de motifs délicats, ainsi que l’aplanissement de l’image par la suppression des ombres et de la profondeur de champ.

Eniko in Flowers, 2020 © Erik Madigan Heck

Dans le sillage d’Edouard Vuillard, peintre impressionniste français que le photographe admirait lorsqu’il était enfant, Heck métamorphose l’image en deux dimensions en un paysage onirique où le réel fusionne avec l’imaginaire. Alors qu’il intervenait sur l’image dans la chambre noire, auparavant, le photographe utilise à présent le numérique pour obtenir un effet similaire : une image qui transcende la nature documentaire de son medium.

« Mes photographies initiales sont plutôt différentes du résultat final que j’obtiens », explique Erik Madigan Heck Heck. « Quand les choses se présentent de manière très immédiate, il y a un certain luxe à laisser l’image de côté, pour y revenir ensuite. Certaines photographies ont été prises il y a des années. Je revisite mes archives, sélectionne quelque chose et le retravaille. Parfois, cela prend des semaines pour ajouter de la couleur, ne plus toucher à l’image puis intervenir de nouveau sur elle. C’est la manière même dont les peintres réalisent une toile. Ce temps que l’on passe avec l’oeuvre efface le moment où l’on a pris la photo, car alors elle ne dit plus rien de ce moment-là. »

Umbrella, The Garden © Erik Madigan Heck

Nécessité est mère d’industrie

Ces dix dernières années, le milieu de l’art a rendu hommage à la démarche novatrice d’Erick Madigan Heck, en marge de tout conformisme. En 2011, il a ainsi figuré dans The 30, la liste annuelle du mensuel Photo District News portant à l’attention du public des photographes prometteurs. L’année suivante, il a été le plus jeune de ceux qui ont couvert la prestigieuse campagne « Art of Fashion » présentée par la marque de vêtgements Neiman Marcus. Puis en 2013, il a été lauréat de l’un des Infinity Awards (dans la catégorie photographie appliquée, étendue à la mode et la publicité), prix décerné par l’International Center of Photography de New York. En 2014, il a reçu la médaille d’or du Art Directors Club pour son portfolio Old Masters publié dans le New York Times Magazine

Avec des clients tels que Fendi, Gucci, Comme des Garçons, The New YorkerTIME, ou encore Vanity Fair, Heck est devenu une figure majeure dans le monde de la photographie. A l’inverse de nombreux artistes contemporains, il ne différencie pas son travail personnel et commercial, tous d’eux faisant partie d’un même continuum. S’inclinant devant la tradition du parrainage, Erik Madigan Heck estime que ses œuvres – qu’elles soient acquises par une galerie ou une entreprise – sont une marchandise, et que son seul devoir en tant qu’artiste est de rester fidèle à lui-même. 

Turquoise and Pink Garden, The Garden, 2020 © Erik Madigan Heck

The Garden illustre la manière dont le travail de Heck évolue aisément entre les sphères commerciale et personnelle. Cette série prend naissance en 2016, à une époque où la femme de Heck remarque que son moral a tendance à baisser en août, lorsque le monde de la mode devient inactif. Elle suggère alors qu’il la photographie, elle et leurs enfants, dans cet endroit isolé du Connecticut où leur maison est construite.

Erik Madigan Heck, qui tenait depuis longtemps sa famille à l’écart de son travail, reconsidère cette frontière à la lumière de son admiration invétérée pour le photographe américain Harry Callahan – qui a photographié sa femme tout au long de sa carrière – et parce qu’il y est contraint. Cette même année, la famille quitte New York pour aller s’installer dans la forêt, ce qui limite l’inspiration de Heck à son cercle intime. « Si je voulais travailler », dit-il, « le seul sujet était ma femme, il n’y avait personne d’autre. »

Untitled, The Garden, 2019 © Erik Madigan Heck

Baigner dans la beauté

En manière d’exercice quotidien, Erik Madigan Heck commence à prendre des photographies qu’il poste sur Instagram. Quand un jour, Kira Pollack, directrice de la photographie chez TIME, le contacte pour lui demander de faire la couverture du magazine. Et par la suite, des designers tels que Van Cleef & Arpels, Carolina Herrera, Rodarte, ou encore le magazine Harper’s Bazaar UK solliciteront également des photographies de sa famille.

Au fil des ans, Heck va réaliser des milliers d’images retraçant le cycle de la vie et de la mort, entre la naissance de ses deux fils et le décès de sa mère bien aimée, une peintre qui avait offert à Heck son premier appareil photo, à quatorze ans. Enfant, il passe aussi des heures au sous-sol à regarder sa mère travailler dans son atelier, et dans des musées locaux tels que le Walker Art Center et le Minneapolis Institute of Arts. C’est dans cette oasis de couleurs, de lumière et de lignes que le photographe a lentement élaboré une encyclopédie mentale de l’art.

Untitled, The Garden, 2019 © Erik Madigan Heck

« Ce qui rend le style d’Erik Madigan Heck absolument unique », dit son galeriste Christopher Guye, « c’est que son travaille oscille, d’une part, entre la photographie et la peinture, et, d’autre part, entre la photographie de mode et l’art. Relevant de ce dernier, ses œuvres expriment une innocence et une spontanéité d’un autre monde, et font ainsi vivre au spectateur une expérience directe et immédiate de la beauté. »

Se démarquant des photographes de famille traditionnels (tels que Sally Mann ou Elinor Carucci), Erik Madigan Heck n’a pas une approche documentaire de son médium. Au lieu d’individus, ses portraits représentent des archétypes, sa femme et ses enfants étant mis en scène dans des décors évoquant les plus belles visions de l’imaginaire enfantin. Entre les mains de Heck, la photographie se change en méditation sur les plaisirs que peuvent procurer le simple fait de regarder.

Milkmaid 2, The Garden, 2016 © Erik Madigan Heck

« En un sens », dit Erik Madigan Heck, « ces images sont porteuses d’espoir, et s’apparentent aux illustrations idylliques des livres pour enfants. Lorsque j’en étais un, c’était de l’art que je voulais voir, plutôt que ce qui m’intéresse le plus, actuellement – une photographie contemporaine prenant pour thème l’identité, et illustrant des problèmes politiques. » 

Nombreux sont ceux qui photographient leur famille afin de travailler malgré l’isolement social, mais Heck a une vision différente : « Il ne s’agit pas d’illustrer 2020 ou une autre époque déterminée. Mon travail porte sur ce qui peuple l’histoire de l’art: la couleur, la forme, le paysage, la ligne. A travers ces images, je veux représenter le plaisir, créer quelque chose qui rende heureux lorsqu’on le regarde, et qui se passe d’explication. »

Not Titled Yet, Stella McCartney © Erik Madigan Heck

Par Miss Rosen

Auteure spécialisée en art, photographie et culture, Miss Rosen vit à New York. Ses travaux sont publiés dans des livres, des magazines et des sites web, dont Time, Vogue, Artsy, Aperture, Dazed et Vice, entre autres.

Erik Madigan Heck: The Garden
Ed. Damiani (February 19, 2021), $90

Livre disponible ici

Jackson Fine Art, jusqu’àu 30 janvier 2021
3115 East Shadowlawn Avenue, Atlanta, GA 30305, USA

Christopher Guye Galerie, jusqu’au 30 janvier 2021
Dufourstrasse 31, 8008 Zürich, Switzerland

Weinstein Hammons Gallery
908 West 46th Street, Minneapolis, MN 55419, USA

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