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Martin Bogren, en passant

Martin Bogren, en passant

Avec son dixième livre, Passenger, publié par Lamaindonne, le photographe suédois s’avance vers la lumière et la couleur, résolument.
© Martin Bogren

Les cinquante photographies de Passenger ont été prises à Kolkata (ex-Calcutta), la ville natale du cinéaste Satyajit Ray (1921-1992). Martin Bogren n’a pourtant pas voulu immortaliser la capitale du Bengale-Occidental, encore moins l’Inde. Aucun signe de dénégation, il était bien à Kolkata après un séjour à Dacca (Bangladesh), mais il a décidé d’en finir, au moins ponctuellement, avec une certaine idée, peut-être chimérique, du territoire photographique. Un peu comme lorsqu’il a choisi, après une carrière de photographe professionnel, plutôt dédiée à la scène musicale, de faire un break. Et de recommencer à zéro. Il avait 39 ans. Il en a aujourd’hui 54 (il vit entre Malmö et Berlin).

Passenger est son dixième livre. Parmi ceux qui l’ont précédé, Tractor Boys, des ados au volant de Volvo customisées et August Song, des bals au cœur d’une campagne suédoise assez fiévreuse, deux livres remarqués par la critique – et les photophiles. Ce Suédois, qui préfère la lumière d’été, celle qui suit le coucher du soleil, s’est alors engagé vers quelque chose de moins documentaire, de moins noir & blanc. Non par provocation, mais comme une nouvelle interrogation face à son statut d’auteur, et ce médium si surprenant qu’est encore la photographie (malgré sa tendance, de plus en plus ostentatoire, à devenir une industrie culturelle, comme le cinéma). 

© Martin Bogren
© Martin Bogren

Sans être une réponse, encore moins une clef d’entrée pour le futur, Passenger est la trace d’un récit intérieur. Qui se passe donc à Kolkata, et qui pourrait probablement se dérouler dans une autre cité et une autre temporalité. Comment s’y retrouver ? C’est l’une des questions de Martin Bogren, ce carrefour existentiel, où se croisent nos vies, la sienne, la nôtre, et celle de tant d’inconnu(e)s, en quête d’un ailleurs. Ce qu’il cherche à voir : « La beauté pour elle-même, sans besoin d’analyse ni de maîtrise. » Il écrit aussi : « En attendant, nous ne faisons que passer. »

Passenger ne se présente pas comme un rêve éveillé destiné aux insomniaques. C’est une suite de possibilités, un lent mouvement qui tantôt s’accorde à isoler un chien ou des corbeaux (« et leur cri aveugle », Pasolini), tantôt à accueillir des corps assis par terre, totalement immobiles, ou agités, parfois même qui ont disparu, comme cette veste sur cintre qui attend patiemment son fantôme. Quelques photographies sont en couleur, elles paraissent pâles, elles sont très émouvantes, comme des souvenirs d’enfance. 

© Martin Bogren
© Martin Bogren

Cette orientation vers une couleur spiritualisée participe du plaisir à découvrir l’univers énigmatique de Bogren. Ce que confirme son éditeur, David Fourré : « Le travail de Martin a évolué vers des choses qui laissent de la place à l’indicible, à l’âpreté… Nous avons imaginé Passenger comme une expérience de lecture, très libre, légère… Grâce aussi au papier que nous avons retenu, un papier fin, sensuel, et qui, par un jeu de transparence, permet de la douceur. » Une douceur qui jongle avec la solitude du photographe et cette sérénité teintée de vertige qui n’appartient qu’à l’Inde.

Par Brigitte Ollier

Brigitte Ollier est une journaliste basée à Paris. Elle a travaillé durant plus de 30 ans au journal Libération, où elle a créé la rubrique « Photographie », et elle a écrit plusieurs livres sur quelques photographes mémorables.

Passenger, de Martin Bogren, éditions Lamaindonne, 92 pp., 35 €. Pour acheter le livre, le site de Lamaindonne ou de PhotoFranceBook, site fédérateur d’éditeurs indépendants.
Martin Bogren est représenté par la Galerie Vu’

Pour en savoir plus sur Satyajit Ray (en anglais)

Parmi ses nouvelles, toutes merveilleuses, éditées par les Presses de la Renaissance, ma préférée :

Le chien d’Ashamanja Babu

L’odeur de l’Inde, Pier Paolo Pasolini, Denoël. Traduit de l’italien par René de Ceccaty.

© Martin Bogren
© Martin Bogren
© Martin Bogren

Lire aussi : Mille reflets d’Inde

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